Le sport est-il notre nouvelle religion ?
Publié le 28/09/2010
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Les penseurs de jadis n'auraient pu prévoir notre obsession des sports d'hiver et des records sportifs. Ce phénomène tient à la création des compétitions sportives et des médias qui nous font oublier le reste de l'actualité. Simultanément chauvin et universaliste, le sport est le seul probablement à susciter un enthousiasme mondial. Les Olympiades modernes restaurent les Jeux grecs fondés sur le dépassement personnel, se rapprochant ainsi de la science, elle aussi avide d'avancer. La volonté de dépasser l'autre, même critiquée, gouverne les Jeux. Les industriels les exploitent pour vendre leurs produits et, fait récent, un budget énorme les alimente ; leur retentissement universel est mis au service de tous les régimes politiques. Comme d'autres fêtes, les Jeux s'accompagnent de manifes-tations spectaculaires, dans un monde où tout est mis en scène. Presque revenus à l'idéologie* antique, nous n'offrons cepen-dant qu'inégalement le « pain «, tandis que les « jeux « sont représentés partout abondamment. Le sport incarne peut-être la foi dans notre univers désabusé, le corps athlétique jouant le rôle auparavant dévolu à l'esprit et redonnant une âme au monde contemporain.
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Le sport semble donc bien apporter une réponse, quasi religieuse, aux incertitudes du monde moderne en proie àl'individualisme exacerbé, aux nationalismes virulents et à un matérialisme qui nous prive de morale.
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Mais, malheureusement, l'on se rend compte que le sport n'est qu'une caricature de la religion et qu'il feint d'adopterdes valeurs qu'il ne cesse de pervertir.
Ainsi la valorisation du corps sportif sous-tend-elle la dévalorisation de celuiqui ne pratique pas de sport et se mettrait ainsi en dehors de la grande fraternité humaine.
La culture physique àoutrance est le nouveau culte de nos sociétés occidentales, à en juger par les clubs de remise en forme qui semultiplient, les modèles qu'imposent les revues féminines ou pseudo-médicales.
C'est encore l'outrance qui conduitles sportifs à n'être plus des hommes mais des machines réglées pour des records, purement mécaniques, puisquenous en sommes aux centièmes de secondes dans les compétitions de ski, de natation ou d'athlétisme.
Cette course au record qui fausse l'esprit olympique par exemple s'apparente au fanatisme, tout comme d'autresattitudes, des supporters cette fois, dont les exactions dans les stades ne se comptent plus.
L'hystérie collective àHeyzel en 1985 par exemple est celle d'esprits fanatisés par le football et un parti pris dangereux puisqu'il se fondesur le chauvinisme le plus étriqué et le nationalisme le plus borné.
Le sport devient aussi l'arène où croient se réglerles conflits ethniques ou politiques.
C'est ainsi que les Etats-Unis ont boycotté les Jeux olympiques de 1980 àMoscou parce que les troupes soviétiques avaient envahi l'Afghanistan ; les Soviétiques à leur tour ont boycotté lesJeux de Los Angeles.
Plus grave, Hitler a refusé de reconnaître Jesse Owen en 1936, pourtant quadruple médailled'or, parce qu'il était Noir.
C'est un peu comme si le sport de notre siècle permettait de retracer l'histoire de labarbarie moderne qui se cache sous des dehors flatteurs de pureté, de gratuité et de spiritualité.
Plus inquiétanteencore est cette manie qu'ont les dictatures d'utiliser les stades comme prisons, tels le Vel' d'Hiv' à Paris en 1942 oule stade de Santiago du Chili dans les années soixante-dix, sans que les autorités sportives y trouvent à redire.
Si le sport est une religion, c'est avec ce que Karl Marx reprochait à celle-ci : d'être « l'opium du peuple ».Effectivement, le sport sert aux États à occulter les véritables problèmes de la société.
