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Acte III, scène 8 d'Andromaque de RACINE

Publié le 21/07/2010

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andromaque

1. Situation du texte    Comme plus tard Iphigénie, les premiers spectateurs d'Andromaque apprécièrent l'efficacité pathétique de cette pièce, son pouvoir de faire couler les larmes. C'est qu'en effet, le chant funèbre, les lamentations de l'héroïne éponyme y constituent un attrait aussi marquant que la fureur finale d'Oreste. Ces deux tonalités contrastées habillent d'une aura tragique la chaîne amoureuse (Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector - qui est mort), inspirée des pastorales contemporaines, ces romans d'amour entre bergers et bergères, qui imprègnent l'imaginaire sentimental de l'époque.    Pendant plus de deux actes, le sort du petit Astyanax et le devenir d'Andromaque semblent totalement dépendre des caprices du sauvage Pyrrhus : Racine ne s'écarte pas de la figure légendaire du prince cruel et instable, dont les décisions autoritaires s'inversent au gré de son humeur. Mais continuer ainsi serait ôter tout rôle tragique à son Andromaque ; la dernière scène de l'acte III est donc l'occasion de recentrer le conflit tragique sur sa personne, de la rendre maîtresse d'un impossible choix, de lui faire trancher une douloureuse alternative.        2. La plainte funèbre d'Andromaque    Au premier acte (scène 4), le spectateur a découvert Andromaque dans une disposition d'esprit intraitable, voire ironique (v. 270-272), et développant un discours habile, méthodique, pour exposer sa résolution de mourir elle-même et de voir mourir son fils, plutôt que de céder aux avances de Pyrrhus.    L'acte III la lui montre très différente, parce qu'on croit alors la mort d'Astyanax imminente : scène 6, Andromaque s'humilie d'abord aux pieds de Pyrrhus (v. 915-916), le suppliant de sauver son fils, et scène 8, elle se laisse miner par des souvenirs hallucinatoires, sa volonté brisée, prononçant un discours envahi par des voix étrangères et butant sur des questions insolubles.    Dans la première tirade, l'évocation poétique de la chute de Troie n'est pas seulement pour Racine un moyen de rivaliser avec le genre épique de l'Antiquité, elle sert d'explication à la force de résistance d'Andromaque, contre l'espèce de harcèlement que lui fait subir Pyrrhus : le traumatisme a imprimé en elle de telles images d'horreur, qu'une carapace émotionnelle lui évite les troubles du présent - elle vit enfermée dans ce passé troyen, le passé de son couple, de son peuple. Au moyen de plusieurs anaphores (« Songe « x 4, « Voilà « x 2), et d'impératifs de renforcement (« Figure-toi « v. 3, « Peins-toi « v. 9), Racine donne à voir, par une terrifiante hypotypose, le carnage des Grecs dans Troie défaite, et la sauvagerie de Pyrrhus en particulier, selon le strict point de vue d'Andromaque. Elle nous rend perceptible cette couleur rouge de l'incendie et du sang, éclaboussant les victimes comme les bourreaux (v. 2-6, v. 8), et ce vacarme assourdissant du combat (v. 7 audacieux avec ses hémistiches symétriques). Ce spectacle en son et lumière qu'elle revit en le décrivant, lui permet de refuser de nouveau avec force (v. 13-15) de s'allier avec le responsable du génocide de son peuple  elle préfère ainsi condamner son enfant à mourir.    Dans sa seconde réplique, une autre vague de souvenirs décide de l'arrangement du discours : elle regarde Astyanax comme un substitut de son époux disparu, comme « l'image d'Hector « (v. 20), et sa fidélité conjugale apparaît comme le fondement de ses sentiments maternels. Racine reprend ici la hiérarchie émotionnelle de l'Iliade : l'enfant n'ayant pas la parole, il ne peut exprimer sa douleur, ses craintes, dans cette fameuse scène des adieux entre Hector et Andromaque chez Homère (chant VI), scène que le dramaturge réécrit en mode halluciné. L'épouse, comme une devineresse habitée, fait parler à travers elle, en style direct, le défunt  c'est une forme de prosopopée plus aboutie encore que la simple invocation d'Hector, deux scènes plus tôt (« Pardonne, cher Hector, à ma crédulité… « v. 940-47). Après avoir ainsi fait revivre son mari l'espace d'un souvenir, une Andromaque plus lucide considère la seconde partie du dilemme (v. 31-40) : dans une série de questions rhétoriques, dont la réponse est évidemment négative, elle s'adresse à elle-même des reproches implicites, puis invoque Pyrrhus (v. 33-36) pour souligner l'innocence de son fils, enfin (v. 37-40), s'imagine parler directement à l'enfant, le rassurant virtuellement (v. 40) pour mieux s'interdire d'accepter sa mort - ce qui signifie qu'elle ira épouser Pyrrhus.        3. Le rôle catalyseur de sa confidente    Chacune des tirades aboutit donc à une décision opposée, et leur contradiction reparaît dans la fin de la scène, où les répliques entre Andromaque et sa suivante s'enchaînent plus vite, parfois même en stichomythies (v. 46-47, 51-52). Céphise a le don de rappeler que les événements suivent leur cours (v. 16, 46) ou de poser des questions brutales sur la marche à suivre (v. 42, 47, 51) : froidement, comme extérieure à la douleur d'Andromaque, elle incarne en quelque sorte le sablier tragique, pressant toujours sa maîtresse d'agir tout en soulignant les implications intolérables de chaque aspect de l'alternative - la princesse troyenne sera toujours infidèle à elle-même, quoi qu'elle fasse : à son peuple si elle épouse Pyrrhus, à son seul amour si elle laisse mourir son enfant.    En rappelant, à chaque pause du chant monologué, les éléments escamotés par le héros dans sa présentation du conflit, le confident joue le rôle d'un révélateur, d'un accoucheur de lucidité, et accélère le processus d'aveu ou de décision (cf. les aveux de Phèdre à Oenone, conclus par ce vers à deux voix : « Hippolyte ! Grands dieux ! - C'est toi qui l'as nommé ! « v. 264, Phèdre, acte I, sc. 3). Dans le cas d'Andromaque, hantée par des souvenirs indélébiles, c'est grâce à Céphise qu'elle mesure sa double chaîne morale : le spectateur naïf qui croit qu'elle temporise une dernière fois en voulant méditer sur le tombeau d'Hector (v. 52), comprendra dès la scène 1 de l'acte IV que ce geste était déjà une décision - celle de rester en tout fidèle aux cendres de son mari, donc de protéger leur enfant en engageant Pyrrhus par le serment du mariage, et de se protéger elle-même d'un tel mariage en se suicidant dans l'heure.

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