Peut-on dire que les agents de l'État sont des privilégiés ?
Publié le 18/08/2012
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Il apparaît que la critique des fonctionnaires est symptomatique d'un conflit permanent entre privé et public. Même si notre propos n'est pas de nous demander si la lutte des classes est morte ou toujours vivante, on peut s'interroger sur le point de savoir si elle ne se serait pas métamorphosée en conflit entre le public et le privé, avec ce que certains auraient appelé naguère une « alliance objective « entre patrons et salariés du privé contre les « fonctionnaires «. Si nous utilisons ici les guillemets, c'est pour reprendre le mot qui est prononcé pour désigner, de façon englobante mais erronée, à la fois les agents de l'État et les salariés du secteur public ; quand on entend prononcer, au Café du Commerce ou dans une queue devant un guichet, l'accusation selon laquelle les « fonctionnaires « seraient des privilégiés, il s'agit le plus fréquemment d'une attaque contre les agents d'EDF, de la SNCF, de la RATP et de la Sécurité sociale dont nous avons parlé plus haut.
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publique.
Pour les agents de l'État, la première spécificité est en effet la sécurité de l'emploi : il est exact que, mis à part le cas rarissime de « loi de dégagement decadres » (la dernière ayant touché les militaires après la guerre d'Algérie), l'agent de l'État peut poursuivre jusqu'à la retraite sa carrière dès lors qu'il a été titularisé,alors que le salarié du privé, le commerçant ou l'artisan peuvent perdre leur emploi à la suite d'un licenciement ou leur entreprise en cas de difficultés économiques.Quant au droit de grève dont nous avons parlé plus haut, il est incontestable que, quand il s'exerce dans la fonction publique, c'est dans un cadre assez protecteur quiexclut normalement les sanctions ou les brimades ; il en est de même concernant l'exercice du droit syndical qui bénéficie dans la fonction publique, il faut lereconnaître, d'une protection particulière.
Enfin, le fonctionnaire, le militaire et le magistrat ont une carrière, c'est-à-dire que, normalement et s'ils donnentsatisfaction, ils bénéficient de progressions d'échelon qui améliorent leur rémunération ainsi que des promotions de grade qui ont la même conséquence avec en outrel'accès à des postes de plus grande responsabilité, alors que la rémunération des salariés du privé peut stagner, rester la même pendant toute l'activité professionnelle(le SMIC), voire régresser comme c'est souvent le cas pour des cadres âgés supposés moins performants qu'en début de carrière.
Tout cela constitue des avantagesappréciables puisqu'à la sécurité de l'emploi s'ajoute celle de la sécurité et de la progression de la rémunération.
Mais, dans l'imaginaire des nonfonctionnaires, cesprivilèges au sens propre ou courant ne constitueraient que la partie visible, ou avouée, d'un système dans lequel l'agent de l'État se comporterait en parasiteinstitutionnel de la société.
2.
Des avantages indéniables
III.
La marque d'un conflit permanent entre privé et public 1.
L'image du fonctionnaire privilégié imprègne abusivement les mentalités
Il apparaît que la critique des fonctionnaires est symptomatique d'un conflit permanent entre privé et public.
Même si notre propos n'est pas de nous demander si lalutte des classes est morte ou toujours vivante, on peut s'interroger sur le point de savoir si elle ne se serait pas métamorphosée en conflit entre le public et le privé,avec ce que certains auraient appelé naguère une « alliance objective » entre patrons et salariés du privé contre les « fonctionnaires ».
Si nous utilisons ici lesguillemets, c'est pour reprendre le mot qui est prononcé pour désigner, de façon englobante mais erronée, à la fois les agents de l'État et les salariés du secteur public ;quand on entend prononcer, au Café du Commerce ou dans une queue devant un guichet, l'accusation selon laquelle les « fonctionnaires » seraient des privilégiés, ils'agit le plus fréquemment d'une attaque contre les agents d'EDF, de la SNCF, de la RATP et de la Sécurité sociale dont nous avons parlé plus haut.
Il ne s'agit pasd'ergoter sur des différences qui seraient sans portée pratique mais bien de délimiter le champ de l'utilisation propre de ce terme, générateur de confusions.
En effet, latraque des supposés avantages cachés de telle ou telle catégorie est devenue en France depuis une vingtaine d'années une sorte de sport national : chaquehebdomadaire en fait sa Une au moins une fois par an, François de Closets en a fait ses choux gras dans son Toujours plus publié en 1984.
Mais, au-delà de dérivesréelles et de faits condamnables, les censeurs ont tendance à généraliser, à transposer abusivement à telle catégorie ce qui n'est vrai que pour une autre, toutes chosesqui aboutissent à des contre-vérités, voire à de la désinformation : notre redresseur de torts du Café du Commerce bénéficie donc de circonstances atténuantes.
