Y a-t-il une utilité de la philosophie ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
Et, en effet, notre réponse précédente était, peut-être, quelque peu désinvolte.
Certes, elle a le mérite derapprocher la philosophie de l'art, de voir en eux de splendides formes peu soucieuses des résultats utiles et desexigences de la vie quotidienne.
Elle a également l'intérêt de mettre à mille lieues le « pragmatisme « contemporain,selon lequel ce qui serait vrai et fécond serait seulement ce qui est utile et avantageux pour notre conduite.
À quoisers-tu, nous demande-t-on implicitement.
À quoi servons-nous ? Malheur à celui qui ne s'intègre pas dans leroyaume de l'utilité.
Avoir le courage de dire, « la philosophie ne sert à rien «, comme l'art, comme la musique,comme l'amour, n'est-ce pas, en notre temps, une forme d'authenticité ? Néanmoins, il faut avoir le courage dedépasser ce premier niveau d'analyse.
La philosophie, invention de concepts ? Oui.
Mais cette invention de concepts, parfois gratuite et ludique, peutaussi servir à penser et à articuler des savoirs.
De ce point de vue, la philosophie désigne un travail discursif utile àla véritable exigence théorique.
Qu'est-ce à dire exactement ? De nos jours, tous les savoirs sont émiettés etdisloqués.
Le physicien ne connaît qu'une parcelle du domaine de la physique, la mathématique est en éclats.Toutes les disciplines scientifiques, en particulier, sont en mille morceaux.
Comment se contenter de cette poussièrede connaissances ? La philosophie sert à articuler les savoirs disjoints, à les relier entre et à guider les recherchesscientifiques.
L'éclatement de l'univers de la connaissance exige une unification discursive que peut seule fournir la philosophie '.
Le découpage des savoirs réclame la synthèse de la démarche philosophique.
En d'autres termes, la philosophie sert à abattre les cloisons, à unifier ce qui est disjoint.
Nous pensons dans un monde profondément divisé.
Nous circulons à travers des sciences et des disciplines séparées.
À quoi sert la philosophie ? À penserensemble la mathématique et la physique, à unifier la prolifération absurde et désordonnée des recherches et des théories, à rapprocher sciences pures et sciences appliquées.
Au milieu des désordres et des atomisations actuelles, la philosophie (cf.
les travaux de M.
Serres, de Morin, et de bien d'autres) tente de supprimer les barrières, de réunifier les savoirs séparés.
La philosophie désigne une activitéréflexive et conceptuelle portant sur l'ensemble des connaissances.
À quoi sert-elle ? À donner du sens à ce qui n'enpossède plus, à décloisonner les disciplines.
Écoutons ici un philosophe, Dagognet, qui est aussi médecin : « Unphilosophe doit être un carrefour, et la réflexion philosophique n'est jamais trop ample.
Ne voyons pas là une simplevolonté d'encyclopédisme, mais une capacité d'intégrer et de synthétiser une multiplicité de données.
La philosophiel'exige.
Elle veut aller aux fondements.
Elle recherche donc les méthodes, sans se borner à certaines sciences, maisen tentant de les embrasser dans leur ensemble. » (Science et philosophie.
Pour quoi faire ?, p.
288)
À quoi sert la philosophie ? À penser dans un monde divisé, à articuler et synthétiser le multiple.
À donner ainsi sens au monde.
Mais il ne suffit pas de penser, il faut aussi vivre.
La philosophie va-t-elle ici jouer un rôle ?,
C) La philosophie est sagesse pratique et elle sert à vivre.
Une tradition fort ancienne, une conception hellénique (fort riche) de la philosophie, peut, en effet, nous rappeler que la philosophie est sagesse et que, en tant que telle, elle sert peut-être à quelque chose.
Dans le sens « vulgaire » du terme philosophie, examiné plus haut, se trouvait déjà un peu cette idée que la philosophie est équilibre, sagesse, vertu pratique, évaluation exacte des biens et des maux, effort et tentative pour régler les désirs et les volontés.
Ce noyau, il nous faut, pour mieux le comprendre, le purifier et le saisir à l'oeuvre dans la grande tradition hellénique.
Qu'est-ce que la philosophie ? Un jeu de concepts, certes, une invention conceptuelle, maisaussi une sagesse et une tâche pratique.
Rappelons-nous, durant l'époque hellénistique, la sagesse d'Épicure : les successeurs d'Alexandre se battent alors, en un temps de souffrance et d'angoisse.
L'homme, en ce moment où se disloque l'empire d'Alexandre le Grand, reste seul dans cette débâcle historique et ne sait plus que faire de sa vie.Replié sur lui-même, il demande à la philosophie de devenir sagesse pratique.
C'est bien ce à quoi s'attache Épicure.Qu'est-ce que la philosophie ? À quoi sert-elle ? Ce n'est point un luxe théorique, un jeu conceptuel amusant et inutile.
La philosophie devient alors, avec Épicure, règle de conduite, sagesse pour la vie quotidienne.
Elle vise paix de l'âme ? Grâce à la philosophie.
Pour parvenir au bonheur, le philosophe va acquérir l'indépendance d'esprit, devenir impassible, indifférent, imperturbable.
La philosophie désigne alors une activité qui procure la sérénité et lavie heureuse.
Elle possède donc un enjeu pratique et elle sert à vivre, à dissiper l'angoisse, à atteindre le calme.
La philosophie nous purifie et nous délivre des peurs (peur de la mort, des dieux, des superstitions) et elle nous conduit à l'absence de trouble, à la liberté spirituelle.
Tel est le quadruple remède formulé par Épicure, qui nous montre bien que la philosophie sert à vivre et à mourir tranquille:
«Il n'y a rien à craindre des dieux.
Il n'y a rien à craindre de la mort.
On peut supporter la douleur.
On peut atteindre le bonheur. »
Ainsi comprenons-nous que la philosophie est sagesse pratique, travail de l'esprit permettant d'atteindre l'ataraxie et de vivre dans la sérénité. Telle est la grande leçon d'Epicure, qui nous conduit à parler d'un enjeu pratique de la philosophie.
La philosophie sert à connaître, mais aussi à.
»
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