La troisième République et la colonisation française
Publié le 02/09/2012
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L’ensemble des facteurs économiques, démographiques et stratégiques furent déterminants, mais les facteurs politiques furent décisifs. Loin d’exclure les autres motivations, ils les intégraient au service d’un but commun : la grandeur de la patrie. A deux reprises, en 1815 et en 1871, la France subit un recul brutal de sa puissance et de son prestige. Trop affaiblie et isolée pour reprendre son rang de grande puissance en Europe, l’expansion coloniale lui fournit le moyen de le recouvrer. Après la défaite de 1871, les gouvernements choisirent de ménager les forces de la France par une politique de « recueillement «, mais dès 1878 les chefs des républicains opportunistes au pouvoir, Léon Gambetta et Jules Ferry, choisirent de lui rendre son rang de grande puissance par une politique d’expansion. Jules Ferry conclut dans son discours du 28 juillet 1885 à la Chambre des Députés : « Un grand pays que sa position géographique, ses intérêts, ses espérances mêlent nécessairement à tout le mouvement V12 européen, une puissance qui n’est pas seulement continentale mais méditerranéenne, ne saurait se renfermer dans un isolement périlleux, dans une inaction systématique «. Ce à quoi il ajouta : « Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expédition vers l’Afrique de l’Ouest ou vers l’Orient…c’est abdiquer…, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième «. Le recueillement qui s’imposait aux nations victimes d’une perte d’honneur, de notoriété et en l’occurrence de territoire, ne devait pas se résoudre, pour lui en « abdication «. L’expansion coloniale permit donc ainsi à la France, qui était durablement affaiblie par la perte de l’Alsace et de la Lorraine, de retrouver un statut international qui lui était favorable.
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2.
Un protectionnisme impérial« La politique coloniale est fille de la politique industrielle » disait Jules Ferry dans son ouvrage Le Tonkin et la mère patrie (1890).
Au milieu des années 1870,s'entame dans le monde une phase de grande dépression ; qui touchera particulièrement la France.
Aux yeux des intellectuels de l'époque, l'empire colonialapparaissait comme un remède essentiel contre cette crise industrielle et commerciale ; Jacques Marseille4 note à ce titre que chaque recul des exportations totalesétait compensé par l'accroissement en pourcentage de la part de l'empire : « Les exportations apparaissent aux yeux des contemporains comme la solution de toutesles crises passées et futures ».
La conjoncture de cette période est naturellement aggravée par la politique protectionniste qu'adoptent progressivement les paysindustrialisés, depuis que l'Allemagne, en 1879, en a donné le coup d'envoi.
Il suffit qu'un pays adopte une telle politique pour que les autres y trouvent naturellementdes motifs d'inquiétude et recherchent – au-delà d'une simple riposte douanière – l'élargissement du marché par la quête de nouveaux débouchés.
C'est précisément lerôle qui était alors attribué à l'empire colonial : l'assurance de débouchés constants, la France étant en mesure d'imposer aux colonies qu'elles importent leurs produitsmanufacturés exclusivement en provenance de la métropole.
La population des colonies étant bien supérieure à celle de la France, l'empire offrait à cette dernière unelarge demande extérieure.
Une illustration de ce phénomène serait la loi douanière du 13 avril 1928, stimulant le commerce entre la métropole et ses colonies et entrecelles-ci, en défavorisant les échanges avec les pays étrangers ou sur leurs navires.
Se mettait alors en place un « protectionnisme impérial » : l'autosuffisance del'empire lui permettait de se placer en autarcie durant les crises sans pénaliser trop fortement la croissance, du fait de la permanence des exportations et de la stabilitédes prix des matières premières produites dans les colonies.
Egalement, lors de la deuxième crise économique de la troisième République, en 1930, l'effondrementdes échanges internationaux augmenta soudainement la part des colonies dans le commerce extérieur français, qui devinrent son premier partenaire commercial.L'empire colonial, au niveau économique, était alors vu comme une sécurité, comme un filet protecteur empêchant la France de tomber trop profondément dans ladépression lors des crises mondiales.
Le facteur économique faisait donc à cette époque partie des motivations fondamentales de la constitution d'un empire colonial ;l'idée de pouvoir y investir ses capitaux, l'accès à l'exploitation de nouvelles ressources, l'abondance de la main d'œuvre et la permanence de la demande extérieureallait de pair avec l'essor du capitalisme international et assurait à la France une prospérité particulière et des partenaires commerciaux stables.
Professeur à l'université de Paris-I Sorbonne, directeur de l'Institut d'histoire économique et sociale, auteur de l'ouvrage Empire colonial et capitalisme français,l'histoire d'un divorce, éd.
Albin Michel, 2004.
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Chapitre 2 : Des intérêts tirés du mouvement des hommesLa constitution d'un empire colonial sous la troisième République comportait également des avantages en termes humain et démographique : la France tirait profittant des populations indigènes que du mouvement de ses nationaux.
I)
Intérêts des populations « indigènes »
1.
