Fiche Concours Science-po PEUR ET ALIMENTATION
Publié le 19/09/2023
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«
SCIENCES PO 2023
CONCOURS COMMUN IEP
LA PEUR ET L’ALIMENTATION
I.
LA PEUR
Citations :
1) « C’est bien toujours – en dernière analyse – le réel qui fait peur ;
mais pas lorsqu’il est directement perçu, mais plutôt lorsqu’il baigne
encore dans le flou de l’imagination qui en anticipe la perception.
»
Clément Rosset, Le Réel et son double : essai sur l’illusion (1976).
2) « (…) les partis rétrogrades dominent et exploitent par la peur.
Car
la peur messieurs, c’est la maladie chronique de la France : la peur
en politique (…) » Léon Gambetta, discours prononcé à Grenoble
(1872).
3) « Tout est bruit pour qui a peur », Sophocle
4) « Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs
âmes », Nicolas Machiavel, Le Prince (1532)
5) « L’unité de la peur n’est donc pas un artéfact de la psychologie de
masse ; c’est un projet politique qui s’élabore par le biais des
autorités, de l’idéologie et de l’action collective » Patrick Boucheron
6) « La civilisation est une lutte contre la peur », Gaston Bouthoul
7) « La peur obtient de nous les pires lâchetés », André Gide
8) « C’est seulement pour la peine de mort qu’on invente l’idée que la
peur de la mort retient l’homme dans ses passions extrêmes »,
discours de Robert Badinter, en 1981 (sous Mitterrand)
9) « La peur ne peut se passer de l’espoir et l’espoir de la peur »,
Spinoza
10)
« Dans l’Armée rouge il faut plus de courage pour battre en
retraite que pour avancer » Staline
11)
« La loi s’impose à travers la peur dont le nom véritable est
crainte de Dieu », Umberto Eco
12)
« Avec les jours qui passent et les peurs qui grandissent,
même l’espérance la plus audacieuse peut s’évaporer », pape
François
13)
« La France a peur », Roger Gicquel, TF1, 1976
14)
« C’est peut-être de la peur qu’on a le plus souvent besoin
pour se tirer d’affaire dans la vie », Louis-Ferdinand Céline, Voyage
au bout de la nuit (1932)
1
1) PHILOSOPHIES, THÉORIES ET CONCEPTIONS DE LA PEUR
Approche définitionnelle de la « peur »
Terme apparu au Moyen-Âge central à partir du terme latin pavor,
signifiant « frayeur », « effroi ».
Émotion, ce qui nous fait nous mouvoir.
A) Approche biologique de la peur
La peur est une émotion commune à un grand nombre de
mammifère, elle a une dimension éthologique : elle permet
d’adopter des comportements innés afin de préserver son existence
face à une menace ou à une situation inédite.
Charles Darwin a
analysé le phénomène de la peur dans L’expression des émotions
chez l’Homme et chez les animaux, c’est d’après lui une réaction
spontanée qui conduit à des mises en place de stratégies de
défense, de fuite ou de riposte face à un prédateur ou un péril
inconnu.
B) Caractère humain de la peur
Chez l’Homme, face au processus de civilisation (débutant aux
alentours 3500 avant J.-C.
en Mésopotamie), des spécificités se sont
ajoutées à la peur.
C’est ainsi que Gina Devau dans Introduction à
une approche biologique de la peur analyse deux types de peurs
propres à l’humanité : Les peurs dites « émanantes de la société »
et les peurs dites « naturelles » (peur du vide/nuit etc.).
Enfin,
elle
distingue
également
les
peurs
dites
« civilisationnelles », liées à la perception par les individus de la
civilisation et notamment de ses dérives et de son éventuelle fin.
C’est ce qui est appuyé par René Barjavel qui dans Ravages décrit
la chute brutale de la civilisation moderne occidentale et le retour à
une forme de civilisation primitive et dépourvue de toute
technologie.
C) La peur comme ennemie de la raison
La peur est non seulement un avantage évolutif indéniable
mais peut également se révéler être un profond handicap pour une
compréhension logique et rationnelle des faits : c’est le caractère
ambivalent de la peur.
En effet, Si la crainte peut engendrer la
prudence, la panique ne peut guère déboucher sur une attitude
rationnelle.
Ainsi la raison et la peur entretiennent donc des rapports
complexes, au vu de son aspect irrationnel.
Albert Einstein dans son discours à l’université de Princeton
en 1948 arguait que « la peur bloque la compréhension intelligente
2
de la vie ».
Signifiant par-là que la peur et par-delà les émotions
sont les ennemies de la raison et de la compréhension des
évènements.
