LE SCANDALE DU SANG CONTAMINÉ
Publié le 15/01/2019
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LE SCANDALE DU
SANG CONTAMINÉ
22 juin 1992 : un procès unique dans l’histoire judiciaire de la médecine s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris. Il concerne quatre hommes accusés d’être, à des degrés divers, responsables de la contamination de centaines d’hémophiles frappés par le virus du sida entre 1984 et 1985. Dans ses grandes lignes, l’affaire semble relativement simple : le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) aurait décidé, sciemment et pour des raisons mercantiles, de continuer à distribuer des stocks de sang contaminé. On comprendra à l’audience, puis en appel, que les faits sont plus complexes et les responsabilités, sans doute plus partagées.
Les quatre médecins sont les docteurs Michel Garretta et Jean-Pierre Allain, les professeurs Robert Netter et Jacques Roux, qui étaient, au moment des faits, respectivement directeur général du Centre national de transfusion sanguine, chef du département de recherches du CNTS, directeur du Laboratoire national de la santé, et directeur général de la Santé. Le procès prendra une dimension exceptionnelle, et politique, avec l’audition de trois témoins : l'ancien Premier ministre Laurent Fabius, l’ancien secrétaire d’État à la Santé Edmond Hervé et l’ancien ministre des Affaires sociales et de la Solidarité Georgina Dufoix. Cependant, l’affaire ne débute officiellement qu’en mars 1988 avec le dépôt de la première plainte d’un hémophile (Jean Peron-Garvanoff, contaminé par le virus du sida, et dont deux frères sont décédés), et le scandale n’éclate publiquement qu’en avril 1991, mais, au cours des années précédentes, toute une série de faits marquants s’était déroulée.
Les faits
Dès 1982, des rumeurs circulent dans les milieux médicaux : nombre de transfusés réguliers (essentiellement hémophiles) réagissent mal et semblent présenter une pathologie inconnue. « A l'époque, déclarera le professeur Jean Bernard, on ne savait rien. Trois ans après, on savait tout ; entre les deux, il y a eu une longue phase d’incertitude. •> Quelque temps plus tard, le 13 janvier 1983, la chercheuse britannique Jane Desforges publie dans le New England Journal of Medicine une note prônant l’abandon immédiat des lots de sang proposés habituellement aux hémophiles. Certains seraient pollués, et il faudrait recourir à d'autres méthodes. C’est précisément l'une d’elles que proposent, le 10 mai 1983, les laboratoires américains Travenol. Il s’agit d’une technique de chauffage permettant de neutraliser la nocivité de lots souillés. L'information est transmise au CNTS. Sans suites. Trois mois après, le professeur Luc Montagnier alerte plusieurs scientifiques, dont Philippe Lazar, directeur général de l’INSERM, et suggère des moyens de diagnostic (tests) et de prévention du sida. Il n est pas écouté. L’année suivante, en juillet 1984, le congrès international de transfusion sanguine de Munich confirme qu'il existe bien une parade au danger : le chauffage du sang. Cette annonce intervient deux ans après la révélation des premiers cas de sida chez les hémophiles aux Etats-Unis et un an et demi après celle du premier « cas » français. Des négociations entre le docteur Garretta et la firme autrichienne IMMUNO sont engagées, mais n’aboutissent à aucun résultat. Le 26 octobre, le Centre de contrôle des maladies d'Atlanta (USA) confirme qu’il faut, en priorité, utiliser des produits chauffés.
Le 29 mai 1985, date capitale retenue dans le chef d’accusation, lors d’une réunion interne du CNTS, le docteur Garretta constate : « Tous les lots non chauffés en stock chez nous sont contaminés (...) C’est aux autorités de prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et, éventuellement, de nous interdire de céder des produits, avec les conséquences financières que cela représente. » Et, de 26 juin, dans une note de service, il précise : « La distribution des produits non chauffés reste la procédure normale jusqu’à l’épuisement des stocks. » Les lots contaminés vont donc continuer à être diffusés parce que, dit l’accusation, leur valeur globale s’élevait alors à près de 100 millions de francs et que détruire ces réserves revenait à ruiner le CNTS.
