La rivalité sino-américaine au prisme des Nouvelles Routes de la Soie
Publié le 28/10/2023
Extrait du document
«
S’il existe un recentrage du pouvoir institutionnel vers l’Asie, celui-ci a commencé, même
s’il n’existe pas de centre gravitationnel précis.
L’Ordre mondial en mutation, appelé « équilibre
dynamique 1» par certains du « Sud Global » témoigne que le rôle des nouveaux acteurs est nourri
d’attentes et remet en question la domination traditionnelle des pôles de puissance.
Cette dynamique
crée un « tour de balancier » constant entre les différentes puissances, sans qu'aucune d'entre elles
ne puisse exercer une domination.
Cette situation reflète la complexité des relations internationales
contemporaines et est le résultat de plusieurs facteurs liés à la multipolarité en recomposition : les
États-Unis, la Chine, la Russie, l'Union européenne, l'Inde, en autres, jouent tous un rôle important
sur la scène internationale.
Par ailleurs, le « Sud Global » participe à cette « désoccidentalisation »
que les enjeux mondiaux contemporains, tels que le changement climatique, la cyber-sécurité ou le
spatial nécessitent une coopération internationale.
Dans ce contexte, aucune puissance ne peut
imposer sa volonté de manière incontestable.
Les acteurs mondiaux doivent, alors, négocier,
coopérer et rivaliser pour atteindre leurs objectifs 2.
Une constante également observée dans le cadre
de la guerre en Ukraine à propos de laquelle les « lignes de faille 3» se sont ouvertes, favorisant de
nouvelles triangulations et partenariats sectoriels, alternatives à la primauté occidentale comme en
témoignent les accords « Inde-Russie » relatif au renforcement du corridor de transport international
Nord-Sud.
Certes, les États-Unis restent le « pivot technologique et militaire mondial 4», et l’OTAN
reste la première alliance militaire, mais il est indéniable que l’équilibre évolue.
L’historien Niall Ferguson a affirmé « que les relations entre la Chine et les États-Unis
étaient condamnées à devenir de plus en plus conflictuelles 5 » dans un contexte de remise en cause
du multilatéralisme, de fragilisation des blocs d’alliance 6 et d’une réorientation du centre de gravité
du monde vers l’Asie et notamment vers la Chine.
Or, l’imbrication croissante des enjeux
commerciaux et économiques liée à la mondialisation des échanges ont réorienté les décideurs
américains sur des stratégies de « containment 7» à l’opposé de celles de l’« engagement 8» qui
prévalaient sous les présidences Clinton et Bush.
En effet, elles ont évolué, passant, ainsi, à
l’adhésion d’une stratégie réaliste des Relations Internationales, comme en témoigne le réseau des
1
« De l’Indonésie aux Philippines : se frayer une troisième voie », série « Les nouveaux non alignés »,
Radio France ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/de-l-indonesie-auxphilippines-se-frayer-une-troisieme-voie-5674900
2
« De l’Indonésie aux Philippines : se frayer une troisième voie », série « Les nouveaux non alignés », Radio
France ;
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/de-l-indonesie-aux-philippines-se-frayerune-troisieme-voie-5674900
3
Conférence organisée au Sénat, « Rivalités sino-américaines : la France et l'Europe face aux recompositions
géopolitique »
4
Marin Saillofest, « La doctrine chinoise de l’administration Biden »
5
Shalendra D.
Sharma, « la Chine, créancier du monde et les États-Unis, débiteurs du monde.
Conséquences
sur les relations sino-américaines »
6
Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique, l’impulsion de la Turquie à la nouvelle
dynamique des relations internationales / Avril 2020
7
Yves Viltard Collection, « Qui a peur de la Chine », La contribution des théoriciens Américains à une
croyance, Observatoire Européen de Défense
8
Yves Viltard, Collection Etudes de l’Observatoire Européen de Sécurité, « Qui a peur de la Chine ? »
pays membres du QUAD (Quadrilateral security dialogue )9 qui élabore une stratégie dit du « pivot
asiatique 10» associant Japon, Australie, USA et Inde - plus connu sous le terme d’Indopacifique –
pour peaufiner un endiguement de la Chine.
Par conséquent, la rivalité sino-américaine met l’Europe et, notamment la France, à la
« périphérie du monde »11, comme l’avait annoncé le Président du Sénat Gérard Larcher aux
rencontres du Grand Continent 12 ».
Il était question de redonner des cadres conceptuels à l'Europe
pour que celle-ci soit à la hauteur des défis chinois.
La stratégie des Européens consiste à
développer une politique d’équilibre en Indo-Pacifique, d’une part et d’autre part, à apporter des
solutions par le biais de mécanisme comme celui du filtrage des IDE chinois pour freiner
l’expansion économique chinoise au sein même de l’Union Européenne et des pourtours de la
Méditerranée.
