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HISTOIRE DE LA CHIMIE

Publié le 02/05/2019

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LA CHIMIE ORGANIQUE

 

 

LA NAISSANCE DE LA CHIMIE BIOLOGIQUE

 

La manipulation chimique de la matière a toujours impliqué les substances d’origine biologique. Et depuis toujours les substances d’origine biologique ont été considérées plus ou moins comme des substances spéciales. La naissance et le développement de la chimie en tant que science ne modifient pas, du moins pas dans l’immédiat, cette différenciation. Disons même que, d’une certaine façon, ils lui confèrent un contenu plus analytique. Le fait est que les chimistes observent dans leurs laboratoires que les substances produites par les organismes vivants se comportent d’une manière différente, sont moins stables et plus réactives, que les substances tirées du monde non vivant.

C’est ainsi que le Suédois Torbern Bergman, en 1780, distingue trois types de substances chimiques : les substances minérales, qui sont des substances simples ; les substances pures extraites des organismes, qui ont certes perdu les caractéristiques du vivant mais qui sont très complexes ; et, enfin, les produits organiques, c'est-à-dire les fluides et les tissus appartenant à un « être organisé » du monde animal ou végétal.

Berzelius fait sienne pour l’essentiel cette différenciation. En 1814, il est le premier à parler de chimie organique, même si par ce terme il entend ce que nous définissons aujourd’hui comme la chimie biologique.

Berzelius reconnaît que les composés organiques obéissent à la loi des proportions définies et constantes précisément comme les composés non organiques ou inorganiques. En outre, il pense que les constituants organiques peuvent obéir à toutes les lois générales de la chimie, même s’il considère qu’il est très difficile ou même impossible de le démontrer. D’autre part, Berzelius, comme presque tous ses collègues, pense que les composés organiques ne peuvent pas être obtenus au laboratoire, parce qu’ils sont produits et contrôlés par une vis viva, une force vitale qui a seule la capacité de conférer la vie aux organismes.

C’est avec une grande surprise, par conséquent, qu’en 1828 Berzelius et tous les vitalistes reçoivent la nouvelle suivant laquelle Friedrich Wöhler est parvenu à transformer un composé inorganique, le cyanate d’ammonium, en un composé organique (dans le sens de biologique) comme l’urée, produite jusqu’à présent uniquement par les animaux.

D’autre part Michel-Eugène Chevreul a publié en 1823 un livre intitulé Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, dans lequel il démontre que les savons obtenus par saponification des graisses, une fois traités avec des acides, donnent naissance à des produits cristallisés, de véritables acides, comme l’acide butyrique et l’acide stéarique qu’il a isolés. La graisse d’origine animale, par conséquent, n’est autre que le résultat de la combinaison de la glycérine et de ces acides organiques, à la faveur d’une liaison qui paraît semblable à celle qui conduit à la formation des sels dans le monde inorganique. Ainsi, le processus de saponification, soutient alors Chevreul, consiste en une décomposition d’un sel gras par une base, cette dernière prenant la place de la glycérine anhydre.

Lavoisier, comme nous l’avons vu, avait travaillé dans le domaine de la chimie organique biologique, inaugurant cette nouvelle sous-discipline de la chimie. Mais ce n’est qu’au début du XIXe siècle que la chimie organique, tout en conservant l’ambiguïté de la définition, connaît un développement considérable, grâce aux résultats auxquels nous avons fait allusion, mais grâce aussi à la méthode mise au point par Justus Liebig pour analyser les composés organiques et à la méthode d’analyse des composés azotés mise au point, en 1883, par Jean-Baptiste Dumas.

Grâce à ces méthodes, les chimistes isolent, étudient et même synthétisent dans leurs laboratoires un ensemble de plus en plus fourni de produits biologiques, sans trouver trace ni empêchements dus à la vis viva, au point que, en 1860, Marcelin Berthelot peut publier son livre sur la Chimie organique fondée sur la synthèse, où il démontre la possibilité de synthétiser tous les produits organiques à partir de quelques corps simples : le carbone, l'hydrogène, l'oxygène, l’azote. Il y démontre également que, bien que beaucoup plus complexe, la chimie organique ne semble pas du tout échapper aux lois générales de la chimie.

Après avoir obtenu ces résultats, les chimistes abandonnent l’hypothèse vitaliste, et ils essayent d’expliquer le comportement des substances biologiques par de nouvelles théories, matérialistes.