Une mission civilisatriceTout d'abord, la France voyait en l'entreprise coloniale la réalisation d'une « mission civilisatrice » ; du devoir qu'elle avait d'apporter aux populations indigènes sonsavoir, sa science, sa langue et sa culture.
Le progrès des sciences motiva et justifia en effet la pénétration européenne dans les « pays attardés ».
Les explorateurs,encouragés par les sociétés de géographie, frayèrent souvent la voie aux marins ou aux soldats de leurs pays, volontairement ou non.
L'action des médecins, de plusen plus efficace contre les maladies des pays chauds, donna une preuve tangible des bienfaits de la tutelle coloniale.
De même, la diffusion de l'instruction, donnée enlangue française, fut un moyen de consolider la conquête militaire par une « conquête morale ».
Au cours du débat parlementaire du 28 juillet 1885, Jules Ferryaffirma que les « races supérieures » avaient un droit sur les « races inférieures » parce qu'elles avaient le devoir de les civiliser.
La formule employée avait de quoichoquer, mais son auteur avait prouvé qu'il prenait au sérieux la « mission civilisatrice de la France », en décidant d'appliquer ses lois scolaires aux colonies : « Unerépublique qui se réclame des principes de 1789 se doit d'apporter aux hommes qui ne les ont pas encore les bienfaits de la Science, de la Raison, de la Liberté ».Charles Gide 5 faisait à ce titre une distinction entre les droits des « barbares » en tant qu'individus (qui sont sacrés) et les droits des Etats barbares en tant qu'entités(qui ne le sont pas du tout) : la mission civilisatrice ne pouvait être faite que par des populations européennes et chrétiennes ; « races latines, merveilleuseséducatrices des peuples ».
L'entreprise de la colonisation était donc, à ses yeux et aux yeux de la plupart de ses contemporains, l'expression d'une mission, pourcertains divine, de diffusion du savoir.
Pierre Leroy-Beaulieu 6 disait à ce titre que les civilisations « inférieures » ne pouvaient se développer sans une interventionde la « race blanche et européenne », peut importe les siècles qui leur étaient laissés ; à ses yeux, quand bien même l'Amérique auraient été découverte en 1900, lesindigènes n'en auraient pas été à un niveau de développement supérieur, ils n'auraient pas découvert « les bienfaits de l'Art et de la Science » plus qu'ils ne les avaientselon lui découverts en 1492.
(1847-1932), dirigeant historique du mouvement coopératif français, théoricien de l'économie sociale, président du mouvement du christianisme social, fondateur del'École de Nîmes et membre de la Ligue des droits de l'Homme.
6 Dans son ouvrage De la colonisation chez les peuples modernes, éd.
Guillaumin, 1891, 867p.
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2.
Un potentiel réservoir humainLes populations indigènes constituaient en plus, aux yeux des colonisateurs, un potentiel réservoir humain, permettant de compenser la faible démographie de laFrance en mettant à sa disposition une population nombreuse.
Ce phénomène comportait deux utilités : les indigènes pouvaient devenir des soldats ; et pouvaientcompenser le manque de main d'œuvre de la Métropole le cas échéant.
Tout d'abord, la loi du 27 juillet 1872 sur le caractère obligatoire du service militaire pour tousconstitua le premier pas vers la formation des indigènes comme soldats.
L'étendue de l'empire assurait à ce titre à la France la vaste armée que ne lui permettait pasd'obtenir sa faible démographie, qu'elle considérait la source de toutes ses défaites – notamment celle de 1871 contre l'Allemagne.
La Grande Guerre de 1914-1918démontra pour la première fois l'utilité militaire de l'Empire colonial pour la Métropole.
Les colonies contribuèrent à l'effort de guerre en fournissant des centaines demilliers de soldats et de travailleurs ; permettant tout à la fois à l'entreprise militaire d'aboutir et à l'économie interne de se maintenir.
Egalement, lors des prémices dela seconde guerre mondiale, la perspective d'une alliance entre les empires coloniaux britannique, américain et français était à l'origine d'une confiance dans lavictoire de la part des alliés comme en témoigne l'affiche de souscription aux bons d'armements 7 , dans laquelle sont mises en valeur l'ensemble des colonies destrois Métropoles comparativement à l'influence réduite du IIIe Reich et comportant la mention : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ».
Lapopulation des colonies avait également, en parallèle, une utilité économique compensatrice qui servirait à la France aux lendemains des guerres mondiales ; lorsqueles dégâts humains étaient si importants qu'il ne restait sur le territoire métropolitain plus assez d'hommes jeunes pour maintenir l'économie.
L'Etat français faisaitdonc dans ses conditions appel à l'immigration des « indigènes », formés et éduqués à la française, qui compensaient encore une fois le manque d'homme sur leterritoire national.
La colonisation avait donc également pour facteur la mise à disposition d'un réservoir humain important, et le sentiment d'un devoir missionnaire de civilisation.Egalement, en ce qui concernait les citoyens français, l'entreprise coloniale comportait des avantages significatifs : elle constituait un « Eldorado » pour certains, etpermettait à d'autres de s'établir où ils voyaient le futur de l'humanité..
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