Problématisation
Après cette introduction dans laquelle j’ai tenté de dresser un portrait de l’état du monde
issu à la fois de la réémergence chinoise, de l’agression russe en Ukraine et d’un bloc antioccidental (G 77+1, « Sud Global »), d’une part et d’autre part, des enjeux globaux que soulèvent
les « Nouvelles Routes de la Soie », je me permets, donc, de revenir sur ce qui fait le coeur de mon
mémoire, à savoir la rivalité sino-américaine au prisme des « Nouvelles Routes de la Soie » et la
nécessité d’une dépolarisation européenne pour défendre les intérêts de l’Union européenne ou
alors, un recentrage sur l’euro-atlantique.
Comme j’ai tenté de le montrer dans mon introduction, la
guerre en Ukraine met l’Europe face à un dilemme : choisir entre confrontation et coopération ou,
alors, alors, une troisième voie qui est celle de la recherche d’un équilibre, porteur de stabilisation
qui défend ses valeurs et ses intérêts tout en limitant l’influence chinoise à la fois dans son pré-carré
et dans l’Indopacifique où la France est la deuxième puissance en termes de superficie en zones
exclusives après les Etats-Unis.
Mon domaine d’études n’est pas de faire une étude de comptabilité économique sur les
répercussions des infrastructures de la « BRI » dans la redistribution spatiale des industries de
localisation ou de délocalisation et du facteur travail, des opportunités de main d’œuvre aux coûts
de transports terrestres en passant par la maximalisation du temps/coût du transport et des inégalités
spatiales en terme de hausse de salaires, d’accroissement de PIB et du volume et de la valeur des
échanges économiques.
Mais, le sujet d’étude se porte sur les tenants et les aboutissants des
« Nouvelles Routes de la Soie » et ses enjeux, en termes de puissance et d’intégration économique
9
Marianne Péron-Doise, « Le Quad, pilier de la stratégie Indopacifique de l’administration Biden ? »
Idem
11
Conférence organisée au Sénat intitulé « Rivalités Chine-États-Unis : la France et l'Europe face aux
recompositions géopolitique »
12
Conférence organisée au Sénat intitulé « Rivalités Chine-États-Unis : la France et l'Europe face aux
recompositions géopolitique »
10
régionale et mondiale et sur ses conséquences, encore incertaines, sur l’Ordre mondial.
En effet,
dans ce tourbillonnement géoéconomique et géostratégique, nous pouvons nous poser les questions
de savoir si la « reconfiguration régionale et mondiale 13» à laquelle participe l’Initiative chinoise
des « Nouvelles Routes de la soie » veuille contribuer au développement pacifique du monde ou
bien si elle se révélera être un élément de plus de perturbation 14 du système international ? Quels
sont les ressorts géopolitiques, économiques et de politique intérieure chinoise, justifiant une
Initiative de développement d’envergure planétaire et quelle est la réponse des démocraties
libérales vis-à-vis de cette Initiative appelée à reconfigurer les équilibres géopolitiques et à
repenser l’architecture des Institutions d’un nouvel Ordre international ?
A ces questionnements, l’Initiative « BRI » est davantage liée à la sécuritisation
15
des
approvisionnements énergétiques, d’une part et d’autre part, à garantir la « double circulation »
interne-externe des composants stratégiques et donc, à la souveraineté de la Chine.
Dans le contexte
du découplage des économies sino-américaines, elle est consciente que sa compétition économique
et technologique avec les Etats-Unis, accentuée par des tensions en mer méridionale de Chine,
amèneraient les Américains et les Occidentaux à peaufiner des stratégies dans l’Indopacifique.
Il sera nécessaire, en effet, dans un premier chapitre, d’évoquer l’historiographie des
anciennes
« routes
de
la
soie »
synonyme
d’échanges
immatériels
et
de
biens
matériels circulant d’Orient en Occident, à l’origine des fondamentaux du développement
européen du XVI ème siècle qui sont, par essence d’origine chinoise.
Il s’agit de comprendre
les ressorts de la « grande divergence » pour mettre en lumière la résurgence actuelle de la
« menace chinoise »
16
et du « péril jaune 17» au prisme des « Nouvelles Routes de la Soie ».
En
effet, c’est cette trame qui me conduit dans l’analyse de la réémergence chinoise du XXI ème
siècle 18 afin de comprendre et d’évaluer la pertinence de ses succès économiques sur la longue
durée et d’apporter un éclairage plus précis sur les tenants et les aboutissants de sa stratégie.
Dans le deuxième chapitre, je tenterai de disséquer l’Initiative « BRI » pour tenter de comprendre la
transition probable, bien que rien ne soit écrit d’avance, loin s’en faut, d’un « Nouvel Ordre
Mondial » en gestation que certains Etats ont appréhendé comme un moyen de contribuer à la
13
Paulo Afonso Brardo Duarte, « La nouvelle route de la soie.
Vers une reconfiguration de l’intégration
régionale et....
»
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