 

 

LA THÉORIE DES RADICAUX

 

La première est la théorie des radicaux, que l’on peut attribuer à Guyton de Morveau. Ce chimiste français soutenait en effet que dans chaque acide il existe une substance simple qui modifie l'oxygène, substance qu’il appela « radical de l’acide ». Lavoisier fit sienne cette idée, en précisant que dans les substances inorganiques l’union avec l'oxygène était recherchée par un radical simple, tandis que dans les substances organiques, elle l’était par un radical complexe.

Gay-Lussac reprend ce concept et démontre que le radical cyanure, résultant d’une liaison entre l’azote et le carbone, subit toute une série de réactions, tout à fait semblables à celles du chlore et de l’iode, sans subir de modifications. En d’autres termes, le radical cyanure, bien qu’il soit composé, se comporte comme une substance simple. De la même façon, Justus Liebig et Friedrich Wöhler démontrent que l’huile d’amandes amères (la benzaldéhyde) est un groupe d’atomes de carbone, d’hydrogène et d’oxygène, qui peut subir sans altération une longue série de réactions. Le groupe est par conséquent appelé radical benzoyle.

D’autre part, Liebig croit de même que le radical éthyle, quand il réagit avec l'oxygène donne de l’éther éthylique, et quand il réagit avec de l’eau donne de l’alcool. En réalité, Liebig commet une erreur, que l’on doit attribuer à son idiosyncrasie vis-à-vis du concept de poids atomique. L’éther éthylique, en effet, de formule brute C4H10O, présente la formule développée :

 

C2H5 - O - C2H5

 

Il possède donc deux radicaux éthyliques, tandis que l’alcool éthylique, de formule brute C2H6O, présente la formule développée

 

C2H5 - OH

 

où n’apparaît qu’un seul radical éthylique.

Mais, au-delà des erreurs de parcours, le concept de radical, groupe d’atomes qui se comporte chimiquement comme une entité, devient l’un des concepts fondamentaux de la chimie organique. Grâce aussi à Berzelius, qui l’accepte et lui apporte le soutien de son autorité.

En 1837, Liebig et Dumas affirment que le concept de radical résout tous les problèmes de la chimie organique. La chimie inorganique, soutiennent-ils, est faite de radicaux simples, la chimie organique de radicaux complexes : toute la différence est là. Par ailleurs, du fait que tous, radicaux simples et complexes, sont soumis aux mêmes lois de combinaison et de réaction, tous les problèmes sont résolus. Toutefois, Berzelius revient sur la structure du radical benzoyle et réfléchit sur le fait qu’il contient un atome d’oxygène, élément situé le plus haut dans son échelle des électronégativités : comment l'oxygène, avec toute sa réactivité, peut-il jouer un rôle secondaire dans le radical benzoyle ? Il est évident, soutient-il, que le radical benzoyle ne contient pas d'oxygène, qu’il est formé seulement de carbone et d’hydrogène, et mieux, que tous les radicaux sont formés seulement de carbone et d’hydrogène, qui peuvent ensuite réagir avec l'oxygène. Et, dans sa tentative de démonstration de cette nouvelle théorie, Berzelius décrit une série si compliquée de radicaux composés seulement d’hydrogène et de carbone, que les chimistes, peut-être pour la première fois, ne le suivent plus.

Toutefois, la complexité de la chimie organique devient de plus en plus évidente pour tout le monde : une complexité bien supérieure à celle que réussit à expliquer la théorie des radicaux. Dumas, par exemple, découvre précisément en 1834 que les hydrogènes du radical éthylique peuvent être remplacés par des halogènes (atomes de chlore, fluor, brome et iode) dans une réaction qui produit un volume égal d’acide halogénhydrique.

Son disciple, Auguste Laurent, tire toutes les conséquences théoriques de cette découverte. Les hydrocarbures, composés seulement d’hydrogène et de carbone, peuvent être considérés comme des radicaux fondamentaux, à partir desquels, soutient Laurent, on peut obtenir au moyen de réactions de substitution appropriées des radicaux dérivés, qui conservent pour l’essentiel les mêmes propriétés que les radicaux d’origine. La théorie de Laurent semble constituer une nouvelle présentation de la théorie de Berzelius, mais c’est précisément le Suédois qui réagit avec énergie contre cette hypothèse : « Je ne peux pas accepter, soutient-il, qu’un atome électronégatif comme le chlore puisse remplacer un atome électropositif comme l'hydrogène. »

La théorie de Laurent est attaquée également par Liebig et par son puissant maître, Dumas, qui est un membre influent de l’Académie des Sciences de France. Bref, Laurent se retrouve pendant longtemps relégué dans de petites universités de province, ainsi sanctionné pour avoir défié les grands de la chimie.

