Les différentes formes de la mémoire.
Publié le 16/02/2011
Extrait du document
— I — Il y en a UNE selon Ribot et selon William James et c'est une forme de l'habitude — « La mémoire est par essence un fait biologique ; par accident, un fait psychologique ; ce qui importe, ce sont les connexions dynamiques entre les neurones « — (Ribot « Les maladies de la mémoire «, 1881) — « Ce sont les voies nerveuses qui conditionnent la mémoire «, écrit de son côté W. James (« Précis de Psychologie «, 1884) « et sa qualité sera fonction de leur nombre et de leur persistance. Leur nombre tient à la quantité des expériences passées... leur persistance tient à une qualité native des tissus cérébraux, à ce qu'on pourrait appeler leur ténacité originelle, ou leur coefficient physiologique de rétention... «. « Le mécanisme du rappel est identique au mécanisme de l'association «, dit ailleurs W. James, « et le mécanisme de l'association s'explique essentiellement par le simple jeu de la loi d'habitude dans les centres nerveux... et cette même loi d'habitude est encore à la base du mécanisme de la conservation. La conservation n'est aucunement un fait d'ordre psychologique, mais bien un pur fait physiologique ; c'est à vrai dire un simple détail morphologique : la présence de voies nerveuses dans les derniers replis du cerveau... Le rappel par contre est un fait psycho-physiologique, c'est-à-dire un fait à deux faces : à sa face physiologique, il n'est que l'excitation des voies nerveuses dont nous avons parlé ; à sa face psychologique, il n'est que la représentation consciente de l'événement passé que nous reconnaissons... «.
«
— III — Il y en a DEUX aussi selon Pradines.
L'auteur du « Traité de Psychologie générale » part d'abord d'uneconception pragmatique de la mémoire analogue par certains côtés à celle de Bergson (« Reconnaître un objet, c'estsavoir s'en servir »).
La mémoire serait ainsi avant tout une fonction vitale : prospective comme nous l'avons vu àpropos des perceptions.
Elle nous permet d'attendre tel phénomène quand apparaît son antécédent connu ; etperceptive dans la mesure où le souvenir fait corps avec la perception puisqu'il lui donne sa signification.
Or cette mémoire originelle est fécondée par deux fonctions : l'imagination et la raison.
De là, deux mémoirestypiquement humaines : la mémoire esthétique et la mémoire intellectuelle.
1 — La mémoire esthétique ou imaginative.
L'imagination (qui, selon Pradines, crée les images) fait passer lesouvenir du stade perceptif au stade d'image-souvenir dégagé de la perception.
La première œuvre d'art humaine consiste, pour l'homme, à se donner un spectacle fictif soit de lui-même, soit deschoses, grâce à l'imagination tirant ses aliments de la mémoire perceptive.
Il y a là une « imitation » du souvenir quidevient esthétique dans la mesure où il n'est plus utile.
Cette mémoire imaginative est une mémoire de rêve, unemémoire d'images plus qu'une mémoire du passé.
Tout se passe comme si l'imagination, puissance créatrice de fiction, détournait la mémoire de sa fonctionprospective et perceptive, sauvait de la destruction les souvenirs inutiles et vivifiait le souvenir coupé de sesracines pragmatiques pour en faire une image pure, une image fixée.
2 — La mémoire intellectuelle ou rationnelle.
La raison a besoin d'un ordre et de rapports intelligibles.
Composéeavec la mémoire, elle crée l'ordre du temps, l'ordre chronologique.
Au service du souci de comprendre, la mémoirelogique prend ces souvenirs-images et en fait « des états successifs et temporellement enchaînés, d'une mêmepersonne.
» C'est à cette mémoire intellectuelle que le souvenir-image doit son caractère de passé et le sentimentplus ou moins clair qu'il a une place et une date dans l'histoire du moi.
La raison crée le passé parce qu'elle cherche des causes ; la pensée du temps est la pensée de la causalité dansl'ordre de la vie intérieure.
Par là, la mémoire, qui était d'abord prospective, devient rétrospective.
Ainsi, « la perception illumine la mémoire », écrit Pradines, mais elle en illumine la face prospective, celle que lamémoire tourne vers elle, et nous avons montré que la mémoire ira d'abord pas d'autre face, qu'elle n'a aucun besoind'en avoir une autre, qu'elle est d'abord et pour longtemps — jusqu'à l'avènement de l'homme — prospective de parten part...
».
C'est « la mutation humaine » qui, tirant la
mémoire de son engagement perceptif, permet la fixation du souvenir par l'imagination, et l'organisation du cadretemporel et de la personne par la raison.
— IV — Il y en a TROIS selon Jean Delay.
Dans « les Maladies de la mémoire » (1942), Jean Delay, se fondant sur lapathologie qui dissocie ces mémoires, distingue :
1 — La mémoire sensorio-motrice, qui permet la reconnaissance de la perception.
C'est pratiquement la mémoireperceptive de Pradines.
Le sujet chez qui cette modalité de mémoire est atteinte perçoit des qualités séparées,mais ne fait pas la synthèse de l'objet et ne peut le nommer.
La malade à qui on met dans la main une petite cuillère ou un crayon (les yeux étant bandés) décrira l'objet sans lereconnaître.
2 — La mémoire autistique qui est la fixation des souvenirs personnels et la remémoration dé ce qu'on a fait dans unpassé plus ou moins proche sans localisation exacte mais avec le sens du passé.
Le malade chez qui cette forme demémoire est dissoute n'a plus de souvenir de ce qu'il fait ou de ce qu'il a fait.
Il tend, par exemple, la main àl'infirmier toutes les fois qu'il le croise dans la journée, comme s'il le voyait pour la première fois.
3 — La mémoire sociale liée aux cadres sociaux, à la personnalité et à la logique.
Le malade ne peut plus localiserses souvenirs ni les reconnaître comme étant ses souvenirs.
Il semble bien qu'un trouble de cette mémoire entraîneun trouble de la personnalité.
— V — Combien y a-t-il donc de mémoires ? Et qu'est-ce que la mémoire ? Tous les auteurs sont d'accord surl'existence de la « mémoire perceptive », c'est-à-dire sur cette mémoire élémentaire immédiate et engagée dans laperception, grâce à laquelle les choses et les êtres sont reconnus, par laquelle les objets ont une signification etsans laquelle l'action serait impossible.
On peut très bien ramener cette mémoire à l'habitude puisque l'objet ou l'êtrereconnu c'est celui qui nous est déjà familier, ou pour lequel nous avons un comportement adapté.
L'habitude, c'estla mémoire s'inscrivant dans notre comportement, faisant corps avec lui, de même que la perception, c'est lamémoire s'inscrivant dans la sensation et ne faisant qu'un avec elle, à l'état normal.
Mais la mémoire au sens strict est autre chose que cette mémoire jouée, mémoire inconsciente à l'œuvre dansl'action présente, c'est la possibilité typiquement humaine de « décoller » du présent et de l'action, et de « plongerdans l'horizon du passé » (Merleau-Ponty) ; c'est le « sens du passé » solidaire d'un sens de l'avenir.
Tout se passecomme si l'homme était l'être capable de s'élever au-dessus du présent et de découvrir un nouvel horizon en.
»
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