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350 000 réfugiés : un nouveau désastre humanitaire en perspective

Publié le 17/01/2022

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10 décembre 2000 L'INGÉRENCE internationale sous toutes ses formes - politique, militaire et humanitaire - n'a pas permis d'endiguer le principal foyer de déstabilisation en Afrique de l'Ouest, qui s'est étendu à la Guinée à partir du Liberia et de la Sierra Leone. Il y a même des raisons de penser que cette implication a pu attiser ce conflit régional. En Sierra Leone, 12 500 casques bleus de l'ONU et un fort contingent expéditionnaire britannique ont, non sans mal, repoussé vers l'intérieur du pays les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF), qui étaient parvenus, en mai, jusqu'aux portes de la capitale côtière, Freetown. Renvoyés en brousse, les combattants du RUF ont fini par traverser les frontières, en quête de nouvelles terres à butin. Sans logistique aucune, vivant de rapines, ils n'avaient guère d'autre choix. Leur chef historique, Foday Sankoh, attend en détention sa comparution devant un tribunal international ad hoc, appelé à le juger pour crimes de guerre, voire pour crimes contre l'humanité. Abhorrés par le monde entier comme des « coupeurs de bras », ses partisans n'ont plus aucune cause à défendre, plus aucune condition politique à poser. Ils ont dû accepter, le 10 novembre, un cessez-le-feu, qui doit permettre aux forces internationales de les déloger ou, du moins, de se déployer dans le territoire qu'ils contrôlent. Dès lors, les raids lancés à l'intérieur de la Guinée - un pays déjà divisé par l'usage politique de l'ethnicité - n'ont rien d'étonnant. D'autant que le sous-sol de ce possible sanctuaire de repli regorge de richesses : outre la bauxite, en grande quantité, et le minerai de fer très pur des monts Nimba, limitrophes du Liberia, il recèle de l'or et des diamants. Une commission d'enquête de l'ONU, et avant elle les services occidentaux de renseignements, ont accusé le président du Liberia, Charles Taylor, de tirer les ficelles de la déstabilisation régionale. Chef de guerre élu en 1997 chef d'Etat, Charles Taylor est l'allié « organique » du RUF dont le fondateur, Foday Sankoh, a été l'un de ses lieutenants pendant la guerre civile au Liberia. En mars 1991, c'est à partir du sol libérien que la rébellion a été « exportée » vers la Sierra Leone. Le Liberia de Charles Taylor, aujourd'hui mis au ban des nations et frappé de sanctions, prouve en Guinée que sa capacité de nuisance reste intacte. Ce message est destiné, surtout, aux Américains. Washington, après avoir « laissé sa chance » à l'ancien seigneur de la guerre de se muer en homme d'Etat, prépare désormais les conditions de son renversement. Au-delà de l'interdiction de tout commerce de diamants libériens, décrétée par l'ONU, les Etats-Unis envisagent de geler les avoirs du Liberia dans les banques américaines et de s'attaquer au pavillon de complaisance que le petit Etat ouest-africain prête, contre redevance, à la partie la moins honorable de la flotte marchande internationale. Moins stratégique, mais vexatoire : ils refusent déjà à M. Taylor et à son entourage tout visa d'accès au territoire américain. Il n'en faut pas plus pour que le maître de Monrovia - d'ordinaire déjà enclin à la paranoïa - soupçonne Washington d'aider en sous-main ses ennemis de l'Ulimo (United Liberation Movement), une faction de la guerre civile au Liberia qui n'a pas déposé les armes et continue d'opérer à partir du sud - est de la Guinée voisine. NÉGLIGENCE COUPABLE En Guinée forestière, la bombe humanitaire ne demandait qu'à être dégoupillée. Depuis de longues années, quelque 350 000 réfugiés sierra-léonais vivent dans ce triangle de confluence avec le Liberia et la Sierra Leone. Ils sont installés dans des camps à proximité des frontières. Aucune leçon n'a ainsi été tirée du précédent constitué par le chapelet des camps hutus dans l'est de l'ex-Zaïre qui, dans un contexte politique certes différent, avaient été dispersés manu militari, à l'automne 1996, par les troupes rwandaises et ougandaises mises au service du chef rebelle congolais Laurent-Désiré Kabila. Même si, aux dernières nouvelles, la grande masse des réfugiés sierra-léonais semble être restée dans la « langue de Guékédou », au sud-ouest de la ville du même nom, il s'agit là d'une négligence coupable que la communauté internationale se doit d'assumer. Chargé du problème, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) met en avant le manque de fonds. Bien que seulement 35 dollars par jour soient dépensés pour un réfugié africain - par rapport aux 120 dollars que coûte un réfugié dans l'ex- Yougoslavie - le budget pour l'Afrique de l'organisme spécialisé de l'ONU, qui dépend de contributions volontaires, n'est couvert qu'à 60 %, alors que celui pour le Kosovo l'est à 90 %. « De plus en plus, les droits de l'homme sont, en fait, les droits de l'homme blanc », commente un diplomate dans la capitale guinéenne. Il souligne, par ailleurs, que « le manque de cohérence des interventions bi-ou multilatérales dans la région fait porter le chapeau à l'humanitaire ». Quand, après les attaques du début du mois, le HCR a évacué tout son personnel de la Guinée forestière, pour des raisons de sécurité évidentes, il a en même temps abandonné 350 000 personnes à un sort incertain. L'aide humanitaire peut-elle « fixer », dans un pays comme la Guinée - l'un des plus pauvres du monde - quelque 500 000 réfugiés et, en cas de crise extrême, mettant en jeu la survie de ces populations, retirer ses agents d'aide du jour au lendemain ? Comment la communauté internationale, fortement engagée dans la région, peut-elle justifier cet abandon ? Si l'action vis-à-vis du Liberia était l'exemple de la lutte contre les « Etats voyous », et l'intervention en Sierra Leone celui d'une opération militaro-humanitaire au secours d'une population traumatisée, le cas de la Guinée serait la preuve que l'un et l'autre sont décidément bien mal engagés.

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