Les banlieues, un échec ou une conséquence de l'urbanisme ?
Publié le 02/09/2012
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Engels, dans la question du logement de 1872, aborde cette notion de mouvement continu de la ville. Il décrit les percées haussmanniennes comme un geste urbanistique visant à réduire le phénomène de bord et de lisière. Puis il explique le mécanisme de bordure et de lisière de la ville en expliquant le pouvoir de transformation continuel de la ville. Le phénomène de bord est un phénomène perpétuel : « le résultat est partout le même: les ruelles et impasses resurgissent tantôt ailleurs et souvent dans le voisinage immédiat.« Le texte d’Engels, situe dans la ville, le mouvement de périphérie. Ce que décrit Engels ici c’est probablement l’origine de la banlieue malade, telle qu’elle est problématisée par Le Corbusier. C’est-à-dire cet espace mis au ban de la société, qui ne fait plus partie du territoire de la cité au sens antique du terme. Cet espace dont les habitants ne sont plus citoyens car écartés de la vie politique par la privation d’espaces publiques pour vivre ensemble et communiquer, et donc par la mise à distance de la chose publique. Ce texte montre aussi que ce qui met au ban de la société, une certaine catégorie de personnes, une partie du peuple non désirable, ce n’est pas seulement la localisation physique dans laquelle elle se situe par rapport à l’enceinte de la ville. C’est la société elle-même et c’est la volonté politique qui dirige le geste urbanistique.
«
Et c’est en cela que le texte de Engels est très proche du texte de Debord.
Car ce qui est aussi évoqué à la fois par Engels et par Debord, c’est ce maintien deséparation des classes sociales contenu dans le geste urbanistique :
« la lutte constante qui a dû être menée contre tous les aspects de cette possibilité de rencontre trouve dans l’urbanisme son champs privilégié.
»
« La transformation de la ville en une cité de luxe », ici Engels parle de cité de luxe ce qui signifie bien que de la cité bourgeoise ait exclue une partie de la ville, et cesont ces « ruelles et impasses » qui logent les ouvriers néfastes à l’image de cette cité de luxe et qui, maintenant qu’elles sont chassées du centre de la ville, seretrouvent en bordure.
Et c’est ainsi que la « méthode Haussmann », selon Engels, résout la question du logement en apportant « la solution (qui) engendre à nouveaula question »
Si on considère le geste d’Haussmann, aussi violent soit-il pour les classes ouvrières, comme un geste d’urbanisme, on pourrait affirmer dans ce cas que la banlieueest conséquence d’un tel urbanisme.
Un geste décidé par le pouvoir politique d’une société à la défaveur d’une classe sociale qu’il faut éliminer de la cité alorsqu’elle l’a elle-même créée…
En ce qui concerne le pouvoir de transformation continuel de la ville, c’est l’idée du mouvement perpétuel que l’on retrouve dans d’autres sortes de banlieues, lesbanlieues évoquées notamment par Frédéric Migayrou.
les favelas, et leur pouvoir de « résilance ».En effet, dans son texte, il compare le cycle de destruction et reconstruction en recyclant ses matériaux des favelas à « un cycle naturel, comme une fleur qui pousse,fleurit, fâne.
».À travers l’admiration qu’il porte à ce phénomène qu’il définit comme « pur état de l’humain », il critique les notions de « détruire, jeter, reconstruire » qui ont coursdans nos sociétés actuelles et qui vont à l’encontre du site et de l’histoire qui devrait se lire dans la ville et qui participe à la mondialisation et au fait que tout seressemble aujourd’hui, participant en la création d’une société du spectacle.
Il y a les banlieues que Le Corbusier évoque, en 1957, dans lesquelles formes, fonctions, usages ne sont pas réellement définis, entre logement, industrie, artisanat etcirculation.
Puis il y a celles qui sont issues, en quelque sorte de cette charte d’Athènes, prônant un fonctionnalisme visant à mettre de l’ordre par l’urbanisme dansun espace qui échappe à la volonté politique.
Ce sont précisément ces banlieues, que critique fortement Guy Debord, dix ans plus tard en 1957, dans La Société du spectacle, notamment dans ce deuxième extraitde texte proposé dans le corpus.Dans ce texte, Debord dénonce clairement l’urbanisme et les grands ensembles, qui représentent la manière dont, la politique et l’économie, isolent dans la masse lesouvriers et le prolétariat.
