Lecture lacanienne d'un Amour de Swann
Publié le 14/12/2023
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Lecture lacanienne d'un Amour de
Swann
Dans un Amour de Swann, Proust ébauche une étude psychologique sur le sujet
narcissique.
Si l'on se réfère à la définition qu'en donne la psychanalyse, le narcisse est cet être
dont le Moi se confond avec le monde extérieur, le prend pour terrain de jeu.
Si l'on ajoute
que chez le sujet en question, comme le soutient Lacan dans son séminaire intitulé "La
relation d'objet", l'expérience de la délimitation des frontières du Moi, qu'il appelle "stade du
miroir", n'a pas été faite, et qu'il a par conséquent tendance à s'assimiler comme faisant partie
de sa personnalité les moindres objets du quotidien, on a la description complète du caractère du
Swann amoureux.
D'abord, il y eut familiarité, bonne entente entre lui et Odette.
La trouvant
commune, "franchement l'aide", pourrait-on dire à la suite d'Aragon, il la rabroue allégrement,
la laisse venir et ne semble considérer cette relation que sous le signe d'une heureuse
bonhomie.
C'est qu'il est tout plein des figures d'anges de Botticelli, de la Laitière et la Jeune
fille à la perle de Vermeer auquel il consacre une étude.
Odette est une demi-mondaine,
ignorante et primesautière quand il s'agit de proférer des âneries : c'est bien là la dernière des
créatures dont pourrait s'enticher un esthète tel que Swann qui désire - par impéritie littéraire
sans doute (Le narrateur le dit quand il parle de son ambition de faire une grande œuvre) faire de sa vie une œuvre.
Nous verrons d'ailleurs cette prétention d'esthète dans la volonté acharnée qu'il a de
transformer une pauvre intrigue amoureuse en histoire passionnelle, s'ingéniant à combiner des
stratagèmes pour surveiller Odette ou lui être agréable.
Pour l'instant, notre Narcisse n'a donc
pas encore jeté son dévolu sur l'objet.
La familiarité heureuse dont j'ai parlé lui montre cependant, à mesure que le temps passe
en rapprochant les deux êtres, qu'Odette pourrait faire une bonne candidate pour porter ou
incarner le miroir censé réfléchir "l'image spéculaire".
Le deuxième temps de la relation
consacre la cristallisation amoureuse : quand Swann se rend chez Odette pour récupérer son
étui à cigarettes, il est frappé par sa ressemblance avec la Zéphora de Botticelli.
Il y a donc
fusion entre la figure réelle d'un être jusqu'alors tenu dans un tranquille mépris et la grande
figure admirée dans une œuvre d'art.
Creusons la chose : le narcissique a cela de particulier qu'ignorant les frontières de son
Moi, il s'ignore, ne possède pas les outils d'investigation nécessaires à l'établissement et la
conquête de sa vérité intérieure.
Il a donc besoin des yeux d'autrui pour voir en lui cette image
profonde de lui-même que Lacan rend responsable de l'objectivation perverse à laquelle il
procède.
L'image de soi, cette vérité profonde, le narcissique en sent la brûlure, les tiraillements.
C'est bien pour cela qu'il met tant d'acharnement à s'adjoindre des regards, des consciences, des
corps et des âmes.
Autour de lui, il ne voit que tas d'agents à investir de cette lourde tâche :
plonger une main experte en son cœur pour en extirper la relique, l'arche sacrée des Hébreux
où se trouvent les tables de la loi mosaïque dont parle Norge, disant dans une lucidité amère
qu'elle n'est pas en or.
Ce qui se passe dans la scène de l'appartement quand Swann rapproche
Odette de Zéphora, c'est l'élection de l'objet, objet censé à présent réfléchir à la curiosité
maladive de Swann une vérité nourricière.
L'image profonde, la vérité que porte en lui Swann, c'est cette force, cet élan qui lui
fontélire pour chefs-d'œuvre des œuvres d'art, des sonates (Celle de Vinteuil).
Dans ces choix
esthétiques, il y a un sérieux, une gravité, une importance qui font aisément deviner l'esthète :
ayant bâti sa vie sur une prétention esthétique, il tapisse le moindre recoin de son monde
d'œuvres, de gravures et d'images.
Donc, les choix d'œuvres d'art dans ce cas ne sont pas
innocents.
Les œuvres ont pour fonction, chez l'esthète, de lui révéler l'arche où se trouvent les
reliques précieuses de l'être.
Les génies ayant pu transformer leur force première en positivité
créatrice (Dernier stade du cogito ergo sum cartésien), il est naturel que les ratés de l'existence,
au nombre desquels se trouve Swann, les admirent.
La Zéphora dit de nombreuses choses à
Swann, mais surtout celle-ci : mettant face à lui la Femme, elle lui rappelle - ou lui apprend l'homme qu'il est par-delà la culture, par-delà la civilisation.
En fondant la figure d'Odette dans le moule botticellien, Swann trouve dans le monde réel
l'équivalent de cette promesse de vérité profonde sur lui-même qu'il a tant cherchée dans les
œuvres.
D'où l'élection d'Odette.
Le schéma qui s'ébauche est bien simple : Botticelli fait partie de Swann, il a été assimilé
en vertu de cette voracité du narcissique qui s'approprie tout aux fins de se connaître.
À partir du moment où s'éveille en lui le souvenir de la Zéphora, Botticelli devient
médiateur entre le Moi de Swann et l'objet Odette.
Cette médiation, dont le but est de révéler
l'image profonde que Swann porte en lui et que Botticelli ne laisse deviner que confusément,
fait naître à la surface de l'être aimé (Odette) l'image spéculaire, cette image qui mime l'image
profonde et la fait sentir à Swann.
Au moment où les deux images - spéculaire et profonde - se trouvent liées, le processus
d'investissement narcissique, accompagné d'un....
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