Toutefois, sa théorie, appelée théorie unitaire pour la distinguer de celle de Berzelius, s’impose lentement. Réussissant à convaincre, enfin, Dumas lui-même, Laurent obtient finalement une chaire à Paris, où il meurt, très jeune, de tuberculose.

 

 

LA THÉORIE STRUCTURALE

 

La théorie des radicaux, surtout dans la version de Laurent, a beaucoup contribué à éclaircir les choses en chimie organique. Bien qu’elle ne soit pas, en toute rigueur, correcte, elle a permis d’établir l’existence des groupes fonctionnels, groupes qui ont un comportement plutôt complexe et qui échappent aux lois dualistes qui semblent régner en chimie inorganique. Toutefois, la théorie des radicaux ne peut pas être la théorie définitive de la chimie organique. Les chimistes ne savent pas comment les atomes se lient entre eux dans un composé organique. Et ils ne savent pas, par conséquent, pourquoi ils donnent naissance à des groupes fonctionnels.

Quand l’affinité chimique commence à être comprise et, après la fin du XIXe siècle, quand les précoces intuitions d’Avogadro sont finalement comprises et acceptées, naît une théorie de la chimie organique nouvelle et plus complète : la théorie structurale.

L’élaboration de cette théorie est précédée par une série de nouvelles découvertes de composés organiques. Vers 1950, Hermann Kolbe obtient l’éthane, Edward Frankland le butane et Charles Wurtz découvre les amines primaires.

On commence à reconnaître les groupes fonctionnels des différents composés organiques, et des formules d’analogie sont élaborées, que Kolbe lui-même rendra bientôt très semblables aux formules développées actuelles. Mais c’est l’Allemand Friedrich August Kekulé (1829 - 1896) qui fait accomplir un grand saut qualitatif à la chimie organique : en 1858, il démontre que chaque atome de carbone a quatre unités d’affinité, c'est-à-dire qu’il participe à quatre liaisons chimiques différentes.

- C -

C’est pour cette raison qu’il peut se lier à quatre atomes ne présentant qu’une seule unité d’affinité, comme l'hydrogène, ou à deux atomes disposant de deux unités d’affinité, comme l'oxygène. Bientôt, Kekulé se rend compte qu’un atome de carbone peut se lier à un autre atome de carbone, en laissant trois unités d’affinité libres pour chacun d’entre eux.

 

  

- C - C -

  

 

Ainsi, les atomes de carbone peuvent donner naissance à des chaînes aussi longues que l’on veut.

Et ce sont ces chaînes, qu’elles soient courtes ou longues, qui forment la base des composés organiques. Et c’est sur ces chaînes que se fixent les groupes fonctionnels qui caractérisent les différents composés organiques.

En 1861, Kekulé peut donc définir la chimie organique de façon moderne, comme la chimie des composés du carbone. Cette même conception est présentée à Paris par l’Écossais Archibald Scott Couper, qui, en outre, représente par une ligne chaque liaison d’affinité, ce qui rend finalement possible la visualisation de la structure d’un composé et l’écriture de sa formule développée. Dans les mois suivants, sont découvertes les doubles et les triples liaisons du carbone, qui donnent naissance à des classes entières de composés : respectivement les alcènes et les alcynes.

Grâce à Kekulé et à Couper, on a donc compris la nature des composés organiques, au moins la nature et la structure des composés organiques aliphatiques, parce que celle des composés aromatiques reste assez mystérieuse.

C’est encore une fois August Kekulé, qui en 1865, résout judicieusement ce mystère. Il imagine, il rêve même, que les chaînes des atomes de carbone peuvent se replier sur elles-mêmes et se fermer en un cycle. L’un des ces cycles, celui du benzène, constitue la base de la chimie organique aromatique.

