PODCAST: « Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie. » Claude Lévi-Strauss (1908), Race et histoire.

Qualifier un homme de « barbare «, c'est ne pas voir qu'il appartient bien à une culture, et qu'il est « civilisé « en ce sens. C'est de l'ethnocentrisme : prendre sa propre culture comme modèle auquel doivent être comparées toutes les autres.

 Lévi-Strauss montre que l'ethnocentrisme est bien la plus ancestrale et la plus universelle des attitudes. Chaque peuple tend en effet à se considérer comme le plus digne, voire le seul véritable représentant de la race humaine, les autres hommes se voyant ravalés au rang de « barbares « ou d'êtres inférieurs : «L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages«, «cela n'est pas de chez nous«, «on ne devrait pas permettre cela«, etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. « Que l'ethnocentrisme soit la plus spontanée des attitudes ne signifie pas cependant qu'elle soit la plus légitime. Tout au contraire. On a déjà souligné plus haut qu'à refuser la diversité culturelle, une société courait le risque de l'enfermement et de l'appauvrissement. L'histoire, de plus, est riche d'exemples qui montrent que l'ethnocentrisme débouche régulièrement sur la mise à mort ou sur l'asservissement d'autrui. De la conquête de l'Amérique par les Espagnols jusqu'au colonialisme sous toutes ses formes, la certitude européenne de posséder la vérité et d'incarner pleinement les valeurs de l'humanité tout entière a été féconde en crimes et en massacres. L'attitude juste consiste donc, non pas à se laisser aller à l'ethnocentrisme spontané qui vit en nous, mais tout au contraire à nous déprendre de celui-ci en nous arrachant à nos préjugés. Telle est la tâche que s'assigne l'ethnologie moderne. En nous enseignant à connaître et à comprendre les civilisations différentes, elle nous amène à découvrir la part d'arbitraire que contiennent nos propres valeurs et la légitimité éventuelle des valeurs qui règlent la vie des hommes sur d'autres continents.

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