C’est-à-dire qu’il dénonce le fait que la société semble constituer des masses de collectif, mais ils n’ont en réalité jamais été aussi seuls quedans ces quartiers où on les rassemble car dans cette nouvelle « cité » il manque l’ « agora », l’espace public, de rassemblement, d’échange de marchandise et d’idéesmais aussi relation d’échange sur le plan politique et formation de l’idée commune.Il évoque notamment l’usine comme lieu de rassemblement mais sans échange et de suppression de la rue.
Ainsi selon Guy Debord, l’urbanisme ne peut pas être la solution aux problèmes de banlieues car l’urbanisme ne produit pas d ’espace public.On peut, en effet, comparer la volonté de contrôle par l’urbanisme de Le Corbusier, à Haussmann qui au milieu du XIXe siècle trace dans Paris ces fameuses percéespour relier les gares, stimuler les affaires mais surtout empêcher les barricades, révoltes ouvrières, en rasant les petites ruelles, lieux de rencontres et d’échange.
Ainsices grands boulevards Haussmanniens ne sont plus des lieux de rencontre mais seulement des lieux de circulation, d’habitation et de consommation.
Pour Debord, donc, par l’absence d’espace public on prive l’habitant de banlieue de participation à la politique de la ville attenante à sa banlieue.À la fois la banlieue dépend économiquement du centre urbain, mais est délaissée par la politique.Ainsi l’urbanité qui correspond à la qualité de vie propre à la ville disparaît dans l’extension de l’urbain, à mesure que la ville s’étend, la notion de peuple disparaît,les individus sont de plus en plus isolés à mesure que l’accès au politique s’éloigne,On parle donc de la société du spectacle car la politique devient un spectacle devant lequel le spectateur reste passif.
Le texte de Descartes, issu du Discours de la méthode, est révélateur des critères de beauté issus de la renaissance et qui font la ville classique du 18ème siècle, c’estl’unité dans la ville :« Souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces , et faits par la main de divers maîtres , qu’en ceux auxquels un seul atravaillé.
»
Cependant, il reconnaît, dans son discours, la qualité des ouvrages qui un à un forment la ville organique qui, elle, apparaît comme non unitaire.« qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent plus d’art qu’en ceux des autres.
»
Ainsi, l’urbanisme pose souvent la question de la ville comme composition unitaire, s’opposant à la ville organique qui se forme au fil du temps et qui laisse lisiblesles traces de son histoire.Pour Le Corbusier, l’unité est liée à la fonctionnalité de la ville, une ville dans laquelle on circule et dans laquelle chaque activité est bien à sa place.Pour Debord, cette « unité » recherchée dans la ville est celle qui pose problème car elle divise et participe à la « sauvegarde du pouvoir de classe » des classessociales.En effet, les grands ensembles, issus de la Charte d’Athènes, qui au départ recherchaient la mixité sociale ont fini par créer des ghettos par l’absence d’espacespublics et le rejet des habitants des « cités » de la cité, de la politique.
Cette hypothèse est très proche de celle qu’avance Engels presque un siècle auparavant.
Ce qui se dégage de ces textes est l’ambiguïté entre l’urbanisme qui veut créer la ville belle, pratique et fonctionnelle, soit la ville contrôlée par l’homme, et la villeorganique qui porte, visible, l’histoire des hommes qui l’habitent.Les grands ensembles hier étaient le signe du contrôle de l’homme sur la ville, puis de la politique mais aujourd’hui, la banlieue est le symbole de la perte de contrôlede l’homme sur sa ville à la faveur de l’économie et d’une société du spectacle.
Aujourd’hui on peut considérer que ces banlieues sont devenues elles-même trace de l’histoire dans la ville et il convient de les traiter comme telles.La politique actuelle a pour objectif de recréer des liens entre la ville et la banlieue (Grand Paris).
Et c’est par l’architecture, la construction, la destruction, lesréseaux que les liens sont sensés se créer.Seulement, le mouvement continuel de la ville exprimée par la plupart de ces penseurs ne pas prédit-il pas l’échec de cette résolution et une nouvelle fois un recul dela banlieue?
(1) : Dominique Perben, dans La faute aux urbanistes?Propos recueillis par Michel Feltin et Michèle Leloup, publié le 01/12/2005, l’express.fr(2) : Bernard Reichen, urbaniste dans La faute aux urbanistes?Propos recueillis par Michel Feltin et Michèle Leloup, publié le 01/12/2005, l’express.fr.
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