1995: Politique française
Publié le 05/12/2018
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DE LA « FRACTURE » À LA RIGUEUR
Dans la vie politique française, il n'y a pas de moment plus important que celui de l'élection présidentielle. Une fois tous les sept ans, le pays choisit son destin et celui qu'il charge de l'incarner. À une époque où le citoyen a de plus en plus de mal à faire le lien entre le bulletin de vote qu'il dépose dans l'urne et les conditions de sa vie quotidienne, ce temps fort où tout un chacun est à même de dire son mot sur l'essentiel revêt une importance plus grande encore que par le passé. Le scrutin de 1995 a donc bénéficié de ce contexte, auquel il faut ajouter une donnée primordiale : le départ du président François Mitterrand après deux mandats successifs correspondait très exactement au cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et marquait on ne peut plus fortement la fin, pour la France, de la période de l'après-guerre. Il ne suffisait pas de constater que les équilibres géopolitiques étaient en complet bouleversement, que le mode de production sur lequel vivaient les pays développés était en voie de transformation, que les points de repère idéologiques tendaient à s'effacer, encore fallait-il que quelqu'un puisse incarner l'élaboration d'un nouvel ordre politique, économique et social : c'est ce choix-là qu'a solennisé l'élection présidentielle du mois de mai 1995.
LE RETOUR
Jacques Chirac est donc devenu à ce moment-là de l'histoire de la France le chef de l’État. Ce fut pour lui un intense bonheur, dont le pays fut témoin à travers une soirée de liesse populaire, place de la Concorde, à Paris. Bonheur d'autant plus précieux que Jacques Chirac avait commencé en 1976 sa longue marche vers le palais présidentiel : à l'époque, il avait démissionné avec fracas de son poste de Premier ministre du président Giscard d'Estaing, avant
«
de
promesses your obtenir que les Français se
détournent d'Edouard Balladur pour revenir à
Jacques Chirac.
Le résultat avait été d'une parfaite clarté.
n
sanctionnait l'incontestable domination de la
droite face à une gauche encore mal remise
d'une fin de septennat particulièrement difficile
et d'un bilan vigoureusement contesté par les
Français.
Face à Lionel Jospin, candidat de la
gauche au second tour, Jacques Chirac avait
pris place parmi les présidents les mieux élus,
nommant dans la foulée celui que tout le monde
attendait au poste de Premier ministre son fidè
le adjoint et conseiller, Alain Juppé, bientôt
maire de Bordeaux et président du RPR.
Tout
allait si bien que le.
nouveau président, visible
ment heureux, n'hésitait pas à expliquer qu'il
avait à ses côtés « un nouveau Georges Pompi
dou ».
L'opposition, tout occupée à panser ses
plaies et à forger de nouveaux outils intellec
tuels et politiques, ne s'opposait pas.
Le parti
communiste et la CGT paraissaient vouloir
donner la main au nouveau pouvoir qui avait
fait campagne contre« la fracture sociale» qu'il
se promettait de réduire, et l'autre grande cen
trale syndicale, anticommuniste celle-là, Force
ouvrière, avait à sa tête un secrétaire général,
Marc Blondel, qui avait ouvertement pris place
parmi les graJ)dS électeurs du président Chirac.
Et, tandis qu'Edouard Balladur avait joué loya
lement le jeu du désistement, les deux autres
grandes figures de la droite, l'ancien président
Giscard d'Estaing et l'ancien Premier ministre
Raymond Barre, multipliaient les bonnes
paroles.
LA RÉVOLTE
À la fin de l'année 1995, pourtant, ces
images ont tout à coup paru bien lointaines.
Alors que l'hiver s'installait, la France connut
l'un des plus importants mouvements sociaux
de son histoire récente.
À partir de grèves
déclenchées dans les transports publics, une
partie importante du pays se mit en mouvement,
soutenant les grévistes et manifestant son
mécontentement, surtout en province où les
cortèges furent puissants.
Dans l'intervalle, le
couple exécutif avait vu sa popularité fondre
comme neige au soleil.
Pour la première fois
dans l'histoire de la v• République, le président
et son Premier ministre connaissaient une
impopularité record.