Les années suivantes se caractérisent par un développement formidable de la chimie organique, expérimentale et théorique. On comprend que l’atome de carbone a une géométrie tétraédrique, et que, toutefois, il n’est pas toujours tétravalent. On comprend, grâce à Markovnikov, que les groupes fonctionnels et la réactivité des atomes peuvent être très influencés par la proximité d’autres groupes sur la chaîne carbonatée. On approfondit les études sur les isomères et, notamment sur les isomères optiquement actifs découverts par Louis Pasteur. C’est ainsi que naît la stéréochimie et, avec elle, la chimie des carbohydrates. On synthétise des centaines, des milliers de composés organiques, conçus, cette fois, dans le sens de Kekulé : celui de composés de carbone.

Une nouvelle et puissante industrie peut naître et se développer rapidement en Europe et en Amérique. La chimie organique, la chimie du pétrole, devient l’une des productions de base dans les pays les plus avancés.

Et tout cela sans que personne ne sache encore expliquer pourquoi les atomes s’unissent entre eux.

Comme le soutient Leicester, le développement de la chimie organique après 1860 représente l’utilisation la plus remarquable du raisonnement logique quantitatif que l’on ait jamais eue dans l’histoire de la science.

 

 

LES DÉVELOPPEMENTS DE LA CHIMIE INORGANIQUE

 

 

La chimie organique, vers la moitié du XIXe siècle, retient désormais l’intérêt d’une grande partie des chimistes. C’est ainsi que, bien que les études de thermodynamique soient laissées aux physiciens et que la chimie physique naisse au milieu de mille difficultés, peu nombreux sont les chimistes qui se consacrent à l’étude de la matière inorganique. Dans ce domaine aussi, les succès expérimentaux précèdent de beaucoup les succès théoriques. C’est ainsi que sont affinées, par exemple, les techniques qui permettent de déterminer avec une exactitude de plus en plus grande les poids atomiques et les poids équivalents. Mais la confusion théorique entre ces deux concepts ne disparaît pas pour autant.

Entre-temps, sont isolés nombre de nouveaux éléments, entre les années 20 et les années 30. Après le sodium et le potassium, isolés au début du siècle, c’est le tour du silicium et du zirconium en 1824, du titane et de l’aluminium en 1825, du thorium et du béryl en 1828, du magnésium en 1831. Au cours des années suivantes, grâce au développement des techniques électrolytiques, sont isolés tous les métaux du groupe du platine, tandis qu’il est possible d’obtenir les nouveaux éléments sous une forme de plus en plus pure. Les halogènes aussi, bien que très réactifs, sont isolés à l’état pur. Il faudra toutefois attendre 1886 pour que le fluor soit isolé par Henri Moissan. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, enfin, on commence à identifier les terres rares, grâce à une découverte destinée à avoir un grand impact sur la chimie analytique : la spectroscopie.

En réalité, on savait depuis longtemps que les éléments chimiques absorbent la lumière de façon diversifiée et caractéristique. En 1758, Marggraf avait remarqué que le sodium et le potassium prennent une certaine couleur dans la flamme. Lavoisier lui-même, puis Laplace avaient effectué des études de colorimétrie. En 1822, l’astronome Herschel avait remarqué des lignes lumineuses et des espaces sombres dans le spectre d’absorption de flamme du sodium et du potassium. Mais ce n’est qu’en 1859 que Robert Bunsen et Gustav Robert Kirchhoff démontrent que chaque élément présente des raies d’absorption caractéristiques, que ces raies subissent des perturbations dues à la présence d’autres éléments et que, surtout, on peut les mesurer au moyen d’un instrument qu’eux-mêmes, Bunsen et Kirchhoff, ont mis au point : le spectroscope, un instrument si sensible qu’il détecte les raies caractéristiques d’éléments présents même à l’état de traces.

Bunsen découvrit immédiatement deux nouveaux métaux alcalins : le césium en 1860 et le rubidium en 1861. Mais il est inutile de dire que la première et la plus importante application pratique de l’analyse spectroscopique concerne l’étude des minéraux qui alimentent le système industriel du XIXe siècle.

La chimie inorganique expérimentale obtient, dans la première moitié du XIXe siècle, toute une série de succès, comparables à ceux de la chimie organique. Mais, tout comme en chimie organique, on a du mal à trouver une théorie unitaire en mesure d’expliquer tous ces succès.

