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L'APOLOGÉTIQUE AU XVIIIe siècle

Publié le 17/01/2022

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Partout où le Christianisme avait partie liée avec l'État, l'État venait à son secours. En Espagne, la publication et même la diffusion des œuvres impies était particulièrement difficile; à côté, voire au-dessus du pouvoir royal, veillait l'Inquisition. De même au Portugal : le 18 octobre 1738, Antonio José da Silva est étranglé, puis brûlé dans un autodafe à Lisbonne; en 1778 encore, Francisco Manoel do Nascimiento, accusé de ne pas croire au Déluge, de jeter le ridicule sur la doctrine du péché originel, est emprisonné; il n'échappe à son procès qu'en s'évadant. En France, où toute attaque contre le droit divin était un crime de lèse-majesté, la censure, le privilège des libraires, les condamnations prononcées par les évêques et par l'Assemblée du clergé, les interventions du Parlement, les sanctions royales, essayaient d'endiguer le flot montant de l'incroyance. Dans l'Italie morcelée, les cas étaient variables : la Toscane était indulgente et laissait réimprimer chez elle l'Encyclopédie ; le grand-duché de Parme, francisé, montrait peu de rigueur; à  Venise, ville du commerce, on fermait volontiers les yeux sur la nature de la marchandise : tandis que Rome était sévère, et que le Piémont prenait des mesures tracassières ou violentes. En Autriche, Marie-Thérèse était particulièrement soupçonneuse : à Vienne, la censure fit interdire le Catalogue de l'Index, parce que la seule lecture des titres aurait pu donner la curiosité de lire les ouvrages dont il valait mieux, pensait-elle, que l'existence même demeurât insoupçonnée. A mesure que la propagande philosophique devenait plus active, s'accentuait la rigueur. Interdictions, prohibitions, s'aggravaient, dans les pays mêmes où, au début du siècle, on avait fermé les yeux.

 

« difficultés de la nomenclature pour qu'elle n'embarrassât nulle part; ils traduiraient les citations, qui cesseraientd'être des hiéroglyphes; ils donneraient un ouvrage qui pût tenir lieu de bibliothèque, dans tous les genres à unhomme du monde, et dans tous les genres, excepté le sien, à un savant de profession.

Un geste, quelquessecondes, le temps de chercher un mot, et les plus ignorants deviendraient les plus instruits.

On connaît l'anecdoteimaginée par Voltaire, en guise d'illustration.

Comme Louis XV soupait à Trianon en petite compagnie, on parla dechasse, puis de poudre à tirer : on s'aperçut que personne ne savait au juste de quoi était composée cette poudre.Mme de Pompadour ne savait ni d'où venait le rouge qu'elle se mettait sur les joues, ni comment on fabriquait lesbas de soie dont elle se chaussait.

Or cette ignorance a son remède : on fait un signe, et les valets apportent lestomes de Y Encyclopédie.

On se renseigne sur la poudre, sur le rouge et sur les métiers à tisser les bas ; bientôtchacun se jette sur les volumes comme les filles de Lycomède sur les bijoux d'Ulysse, et rencontre à l'instant ce qu'ilcherchait.

Les plaideurs y trouvent la décision de leurs procès, le roi y lit les droits de sa couronne.

Tandis qu'oncontinue à feuilleter, le Comte de C*** dit tout haut : — « Sire, vous êtes trop heureux qu'il se soit trouvé sousvotre règne des hommes capables de connaître tous les arts et de les transmettre à la postérité.

Tout est ici,depuis la manière de faire une épingle jusqu'à celle de fondre et de pointer vos canons, depuis l'infiniment petitjusqu'à l'infiniment grand...

» L'Europe ouvrirait un nouveau livre décomptés : Sancti Thomae Aquinatis Summa theologica, in qua Ecclesiaecatholicae doctrina universa explicatur, pour les philosophes c'était le passé, ce serait l'oubli ; Encyclopédie} ouDictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, c'était l'aube et lejour.