L'opposition de gauche
sortait de sa torpeur et marquait des points dans
toutes les consultations partielles, tandis que les
intentions de vote dans la perspective des légis
latives, mesurées par sondages, s'inversaient à
son profit pour la première fois depuis 1991.
Les téno rs de la droite manifestaient à leur tour
un certain agacement, Giscard d'Estaing allant
jusqu'à dénoncer « l'absence de perspective >>.
LES RAISONS
D'UNE DÉCEPTION
L'origine de ce retournement de l'opinion
doit certainement être recherchée dans la cam
pagne présidentielle elle-même.
Le Premier
ministre d'alors, Édouard Balladur, avait fait
campagne sur le mode raisonnable et gestion
naire, plaidant pour un processus de réfonnes
de la société française « sans fracture ».
Pour
convaincre, Jacques Chirac avait pris des posi
tions plus radicales, n'hésitant pas à laisser entendre que
la priorité
pour l'emploi qu'il propo
sait allait de pair avec un
changement de politique
économique et sociale, sou
lignant que « la feuille de
paie » n'était pas à ses yeux
« l'ennemie de l'emploi ».
Pour mieux vaincre, Jacques
Chirac avait fait reproche à
Édouard Balladur d'avoir
freiné le rythme de la repri
se économique en alourdis
sant à tort Je poids des pré
lèvements obligatoires.
Le
pays attendait donc, au lendemain de l'élection
présidentielle, un nouvel élan, voire une relance
de l'activité par des moyens appropriés, et
notamment par un effort en faveur de la deman
de et donc du pouvoir d'achat des salariés.
Or, à
l'automne, le président de la République, lors
d'une intervention à la télévision, prit Je pays à
témoin de la nécessité dans laquelle il se trou
vait de réduire de façon
significative les déficits
publics, et donc d'alourdir à
nouveau les prélèvements
obligatoires.
Demandant un
effort pour les deux années
à venir, le président confia
à son Premier ministre le
soin de rétablir l'équilibre
des comptes, notamment
ceux de la Sécurité sociale,
lourdement déficitaire.
Cette rapidité avec laquelle
les Français ont vu revenir
une politique de rigueur, que certains croyaient
avoir écartée par leur vote, a sans aucun doute
�avorisé l'apparition d'un fort mécontentement.
A cela se sont ajoutées une conjoncture écono
mique peu encourageante, une crainte diffuse
du chômage, qui a cessé de refluer, l'angoisse
du lendemain pour les milliers d'étudiants qui
craignent que leurs diplômes ne leur offrent peu
ou pas de débouchés, la
peur plus générale en Euro
pe des conséquences de la
mondialisation de l'activité
économique.
Au poste qu'il occupe,
Jacques Chirac a le temps.
C'est-à-dire six ans devant
lui pendant lesquels il peut,
en cas de difficulté majeu
re, changer de Premier
ministre, infléchir la poli
tique économique, dis
soudre l'Assemblée natio
nale au moment qu'il juge opportun.
Son calen
drier, celui de l'échéance législative de 1998, l'a
conduit à hâter les mesures impopulaires pour
être à même, à l'approche du scrutin, de mettre
ses partisans en position de l'emporter et de lui
éviter quatre années de cohabitation avec la
gauche.
C'est ce pari qu'il a d'ores et déjà enga
gé et dont la réussite dépend de la rapidité avec
laquelle les finances publiques retrouveront un
équilibre compatible avec de nouvelles pro
messes électorales.
JEAN-MARIE COLOMBAN!
01RECfF.UR DU MONfJf:: REVENANT
SUR l.ES ENGAGEMENTS
ÉLECTORAUX DU CANDIDAT JACQUES CHIRAC.
LE GOUVERNEMENT JUPPÉ
SE FIXE COMME PRIORITÉ LA RÉSORPTION DES
DÉFICITS SOCIAUX ET PROVOQUE
UN VASTE MOUVEMENT DE PROTESTATION.
DURAI-Ir PWSIElJRS SEMAINES,
LA CAPITALE EST PARALYSÉE.
MAIS LES PAJlJSJ.ENS, PLI.JTÔT FAVORABLES
AUX REVENDICATIONS DES GRÉVIS TES,
CHOISISSENT, AVEC BONHOMIE
OU RÉSIGNATION.
LE.
»
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