Les chimistes obtiennent les mêmes résultats expérimentaux à Paris ou à Berlin, à Londres ou à Rome, mais les interprétations restent souvent différentes. C’est comme si chacun parlait une langue différente, parfois même incompréhensible à tous les autres. C’est pour cette raison, pour unifier les langages et les interprétations, qu’August Kekulé organise avec son ami Carl Weltzein et avec Charles Wurtz le premier Congrès chimique international qui se tient le 3 septembre 1860 à Karlsruhe, en Allemagne.

 

 

CANNIZZARO ET LE PREMIER CONGRÈS DES CHIMISTES

 

Le Congrès obtient un succès de prestige remarquable, parce qu’il réunit pour la première fois tous les chimistes du monde. Mais il n’aurait obtenu aucun succès pratique si n’y avait pas participé un enseignant de chimie de l’université de Gênes : Stanislao Cannizzaro.

Ce chimiste italien est un grand connaisseur et un adepte convaincu des idées d’Avogadro. Et il considère que le moment est venu de les relancer, en étant conscient que ces idées peuvent constituer la base d’interprétation d’une bonne partie des résultats expérimentaux obtenus ces dernières années. À Karlsruhe, Cannizzaro apporte une de ses publications précédentes dans laquelle il démontre que tous les grands chimistes de l’époque, de Berzelius à Dumas, ont en fait accepté une partie des idées d’Avogadro. Il s’agit maintenant de les accepter comme un tout, pour donner à la chimie théorique un cadre cohérent.

Il faut distinguer clairement entre les atomes et les molécules, soutient Cannizzaro, et il faut fournir une unité de mesure simple et cohérente pour la détermination des poids atomiques. Si l’on choisit comme unité de mesure la demi molécule, soit l’atome d’hydrogène, il est alors possible de déterminer avec une grande simplicité et une grande précision les poids atomiques et les poids moléculaires de toutes les substances connues.

Pour donner plus de force à cette idée prometteuse, Cannizzaro présente à ses collègues un tableau correct pour l’essentiel, des poids moléculaires d’un grand nombre de composés. Le Congrès se montre préparé à ce tournant si simple et radical. Aussi, lorsque, quatre années plus tard, l’Allemand Lothar Meyer publie son livre sur la théorie chimique fondée sur les théories d’Avogadro, la plupart des chimistes du monde entier ont déjà fait leurs ces concepts, et la chimie théorique, organique et inorganique, accomplit un pas en avant supplémentaire, décisif. Il est possible désormais de reconstruire aussi bien les structures simples des composés inorganiques que les structures compliquées des composés organiques, sur la base de quelques règles logiques.

 

 

LA CLASSIFICATION PÉRIODIQUE

 

L’acceptation de la théorie d’Avogadro permet de distinguer les atomes des molécules, et d’en expliquer le comportement, tandis que la découverte et l’isolement d’un grand nombre d’éléments permet à présent de vérifier que nombre d’entre eux présentent des comportements semblables. Les halogènes, par exemple, sont tous très réactifs et électronégatifs. Les métaux alcalins ont des propriétés chimiques presque identiques. La même chose vaut pour les métaux du platine.

Il est évident, soutient Johann Wolfgang Dobereiner, que les éléments chimiques se divisent en groupes ayant des propriétés analogues, et que ces groupes sont formés de trois éléments, ou triades.

John Alexander Reina Newlands remarque également une certaine correspondance entre les poids atomiques et les propriétés chimiques, et il soutient que les constituants de chaque triade reviennent sur une échelle des poids atomiques tous les huit éléments. Newlands appelle règle des octaves cette périodicité, en hommage à sa culture musicale. Mais ses collègues restent plutôt sceptiques.

Il appartient donc au Russe Dmitrij Ivanovitch Mendeleiev de surmonter cette défiance : il range les éléments dans un tableau par poids atomiques croissants. Chaque ligne est formée de sept éléments. Chaque colonne regroupe les éléments ayant des propriétés chimiques semblables.

Mendeleïev est tellement sûr de la justesse de sa classification, qu’il va jusqu’à prédire non seulement l’emplacement, mais aussi les propriétés chimiques d’éléments non encore découverts. Dans la colonne de l’aluminium, par exemple, il y a un vide qui devra être comblé par un élément, l’éka-aluminium, dont le poids atomique est égal à 68. Cet élément formera un trioxyde, Ea2O3, avec un poids spécifique 5,5. Il se dissoudra dans les acides pour former des sels du type EaX3 ; et des hydroxydes qui se dissoudront dans les acides et dans les alcalis. Les sels seront de nature basique. Quelques années plus tard, cet élément sera découvert : son poids atomique est de 69,9 et il présente toutes les propriétés chimiques prévues par Mendeleïev. Il sera appelé gallium.

