Y a-t-il une vertu de l'oubli ?
Publié le 12/06/2014
Extrait du document
Plan
I. La mémoire signifiant conscience et personne, l'oubli semble
ne pas avoir de vertu manifeste et être signe de mort et de déchéance de
l'être.
II. Néanmoins, il est, apparemment, de multiples vertus et
puissances de l'oubli, au sein de multiples réalités.
III. Synthèse : la vraie vertu de l'oubli est inséparable de la
mémoire, édificatrice et constructrice.
Dissertation
Introduction
L'intitulé de sujet présuppose, implicitement, une dimension négative et non
constructrice de l'oubli. Y a-t-il (existe-t-il) une vertu de l'oubli, cela signifie, en
filigrane : peut-on admettre, à côté d'un oubli destructeur, lié au négatif, un
effacement des souvenirs qui pourrait comporter une positivité ? Mais quelle
positivité et de quel type ? Il s'agirait, nous dit-on d'une vertu. Ce terme de vertu vient
du latin virtus, qui signifiait « courage, force d'âme « et comporte, tout d'abord, une
signification un peu désuète, mais néanmoins importante : vertu, c'est puissance,
cette dernière étant entendue comme le pouvoir s'attachant à une réalité ou à un
objet. Cette notion de puissance, d'accomplissement vital, d'effort dynamique,
semble, d'ailleurs, souvent présente en d'autres significations, moins anciennes, du
terme « vertu «. Le sens de la « vertu « est tout particulièrement intéressant dans la
philosophie de Spinoza, où la vertu est un conatus (effort), lié à la nature même de
l'homme vivant sous la conduite de la raison. « La vertu est la puissance même de
l'homme, qui se définit par la seule essence de l'homme, c'est-à-dire qui se définit par
le seul effort par où l'homme s'efforce de persévérer dans son être. Plus donc l'on
s'efforce de conserver son être et plus on en a le pouvoir, plus on est doué de vertu, et
conséquemment dans la mesure où quelqu'un ne s'occupe pas de conserver son être,
il est impuissant « (Éthique. IV). Ainsi, dans cette notion de vertu est présente l'idée
d'un dynamisme vital, d'un acte lié à la jouissance infinie de la vie et de l'être. Cette
puissance et cet effort dynamiques appartiennent-ils à l'effacement et à la disparition
de souvenirs dans la mémoire individuelle ou collective ? N'oublions pas, en effet,
qu'il existe une mémoire liée à des représentations propres à un groupe déterminé et
que l'on peut parler également d'un effacement de ces croyances et représentations
communes aux membres d'une société.
«
bien, au contraire, l'horizon de non -sens - qui sont en jeu derriè re la question et le
problème.
I.
La mémoire signifiant conscience et personne, l'oubli semble
dépourvu de vertu et être signe d'une déchéance de l'être.
Impossible d'évoquer le problème de l'oubli et de sa vertu possible sans se
référer, tout d'abord, à l a mémoire, cette fonction du passé.
L'oubli se comprend et
se saisit, en première analyse, comme une disparition du souvenir, comme un
effacement de sa substance même.
Or, mémoire et souvenir semblent une pleine
affirmation de la personne, un signe de mon être et ma réalité.
Qu'est -ce que se
souvenir, sinon parvenir à une forme d'intelligibilité de nous -mêmes, nous ressaisir
pleinement comme personne, dans notre être ? Je vise, à travers la mémoire, mon
enfance, cette aubépine dont nous parle Proust, la mai son, la place, et, à travers les
évocations, c'est moi -même que je vise, moi qui me suis constitué comme Personne à
travers le temps, qui me suis édifié et forgé.
Quand je fais surgir le passé, quand je
m'efforce de le remettre à sa place, c'est un appel à moi -même qui s'effectue.
La
substance de la mémoire et du souvenir semble exprimer un être authentique de
l'homme, et, dès lors, l'effacement du souvenir, l'oubli, nous apparaissent, en
première analyse, comme un signe de décadence et de mort, non point d e vertu et de
puissance.
Au fond, c'est tout le problème de la temporalité qui surgit ici en filigrane.
Étendue, marque de ma puissance, temps, marque de mon impuissance, écrivait le
philosophe Lagneau.
Il est exact que, par l'oubli, je semble livré à la s phère de
l'impuissance et aux fluctuations les plus mortifères du temps.
Décadence,
déchéance, voici ce que paraît manifester l'oubli, le cruel oubli.
Ceci est vrai aussi
bien du simple raté de la mémoire, quand m'échappe tel nom parmi ceux de mon
environn ement, quand je ne me souviens plus de telle date historique, que de l'oubli
au sens plus global du terme, quand les années écoulées s'enfoncent en une sorte de
pénombre, de longue plage morte, ténébreuse, opaque et obscure.
Dès lors, c'est une
dépossessio n qui se manifeste.
A moi -même et pour moi -même, je m'échappe.
Ma
substance ne se dissout -elle pas, quand mes lointains s'effacent ? Ainsi chaque
souvenir disparais -t-il, annonçant les futures disparitions de mon être.
Quand les
données de mon expérience s 'évanouissent du champ de la conscience, peut être
bien ma Personne aussi est -elle menacée.
Et ce qui est vrai des individualités semble
également vrai des peuples et des collectivités.
Temps et oubli détruisent mon être,
mais un pays peut subir lui aussi le même sort.
Un pays, ainsi, peut être déchiré par
des passions politiques (cruelles ou nobles...), puis vient le temps plus cruel encore
de l’oubli, où toutes les passions passées semblent finir par s'apaiser.
L'oubli est là,
et tous se retrouvent; vieil lis, pris dans la lave, inoffensive et mortelle, de l'oubli.
Ainsi se détruit le passé des individus et des 'sociétés.
Marcel Proust a
admirablement décrit cette mort des souvenirs et cet effacement des représentations
qui furent puissantes dans les êtres.
Les « intermittences du cœur » - le fait que les êtres aimés meurent deux fois,
la première fois d'une mort corporelle, et la seconde fois, lorsque la marée de l'oubli
recouvre leur souvenir -, mais aussi les intermittences affectives des sociétés, tout ce ci
nous renvoie donc au fait que nous ne saurions être toujours en possession de nous -
mêmes.
Y a -t-il, dès lors, une vertu de l'oubli ? Si vertu signifie pouvoir, puissance,
conatus, effort, actualisation de mon être, il n'y a, semble -t-il, nulle vertu de l'oubli,
signe de ma mort et de mon impuissance.
« La pensée se fatigue, le souvenir se
détruit, le jour viendrait où je donnerais volontiers à la première venue la chambre.
»
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