Le 2 octobre 1985 marque une étape ultime en forme de couperet : la direction générale de la Santé décide l’interdiction des produits non chauffés. Nul ne pourra plus s’en procurer, puisqu’ils ne seront plus remboursés par la Sécurité sociale. Mais, entre le constat officiel du CNTS et cette mesure, quatre mois se sont écoulés, le temps de contaminer des centaines de patients.
Le CHEF D’ACCUSATION
Après la première plainte en mars 1988, une trentaine de victimes se sont constituées partie civile, et le dossier a été confié au juge d’instruction Sabine Foulon. Le magistrat pouvait retenir une qualification soit criminelle (empoisonnement), soit correctionnelle. Sabine Foulon écartera l’empoisonnement, estimant qu’il manque une donnée essentielle : la volonté manifeste de tuer (et l’affaire rebondira dès l’été 1994). Les quatre inculpés seront donc renvoyés en correctionnelle (malgré les protestations des avocats des familles des victimes).
Les docteurs Garretta et Allain sont visés par la loi de 1905 sur les fraudes, qui réprime la tentative de tromperie, soit sur la nature ou les qualités substantielles d’un produit, soit sur les risques inhérents à son utilisation, en omettant de les signaler. Il faut une marchandise (le produit sanguin), une tromperie (ne pas avoir informé les hémophiles du risque lié au produit), un contrat (celui entre le CNTS et les transfusés). Cette loi sur les fraudes ne peut être requalifiée. Enfin, il s'agit d’un délit susceptible de déboucher sur une peine maximale de quatre ans de prison et des amendes. Appliquer à l’affaire une loi sur la fraude, la tromperie, alors qu’il y a eu mort d’homme a révolté certains avocats de la partie civile (maître Sabine Paugam : « C’est une loi pour les yaourts ou la moutarde, pas pour nous ! »). On aurait pu songer à l’« homicide involontaire », mais il était difficile d’établir un lien entre la qualification du délit et les faits. Quant aux professeurs Netter et Roux, qui ne sont pas liés au CNTS par un contrat, ils ne sont poursuivis que pour « non-assistance à personne en danger ».
Le PROCÈS
En présence de soixante journalistes et d’un public trié sur le volet, le procès s’ouvre dans une salle surchauffée, dans une atmosphère tendue. Les quatre prévenus sont présents, mais c'est surtout le docteur Garretta qui focalise l'attention. La Légion d'honneur orne discrètement son veston. Sur les vingt avocats, les parties civiles sont représentées, notamment, par maîtres Georges Holleaux, Sabine Paugam, Georges Wagner. La défense est assurée par maîtres Xavier Charvet et François Morette (docteur Garretta), Olivier Schnerb (docteur Allain), Nicole Dreyfus (professeur Roux), Charles Korman (docteur Netter).
Le siège du ministère public est occupé par Michèle Requin-Bernard, tandis que Jean-Louis Mazières préside les débats. Au moment de l'appel des témoins, il n'hésitera pas à lancer à quelques sommités médicales : « Moins de désinvolture, s’il vous plaît, enlevez vos mains de vos poches ! »
«
une
loi pour les yaourts ou la moutarde, pas pour nous!»).
On aurait
pu songer à 1'« homicide involontaire », mais il était difficile d'établir
un lien entre la qualification du délit et les faits.
Quant aux profes
seurs Netter et Roux, qui ne sont pas liés au CNTS par un contrat, ils
ne sont poursuivis que pour « non-assistance à personne en danger ».
L E PROCÈS
En présence de soixante journalistes et d'un public trié sur
le volet, le procès s'ouvre dans une salle surchauffée, dans une atmo
sphère tendue.
Les quatre prévenus sont présents, mais c'est surtout
le docteur Garretta qui focalise l'attention.
La Légion d'honneur
orne discrètement son veston.
Sur les vingt avocats, les parties civiles
sont représentées, notamment, par maîtres Georges Holleaux, Sabine
Paugam, Georges Wagner.
La défense est assurée par maîtres Xavier
Charvet et François Morette (docteur Garretta), Olivier Schnerb
{docteur Allain), Nicole Dreyfus (professeur Roux), Charles Korman
{docteur Netter).
Le siège du ministère public est occupé par Michèle
Requin-Bernard, tandis que Jean-Louis Mazières préside les débats.
Au moment de l'appel des témoins, il n'hésitera pas à lancer à quel
ques sommités médicales:.
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