Régner innocemment - Saint-Just

« «On s'étonnera un jour qu'au XVllle siècle on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut immolé en plein Sénat, sans autres formalités que vingt­ trois coups de poignard et sans autre loi que la liberté de Rome.

Et aujourd'hui, l'on fait avec respect le pro­ cès d'un homme assassin d'un peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la ~ dans le crime! » ..,.

Au-delà de la condamnation du pouvoir royal, c'est la condamnation de tout pouvoir que nous semble au­ jourd'hui formuler Saint-Just qui déclarait ailleurs .en une formule étrangement proche : « Tous les arts ont produit des merveilles; l'art de gouverner n'a produit que des monstres.

» Ces monstres, ce sont les individus qui se sont condamnés eux-mêmes en assumant pleine­ ment la culpabilité inévitablement liée à l'exercice du· pouvoir.

A lire, avec le recul confortable de l'histoire, ces décla­ rations de Saint-Just, on a du mal à se défendre de l'idée que, de manière souterraine, c'est aussi sa propre monstruosité politique que Saint-Just, condamnant Louis XVI, semble pressentir.

La monstruosité du ré­ volutionnaire sur le point de devenir lui-même le tyran .

qu'il vient de détrôner.

On a du mal à ne pas céder à l'impression que Saint­ Just devine confusément l'inévitable corruption du pou­ voir révolutionnaire dont.

témoigne sa trajectoire per­ sonnelle: celle qui, en quelques mois, va faire de l'ad­ versaire du tyran, le nouveau tyran, du sincère adver­ saire de la peine de mort, le plus brillant des avocats de la Terreur.

· «On ne peut point régner innocemment.

» Si, par cette phrase, Saint-Just croit refermer définitivement le rè­ gne de la tyrannie, il ne fait qu'en annoncer l'éternelle et obsédante présence dans l'histoire.. »