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Voix et identité

Publié le 02/03/2023

Extrait du document

« « L’invisibilité de la voix semble en résonance avec l’intériorité du sujet qu’elle révèle, écrit David Le Breton.

Elle dit une subjectivité, une singularité.

» La voix est plus que la présence d’un corps, elle est autant qu’un sourire, un visage, un regard…Personne ne pourrait remettre en cause cette évidence : la voix est symbole d’identité, tant personnelle que culturelle.

Pour autant, il est pertinent de se questionner sur ce qui dans la voix participe à notre identité.

Il est manifeste que cette question relève plusieurs niveaux de réflexion.

Je souhaiterais traiter dans mon écrit des différents concepts qui étayent ma compréhension de la place de la voix dans notre construction identitaire.

J’aborderais ensuite en quoi la voix est à la fois représentative de notre singularité mais aussi de notre appartenance.

J’évoquerais le concept d’identité sonore développé par E.

Lecourt qui me semble étayer de manière juste ce double mouvement.

Je terminerais en traitant de ce qui fait de la voix un puissant vecteur de communication intersubjective.

Au cours de cet exposé, je tenterais d’articuler ces éléments théoriques avec la pratique musicothérapique en m’étayant sur mes expériences de stages et professionnelles. La voix «nait» dès les premiers instants de la vie, le fœtus perçoit dès 14 semaines de gestation l’environnement sonore dans lequel il évolue.

Durant la grossesse, il va principalement commencer à s’ouvrir et à s’éveiller au monde à travers la sphère sonore dont la voix de sa mère en est une composante essentielle.

Elle peut par ses qualités rythmiques et mélodiques apporter de l’apaisement (réduction du rythme cardiaque) ou le stimuler.

Il est sensible à ses variations.

Elle est distincte des autres voix puisqu’elle est plus audible (conduction aérienne, par les fluide, conduction osseuse).

À travers la régularité des sons qui entoure le fœtus, il va éprouver la continuité de son sentiment d’exister, et amorcer l’ébauche d’une contenance psychique. L’enfant vient au monde par son premier cri, cette première expression est celle d’une souffrance respiratoire.

Par ce qu’elle transmet des préoccupations maternelles, sa mère vient donner aux cris du nourrisson, un sens, une reconnaissance de sa singularité et de ses besoins.

Freud écrit : « La voie de décharge (le cri) acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrême importance : celle de la compréhension mutuelle.

»1.

D’autre part, un nouveau-né reconnait d’emblée la voix de sa mère parmi les autres.

« La voix maternelle va venir faire continuité face au traumatisme de la naissance »2 ,elle le rend plus supportable.

Le nourrisson fait particulièrement la distinction entre celle-ci et les bruits, il la privilégie.

Elle est l’élément central du fond sonore dans lequel le bébé fait ses premières expériences.

De cette première enveloppe sonore, s’amorce la construction d’un premier espace intérieur. D.

Anzieu écrit : « Avant que le regard et le sourire de la mère qui allaite ne renvoient à l’enfant une image de lui qui lui soit virtuellement perceptible et qu’il intériorise pour renforcer son Soi et ébaucher son Moi, le bain mélodique (la voix de la mère, ses chansons, la musique qu’elle fait écouter) met à sa disposition un premier miroir sonore dont il use d’abord par ses cris (que la voix maternelle apaise en réponse), puis par son 1 S.

Freud, « L’esquisse d’une psychologie scientifique » (1895), dans La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991, p. 33. 2 Rank O.

-Le traumatisme de la naissance- édition Payot 1924 gazouillis, enfin par ses jeux d’articulation phonématique.

»3 Ainsi, la voix de la mère est aux prémices des premières interactions du nourrisson.

Elle l’accompagne dans la compréhension et la représentation du monde qui l’entoure.

Par sa voix chantée ou parlée, la mère met à disposition du bébé un premier miroir sonore.

C’est un « bain sonore », une peau « audiophonique », qui « entoure, nourrit et chérit l’enfant », un premier espace psychique dans lequel la mère exprime au bénéfice de son enfant quelque chose sur luimême, et qui constitue la base du développement de son propre sens du moi. À partir de la notion du moi-peau et des enveloppes de D.

Anzieu, E.

Lecourt développe le concept d'enveloppe sonore à double feuillet : l’un externe, appelée musicale, formée des sons de l'environnement et l'autre interne, appelée verbale, constituée des sons que l’individu produit.

L'enveloppe sonore a une fonction de pare-excitation en protégeant des stimuli auditifs qui peuvent effracter.

Elle sert aussi de contenant en permettant de retenir et de transformer des éléments sonores bruts en éléments mentalisables.