De la même façon, Mendeleïev prédit l’existence du scandium et du germanium. Entre-temps, en 1870, l’Allemand Lothar Meyer arrive, de façon tout à fait indépendante, aux mêmes conclusions que Mendeleïev. Si bien que l’échelle périodique des éléments devient immédiatement l’une des colonnes portantes de la chimie théorique. Le succès de cette classification n’est certainement pas démenti, mais il est même renforcé, quand John William Strutt, baron de Rayleigh, découvre, en 1892, un nouvel élément (l’hélium) et même un nouveau groupe, le huitième, celui des gaz rares, qui ont une faible tendance à réagir et une valence zéro.

Grâce aux théories d’Avogadro et de Mendeleïev, la chimie réussit désormais à prédire le comportement des atomes. Mais elle ne sait pas en expliquer encore la cause.

 

 

 

LA CHIMIE DE NOS JOURS

 

À la fin du siècle dernier, les physiciens pensent que les découvertes fondamentales de leur science ont été, désormais, toutes effectuées. La mécanique est décrite par les équations de Newton. L’électromagnétisme par les équations, récentes, de Maxwell. La thermodynamique semble avoir résolu tous ses problèmes par la théorie, statistique, de Boltzmann. Rien de fondamental, proclame Lord Kelvin, ne reste à découvrir.

Les chimistes ont la même perception en ce qui concerne leur science. On connaît, désormais, la plupart des éléments. On sait que les atomes se combinent entre eux, selon des lois précises qui valent aussi bien en chimie organique qu’en chimie inorganique, pour former des molécules. Il n’y a plus rien à découvrir. Sinon la raison pour laquelle les atomes tendent à s’unir entre eux pour former des molécules. Mais la sensation est que presque tout sera éclairci.

Et pourtant le cadre change, tant pour la physique que pour la chimie, le 19 octobre 1900, quand Max Planck découvre le quantum élémentaire d’action.

Avant ce jour, date de naissance de la mécanique quantique, il y avait eu d’importantes découvertes.

Wilhelm Röntgen, en 1895, avait découvert une nouvelle forme de radiation électromagnétique, les rayons X. En 1896, Antoine-Henri Becquerel avait découvert la radioactivité. Les époux Curie avaient découvert, ensuite, qu’il existe différents éléments radioactifs dans la nature. Et Ernest Rutherford que les substances radioactives émettent deux types de radiation : la radiation a et la radiation b. Et en 1897, Joseph John Thomson avait démontré que les rayons cathodiques sont des faisceaux de particules matérielles, lesquelles transportent, chacune, une charge électrique négative. Thomson avait découvert les électrons.

À ce point, la théorie annoncée en 1883 par Svante Arrhenius redevient utile. Il s’agit de la théorie de la dissociation électrolytique. Selon cette théorie, un électrolyte mis en solution se dissout, en se dissociant en deux ions de charge électrique opposée. Ces ions chargés sont toujours présents en solution, et se meuvent de façon désordonnée. Quand la solution est traversée par un courant électrique, c'est-à-dire, quand aux deux pôles de la cellule électrolytique, est créée une différence de potentiel, les ions migrent vers le pôle de charge opposée.

Qui plus est, Rutherford, en 1906, démontre que la radiation a émise par les atomes radioactifs est constituée d’ions issus d’atomes d’hélium, tandis que la radiation b est constituée d’électrons.

À ce point, on dispose d’assez d’éléments pour imaginer la structure de l’atome. Thomson le décrit comme l’association d’électrons ayant une charge négative et d’ions ayant une charge positive. L’atome de Thomson est un gâteau, dans lequel la charge positive est répandue dans toute la structure, tandis que la charge négative est localisée sur les électrons qui, comme des grains de raisin, farcissent le gâteau.

En 1911, Rutherford s’aperçoit toutefois expérimentalement, que la plus grande partie du volume d’un atome est occupée par de l’espace vide, que toute la charge positive est localisée dans un petit noyau central, tandis que les électrons tournent autour de ce noyau comme les planètes autour du Soleil.