C'estainsi que l'on entend dire que les professeurs sont logés (cela n'a été vrai que pour les instituteurs), que les militaires également sont logés (seuls les gendarmes lesont, et par « nécessité absolue de service ») ; en 2008, un journal télévisé a
2.
La traque systématique et abusive des avantages supposés
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annoncé que « désormais les fonctionnaires grévistes ne ser[aie]nt plus payés », alors que les fonctionnaires n'ont jamais été payés en cas de grève, et qu'ils sontmême, en raison de la spécificité de la fonction publique, particulièrement pénalisés puisque, quelle que soit la durée de la grève (fût-ce dix minutes), ils subissentune retenue d'une journée complète.
On lit sur un blog la dénonciation du fait que les pères fonctionnaires bénéficieraient de deux annuités par enfant pour leurretraite alors qu'ils ne bénéficient de rien, et que les femmes fonctionnaires n'ont qu'une annuité par enfant, alors qu'en réalité les mères salariées du privé ont, elles,deux annuités.
Enfin, l'on entend souvent dire que les fonctionnaires progressent quel que soit leur mérite alors que la notation est prise en considération pour lesavancements d'échelon et que les promotions de grade se font, soit par concours, soit au mérite de façon très mesurée et sur des critères très sélectifs.
Il est inutile depoursuivre ce catalogue qui est révélateur, au-delà de la méconnaissance des situations, voire de la malignité des intentions, d'une grande naïveté de la part de ceuxqui accréditent ces légendes.
Cette naïveté qui consiste à croire aveuglément aux supposés privilèges d'une autre catégorie que la sienne est le terreau de la jalousie.3.
Une méconnaissance des contraintes réelles du métier Sont en revanche largement méconnues de beaucoup de Français les spécificités que l'on appellera, enplagiant Vigny, Grandeur et servitude de la fonction publique.
Les mutations sont fréquentes, surtout pour les niveaux élevés de la fonction publique et pour lesmilitaires ; pour ceux qui ne sont pas soumis à un système de mutations obligatoires (comme les enseignants, les catégories C et dans une certaine mesure B), ce sontles premières affectations qui conduisent les agents de l'État sur des postes non désirés ; enfin, si les statistiques prétendent démontrer que la rémunération moyennedes agents de l'État est supérieure à celle des salariés du privé, il convient de se rappeler que les qualifications, sanctionnées par des années d'études préalables aurecrutement, sont bien supérieures dans la fonction publique à celle du privé (il suffit de penser aux 850 000 enseignants qui appartiennent presque tous à lacatégorie A) ce qui fait que, à qualification égale, les fonctionnaires ont une rémunération plus faible que celles des salariés du privé, cela étant particulièrementflagrant en ce qui concerne les cadres des deux secteurs) ; on conclura sur ce point en notant que, dans la fonction publique, les heures supplémentaires sontrémunérées à un taux moyen égal à l'heure de travail normal tandis que les heures supplémentaires dans le privé sont souvent payées à un tarif double de l'heurenormale.
Ces critiques systématiques contre les agents de l'État révèlent, nous semble-t-il, une animosité générale contre l'État et ses services publics.
Cette attitude,fréquente chez les grands patrons de l'industrie qui voient souvent dans les services publics une structure coûteuse et peu efficace, se trouve aujourd'hui relayée parles salariés du privé ; si, pour les premiers, les administrations doivent être considérées comme des entreprises alors que ce mot n'a guère de signification hors dusecteur marchand (comment évaluer la « production » de santé, d'éducation ou de sécurité ?), les seconds se contentent à leur niveau de fustiger la paresse des agentsde l'État et leurs privilèges.
Au-delà des privilèges au sens propre ou au sens courant, réels ou supposés, les agents de l'État peuvent souvent se sentir mal aimés alorsqu'ils sont convaincus de remplir avec conscience et efficacité une mission essentielle pour la collectivité.
Sans doute existe-t-il des « moutons noirs » chez ceux quel'on appelait à l'époque de Balzac « les employés », mais les statistiques démentent la légende de l'absentéisme.
On l'a vu plus haut, c'est peut-être le caractère hybridede certains services publics de droit privé, cumulant les avantages du privé et du public, qui suscite le plus de critiques et de jalousies ; n'ont-ils pas réussi à garderjusqu'en 2007, pour certains d'entre eux, des régimes spéciaux de retraite bien plus favorables encore que ceux des agents de l'État ? Les agents de l'État, quichoisissent le service public souvent par tradition familiale, presque toujours par choix volontaire, ne peuvent sérieusement être accusés de jouir de privilèges indus,les garanties dont ils bénéficient étant largement compensées par des contraintes et des sujétions.
Le seul privilège qui leur appartienne en propre et qu'on ne leurdispute pas, c'est de servir l'État et la Nation.
Conclusion
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