On retrouve cette volonté d’écarter les émotions néfastes
(dont la peur)
- Dans la prise de décision dans les principes de démarches
scientifiques : technique pure et rigueur intellectuelle
- Dans la pensée stoïcienne.
Marc-Aurèle dans Pensées pour moimême développe l’idée de « purge des vaines passions », afin de
permettre aux dirigeants de Rome de gouverner sainement et
avec justice pour le bien du peuple et de la Cité.
Marc-Aurèle
lui-même, qui fut empereur et philosophe, applique ses propres
principes à son règne.
D) Définition philosophique de la peur
La définition de la peur d’un point de vue philosophique est très
sujette à controverses.
Une marque de l’autorité
Pour Baruch Spinoza dans son Traité théologico-politique
caractérise la peur (timor) comme un « désir d’éviter un mal plus grand,
que nous craignons, par un moindre ».
Il nuance ce propos en ajoutant
que la peur peut favoriser l’émergence de sentiments et passions nobles
tel que le courage qui se manifeste selon lui par le désir de l’individu de ne
plus subir sa situation et d’affronter une situation complexe ou
dangereuse.
Ainsi, chez Spinoza, la peur peut également servir d’outil à
une autorité afin de parvenir à des objectifs définis.
Mais donc également
un moyen des autorités d’asseoir leur emprise sur les sentiments des
individus vis-à-vis des gouvernants.
Un exemple de l’usage de la peur
comme instrument d’autorité réside dans les actions du pouvoir soviétique
dans l’URSS post-Seconde Guerre mondiale afin de réduire au silence les
opposants à la tyrannie communiste de Moscou dans les pays du rideau de
fer notamment lors du Printemps de Prague en 1968.
Facteur décuplant des facultés humaines
La peur peut également se révéler être une forme d’effet
multiplicateur des facultés de l’être humain et ce dans tous les domaines.
C’est notamment la thèse défendue par André Comte-Sponville dans
Contre la peur : et cent autres propos.
L’auteur y avance notamment
l’idée que la peur peut servir de révélateur de ce que l’être humain est
capable de faire, ainsi selon lui, cette dernière agit comme « une force
décuplante des savoirs de l’Homme ».
A) Le contrôle social et la peur
L’arme des États forts
3
La peur, de nature protéiforme, peut s’analyser et se comprendre
tant au niveau des individus que des sociétés et civilisation (
organisations hiérarchiques et institutionnelles comme les États).
Ces
dernières sont à la fois l’aboutissement des différentes composantes de la
peur mais également des acteurs privilégiés de celle-ci.
En effet, tout État
peut utiliser et même créer la peur dans un but de servir ses propres
objectifs ou le soi-disant intérêt de son peuple.
thèse défendue par
Gordon Smith et Daniel Wolfish dans leur ouvrage commun Qui a peur
de l’État ? Ils développent l’hypothèse que les États depuis la Renaissance
en Europe sont passés maîtres dans l’art de contrôler les informations.
Et
que les États suffisamment forts peuvent maîtriser ce qu’ils nomment
« les cercles de diffusion » contrôle non seulement les informations et
de la vérité mais également les critiques qui pourraient émaner des
peuples, créant un cercle fermé de l’information où rien n’échappe à l’œil
de l’État.
Cette pratique s’observe tout particulièrement dans les régimes
totalitaires les plus aboutis tel que défini par Georges Orwell dans son
roman 1984 : contrôle absolu de tous les aspects de la vie des habitants
par des moyens de surveillance surdéveloppés ou par le contrôle des
émotions.
Le contrôle des individus
L’Homme entrant dans la civilisation doit irrémédiablement obtenir
un contrôle même partiel de ses émotions et tout particulièrement la peur
afin de pouvoir mener une vie sociale paisible.
Dans ce sens la peur doit
se plier au contrôle social afin de devenir acceptable par l’ensemble de la
société.
Thèse défendue par Norbert Elias dans son ouvrage La
civilisation des mœurs.
Pour lui, cette civilisation des mœurs se traduit par
un fort contrôle social qui vient s’imposer aux individus, ces-derniers
doivent renoncer à une partie de leurs instincts primaires en échange de
l’adhésion à la société et de pouvoir bénéficier de ses bénéfices.
La peur, instrument de diversion
La peur peut également servir de diversion pour un État.
Ainsi, il
n’est pas rare de voir des gouvernements user de la peur afin de cacher
leur propres défaillances et de canaliser la colère d’une partie de la
population envers un objectif extérieur.
Théorie développé par Corey
Robin dans son ouvrage La peur : histoire d’une idée politique.
L’auteur
développe la théorie que la peur est un phénomène régulièrement utilisé
et agité par les États....
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