Deux années plus tard, le jeune Danois Niels Bohr démontre que les orbites des électrons ne sont pas distribuées de façon continue, mais sont quantifiées. En d’autres termes, les électrons ne tournent qu’à des distances bien définies autour du noyau, et les électrons les plus périphériques, attirés plus faiblement par le noyau, sont responsables du comportement chimique de l’atome tout entier.

 

Avec le modèle atomique de Bohr, la chimie découvre à la fois les raisons profondes de l’affinité et son étroite parenté avec la mécanique quantique.

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« 2 LES THÉORIES CHIMIQUES La chimie, comme science, n’est née que récemment, entre le XVI e et le XVII e siècle.

Et pourtant, il existe une histoire de la chimie, beaucoup plus ancienne, qui ne concerne pas seulement la chimie appliquée, à laquelle nous avons fait allusion. Il existe aussi une histoire très ancienne de la chimie théorique, qui accompagne et, parfois, qui précède les études d’astronomie et de mathématiques. Les premières théories chimiques sont une conséquence du « problème des origines », c'est-à-dire, de la tentative de donner une explication, rationnelle, à l’origine du monde.

La plupart des peuples antiques s’aperçurent très tôt qu’il existe deux possibilités : ou bien le monde a été créé ex nihilo , du néant, ou bien il doit son origine à une substance primordiale .

Dans ce dernier cas, il a certainement connu une série de transformations (chimiques). Les juifs, comme nous le savons, adhérèrent à la première hypothèse : Dieu créa le Ciel et la Terre à partir du néant.

Mais le néant est difficile à concevoir.

C’est pourquoi la plupart des autres peuples préférèrent la deuxième hypothèse : l’origine à partir d’une substance primordiale.

Pour les Babyloniens, dont le sort était lié au Tibre et à l’Euphrate, cette substance primordiale ne peut être que l’eau.

Mais, quelle que soit la confiance que l’on nourrit dans les capacités de la matière à se transformer (chimiquement), il est difficile de rendre compte, au moyen d’une seule substance d’origine, des oppositions que nous trouvons dans la nature, le chaud et le froid, l’humide et le sec, la lumière et l’obscurité, la haine et l’amour.

Voilà pourquoi en Orient, ainsi qu’en Mésopotamie et en Égypte, le problème de l’origine est résolu par les cosmologies de l’opposition, dans lesquelles on trouve plus d’une substance d’origine et de complexes théories d’interactions. Les différentes cultures de l’origine cosmique ont été assimilées, puis développées de façon très originale par les Grecs.

Le Ionien Thalès (624 - 545 av.

J.-C.), auquel la tradition fait remonter l’origine de la pensée rationnelle grecque, considérait l’eau comme la substance primordiale, précisément comme les Babyloniens.

Mais, à la différence de ses voisins raffinés, Thalès a cherché une explication rationnelle, nous dirions aujourd’hui de nature chimique ou physique, à ses transformations. L’eau peut devenir de l’air par évaporation, et, poursuit Thalès, elle peut devenir un solide par congélation.

Tous les états connus de la matière, conclut Thalès, tirent leur origine de l’eau. Les disciples de Thalès, en particulier Anaximandre (611 - 547 av.

J.-C.) et Anaximène (580 - 528 av.

J.-C.), accordèrent une importance plus grande à la cosmologie des opposés, qui trouva ensuite en Héraclite (550 - 480 av.

J.-C.) son plus grand théoricien, tandis qu’Anaxagore (499 - 428 av.

J.-C.) introduisait la notion de « graines », minuscules particules incréées et indestructibles, dont les interactions, guidées par un nous , une intelligence extérieure, expliquent l’évolution de la matière. Empédocle d’Agrigente réduisit le nombre infini de graines d’Anaxagore à quatre atomes seulement.

Et il abandonna l’idée d’un nous extérieur, en expliquant la chimie cosmique par deux caractéristiques qui règlent l’interaction des atomes et de leurs composés : la philia , l’attirance, et la neixos , la répulsion.

La philia tend à faire se combiner les atomes.

La neixos , au contraire, tend à les séparer.

Empédocle peut être considéré comme le père de la théorie de l’affinité chimique.

Démocrite (460 - 370 av.

J.-C.) et Leucippe peuvent être considérés comme les précurseurs audacieux de la théorie cinétique.

Les atomes, soutiennent-ils, se meuvent au hasard dans l’espace vide.

Leurs chocs, fortuits, donnent naissance aux différentes. »

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