C'est ainsi qu'en ce mois dejuin 1993 où sont prises de graves décisions sociales qui engagent l'avenir des citoyens, les médias sont davantagepréoccupés par les misérables corruptions qui mettent en cause deux clubs de football français ! De la mêmemanière, la guerre dans l'ex-Yougoslavie est passée au second plan lors des Jeux olympiques de Barcelone à l'été1992.
Que les médias informent des manifestations sportives ou des scandales qui entachent le monde du sport,soit, mais ils doivent aussi équilibrer la part accordée à chaque type d'informations.
Le sport dispense de la réflexionet endort les consciences tout en véhiculant une idéologie* du pouvoir et de l'argent, loin du mépris des biensmatériels préconisé par nombre de religions.
Les idoles sportives acceptent d'être les supports publicitaires desindustriels et elles brillent par leur appât du gain, faisant état de revenus proprement scandaleux dans une sociétédont 10 % de la population active est au chômage.
Alors que l'on avait trouvé scandaleuse la richesse de l'Église, onaccepterait que les sportifs professionnels croulent sous l'or ? Étrange sens de la fraternité humaine...
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Pourtant, le sport contient en lui de quoi redonner foi en l'homme dans ce monde auquel nul ne croit plus guère.Mais il faut d'abord le moraliser en commençant par le problème
financier : que les athlètes ne soient plus abusivement payés, et que les clubs sportifs soient assainis.
La moraleimplicite du sport est que l'effort paie, que la régularité de l'entraînement est une discipline essentielle mais aussique, et c'est important, nous avons tous nos limites à connaître pour mieux les gérer.
Il ne s'agit donc pas d'uneidéologie* du dépassement à tout prix, de la victoire à l'arraché et dans la souffrance mais d'une prise en compte denotre nature humaine, physique et psychologique.
Ensuite, le sport devrait retrouver sa fonction ludique, c'est-à-dire de loisir, répondant aux trois fonctions que lui aassignées le sociologue Georges Dumazedier : le délassement, le divertissement et le développement.
Il est bon decroire, certes, mais en un épanouissement personnel, et non plus par procuration, pour se ménager un espace deliberté que n'offre pas le monde du travail.
Si nous savons encore jouer, pour le plaisir d'être ensemble, tout n'estpas perdu et l'humanité est digne de foi.
L'homme qui ne croit plus en rien peut, par le sport envisagé comme un jeu,croire en lui-même, en ses capacités et en leur amélioration ; il retrouve confiance à l'intérieur du groupe qu'est leclub sportif ou l'équipe du match.
C'est en ce sens que des moralistes comme Michel de Montaigne ou FrançoisRabelais préconisaient l'exercice physique dans le cadre d'une éducation parfaite.
Il faudrait favoriser l'amateurismeplutôt que la compétition excessive et éviter d'investir une part non négligeable du budget des nations dans desopérations ruineuses telles que les Jeux olympiques dont une petite partie seulement des équipements construits àcette occasion resservent ensuite.
Des initiatives heureuses sont prises comme celle qui consiste à offrir un murd'escalade à des adolescents démunis du XXe arrondissement de Paris : plus qu'un sport physique, c'est l'imagemême de la confiance en eux qu'ils peuvent y découvrir, de la possibilité de s'en sortir, de ne plus rester au pied dumur justement.
C'est à ces seules conditions enfin que le sport pourrait devenir un facteur de paix universelle, non le seul, mais plusefficace peut-être que les religions enclines à prétendre détenir chacune la vérité.
Il n'y a pas de vérité en sport, etdonc théoriquement pas de risque de fanatisme.
Le véritable esprit sportif consiste à accepter de perdre, àreconnaître la valeur de son adversaire, de quelque nationalité qu'il soit.
La Charte olympique, négligée par lesautorités sportives, précise que le but des J.O.
est « d'éduquer par le sport la jeunesse dans un esprit de meilleurecompréhension mutuelle et d'amitié, contribuant ainsi à construire un monde meilleur et plus pacifique » ; elle insiste.
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