Il fallait — cette expression encore revenait sous leur plume, impérieuse — il fallait faire l'inventaire du connu,et, pour cela, tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement; fouler aux pieds les vieilles puérilités,renverser les idoles que désapprouvait la raison ; et au contraire, mettre un signe glorieux sur les valeurs modernes.Les enfants du siècle voulaient être libres; et ainsi leur œuvre ne serait pas le fait du prince, ne ressemblerait pas àces entreprises officielles qui se traînent si lentement qu'elles sont en retard sur l'évolution des croyances; la leur nedevrait rien à un gouvernement donné.

Elle se passerait des concours de toute Académie, une Académie n'étantjamais qu'un groupe étroit; seuls, un sentiment dé bienveillance réciproque et l'intérêt général uniraient lescollaborateurs.

Les enfants du siècle ne voulaient pas être des amuseurs, des dilettantes : aussi l'Encyclopédie necontiendrait-elle rien de superflu, rien de suranné; tout y serait en action, et vivant; on ne se contenterait mêmepas d'expliquer et de décrire, des gravures et des planches montreraient les formes concrètes du travail incessantqui crée la civilisation.

Les enfants du siècle voulaient être des constructeurs ; ils ne se laisseraient pas détournerde leur but en s'attardant dans le passé, voire même en dénonçant une à une les erreurs historiques, comme avaitfait Bayle; bien plutôt travailleraient-ils à l'assemblage des matériaux nécessaires à la Cité.

Les enfants du siècleseraient fidèles à leurs dieux, la raison, la nature : « Aujourd'hui que la philosophie s'avance à grands pas, qu'ellesoumet à son empire tous les objets de son ressort, que son ton est le ton dominant, et que l'on commence àsecouer le joug de l'autorité et de l'exemple pour s'en tenir aux lois de la raison, il n'y a presque pas un ouvrageélémentaire et dogmatique dont on soit entièrement satisfait.

On trouve ces productions calquées sur celles deshommes, et non sur les vérités de la nature.

On ose proposer des doutes à Aristote et à Platon, et le temps estarrivé où les ouvrages qui jouissent encore de la plus haute réputation en perdront une partie, ou même tomberontentièrement dans l'oubli...

Tel est l'effet du progrès de la raison.

» Les résultats seraient grands.

Car personne nepourrait contester, d'une part, que le Dictionnaire universel ne fût au niveau du temps; et de l'autre, si tous leslivres venaient à disparaître dans quelque cataclysme et qu'il restât, rien ne serait perdu, le savoir humain seraitsauvé.Ayant cette claire notion de leur idéal; rassemblant les connaissances éparses sur la surface de la terre, pour enexposer le système général à leurs contemporains, le transmettre à ceux qui les suivraient, de façon que leurspetits-neveux, devenant plus instruits, devinssent plus vertueux et plus heureux : loin d'être effrayés par l'ampleurde la besogne, ils s'enivraient à l'idée de cette vendange infinie.

D'où l'enthousiasme des débuts, les proclamationshardies, les promesses, l'appel lancé à ceux qui comptaient dans la république des lettres et des sciences; ce n'estpas l'amour de l'argent qui anime Diderot et d'Alembert qu'il s'associe, quand ils se mettent à la tête de l'entreprise :bien plutôt dirigent-ils une croisade, la croisade de la philosophie.

D'où cette grande attente et ce frémissement,lors de la publication du prospectus, au mois d'octobre 1750; et du premier volume, le 1er juillet 1751.D'où la contre-ligue des adversaires qui signalent aussitôt le danger.

D'où l'émotion se propageant, quand lapublication est une première fois, puis une deuxième fois arrêtée.

D'où les péripéties dont le détail est si connu quenous n'avons pas à y revenir, et ce jour douloureux où Diderot s'aperçoit que le libraire Le Breton mutile secrètementses articles :. »

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