Enfin, elle forme une barrière de contact en différenciant le dedans et le dehors tout en assurant la communication entre ces deux espaces.

Cette notion vient soutenir l’importance de la voix de la mère dans la constitution du moipeau, à la fois contenante physique par l’apaisement qu’elle lui procure, et contenante psychique par la mise en mots des sensations corporelles et plus particulièrement sonores du nourrisson. Winnicott évoque lui la notion de mère « suffisamment bonne », c’est-à-dire suffisamment mauvaise pour faire vivre le manque à son enfant en le laisser insatisfait, désirant et lui fournir des mots (des signifiants) pour symboliser ce manque.

Dans l’expérience du manque de la mère, l’enfant accède au langage.

Le symbole permet de nommer l’absence et favorise la séparation, l’individuation.

Ainsi, un dialogue sonore s’engage entre mère et bébé comme une amorce de « phénomène transitionnel »4.

N’appartenant ni vraiment à l’extérieur ni vraiment à l’intérieur, ni vraiment à la mère ni vraiment au nourrisson, les vocalisations partagées créent un « espace transitionnel » dans lequel, le « self » du bébé peut se développer. Par l’utilisation du « mamanais », langage adressé au nourrisson, par les inflexions dans les aigus, les contrastes volontairement marqués dans la prosodie, la mère s’ajuste aux capacités d’engagement relationnel du nourrisson.

Daniel Stern décrit un « accordage affectif » dans les interactions mère-bébé, un ajustement dynamique fait de régularités et de variables.

Cet ajustement est source de sécurisation propice à la construction de l’identité subjective.

Il permet aussi l’introduction de la surprise qui capte l’intérêt du bébé. Ainsi, le développement du langage chez le nourrisson se fait par le biais de ses premières interactions sociales et affectives avec sa mère et le reste de son entourage.

A l’écoute des prosodies de la voix de ses parents, l’enfant vocalise en mimétisme.

Le babillage du bébé peut être considéré comme un acte de parole, de mise en sens.

Il vient signifier l’intérêt qu’il porte à l’autre.

Ces premiers échanges sociaux sont les prémices de son inscription dans une culture, une société en tant qu’individu. La voix du père a un rôle fondamental dans cette étape de la construction identitaire.

En effet, une identité ne peut se construire que dans la relation à l’autre.

Le sujet humain ne peut accéder à lui-même que s’il est confronté à la différence et à l’altérité.

« La voix paternelle introduit la distance, la coupure, parce qu’elle 3 4 Anzieu D.

« l’enveloppe sonore du soi », Nouvelle revue de psychanalyse n°13 1976 Winnicott D.

« Jeux et réalité, un espace du potentiel » 1971 est écoutée moins continûment que celle de la mère, dans une tessiture plus grave que la sienne, ce que le bébé repère immédiatement.

»5. Freud évoque dans la construction du psychisme, le rôle de la voix du père dans les prémisses de la construction surmoïque en posant l’interdit de l’inceste.

Lacan quant à lui a montré l’importance de la « métaphore paternelle » pour l’acquisition du langage : elle signifie le désir de la mère pour le père.

C’est ce processus qui instaure le père comme instance séparatrice entre la mère et l’enfant.

En entendant la voix paternelle, l’enfant perçoit la différence avec celle de sa mère ; par son altérité, il rompt le vécu fusionnel indifférencié.

De la voix du père, l’enfant apprend à être lui-même, à prendre conscience de la distance et de la différence.

Dans cette discontinuité, l’enfant pourra progressivement accéder au langage et à la culture. A la lumière de ses différents éléments, on perçoit combien la voix dans les interactions précoces est un élément essentiel dans la construction identitaire d’un individu.

Cependant parfois la communication mèreenfant s’effectue sur un mode discordant ou indifférent, la sensation d’harmonie et de synchronisation n’est pas expérimentée.

Ce défaut de communication peut s’exprimer par des injonctions paradoxales (sur le plan de l’intonation, de la langue), ou bien la voix maternelle peut être discordante, brusque ou froide.

Parfois, le père ne peut jouer son rôle de tiers séparateur favorisant la rencontre à l’autre.

L’enfant se trouve alors en constante suradaptation à son environnement, trop occupé à cela, il ne peut construire des assises identitaires suffisamment solides. Dans mon activité professionnelle, je rencontre principalement des patients dont les assises identitaires sont fragiles et qui interagissent essentiellement en « faux-self ».

Il est nécessaire d’aborder avec délicatesse un travail régressif venant rejouer les expériences précoces douloureuses.

Il me semble que le travail de la voix dans sa dimension expressive est un outil intéressant, que ce soit individuellement ou.... »

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