Y a-t-il une histoire de la raison ?
Publié le 06/01/2020
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choses ». La raison n'est-elle pas ici l'héritière directe du mythe? Au même questionnement portant sur l'émergence du cosmos (monde ordonné) à partir du chaos, elle fournit le même genre de réponse, à ceci près que les puissances divines perdent leur nom propre, pour devenir des éléments communs : eau, feu, terre, air... Mais le cosmos reste l'objet de croyances animistes ou magiques : d'après Thalès, « Dieu est l'intellect du monde, le tout est animé et rempli de démons, à travers l'humidité élémentaire chemine une force divine qui le meut » (Les écoles présocratiques, Éd. Gallimard, 1991, p. 29). Un pas supplémentaire vers l'abstraction sera accompli par son successeur Anaximandre. Pour lui, le principe de toutes choses n'est plus un élément matériel, mais « l'illimité », qui enveloppe et gouverne toutes choses, sans être aucune d'elles. Ce principe d'organisation a en outre la signification d'un principe de conservation : « c'est de lui que sont issues toutes choses qui naissent, et c'est à lui que retournent toutes choses qui se dégradent » (id. p. 37).
Y a-t-il une histoire de la raison ? Si c'est le cas, on doit s'attendre à trouver dans l'histoire de l'humanité les traces de ses premières apparitions notables, comme on les relève pour le développement de la raison en chaque individu.
Par un étrange paradoxe, on a longtemps appelé « miracle grec » les premières manifestations notables de l'émergence de la raison. Comme si l'avènement de la raison devait avoir quelque chose d'irrationnel. Dans un article aussi brillant que féroce, Jean-Pierre Vernant ironisait : « La pensée rationnelle a un état civil ; on connaît sa date et son lieu de naissance. C'est au VIe siècle avant notre ère, dans les cités grecques d'Asie Mineure... Dans l'École de Milet, pour la première fois, le logos se serait libéré du mythe comme les écailles tombent des yeux de l'aveugle... il s'agirait d'une révélation décisive et définitive : la découverte de l'esprit. Aussi serait-il vain de rechercher dans le passé les origines de la pensée rationnelle... Tel est le sens du « miracle » grec : à travers la philosophie des Ioniens, on reconnaît, s'incarnant dans le temps, la raison intemporelle... Du même coup, l'homme grec se trouve, dans cette perspective, élevé au-dessus de tous les autres peuples, prédestiné ; en lui le logos s'est fait chair... » (La formation de la pensée positive dans la Grèce archaïque, Annales E.S.C 1957).
Ce scénario d'une émergence soudaine, d'un commencement absolu, évoque la naissance mythique de Pallas-Athénéïa, déesse de la raison, sortie toute armée du cerveau de Zeus...
Pourtant, la physique ionienne (Thalès, Anaximandre...) ne faisait que transposer, dans une forme laïcisée et en termes plus abstraits, un système de représentation élaboré par la religion archaïque. Par exemple, un vers de l'Iliade affirmait qu'Océan (Okeanos) est l'origine de tout. Thalès, lui, affirme : « l'eau est le principe de toutes
«
choses ».
La raison n'est-elle pas ici l'héritière directe du
mythe? Au même questionnement portant sur l'émer
gence du cosmos (monde ordonné) à partir du chaos, elle
fournit le même genre de réponse, à ceci près que les
puissances divines perdent leur nom propre, pour devenir
des éléments communs: eau, feu, terre, air ...
Mais le cos
mos reste l'objet de croyances animistes ou magiques :
d'après Thalès, « Dieu est l'intellect du monde, le tout est
animé et rempli de démons, à travers l'humidité élémen
taire chemine une force divine qui le meut >l (Les écoles
présocratiques, Éd.
Gallimard, 1991, p.
29).
Un pas supplé
mentaire vers l'abstraction sera accompli par son succes
seur Anaximandre.
Pour lui, le principe de toutes choses
n'est plus un élément matériel, mais« l'illimité», qui enve
loppe et gouverne toutes choses, sans être aucune d'elles.
Ce principe d'organisation a en outre la signification d'un
principe de conservation : « c'est de lui que sont issues
toutes choses qui naissent, et c'est à lui que retournent
toutes choses qui se dégradent>> (id.
p.
37).
Mais la façon
dont ce principe opère reste totalement mystérieuse.
Pour
ses débuts, la raison ne semble guère émancipée de la
pensée magique et mythique.
La spéculation d'Empédocle
sur les origines et l'organisation de l'univers: ségrégation à
partir de l'unité primordiale, lutte et union incessante des
opposés (chaud/froid ; sec/humide; feu/air; terre/mer)
conserve une résonance mythologique : elle rappelle les
combats de Kronos et d'Ouranos, rivalité de Zeus et
d'Héra, vengeance de Poséidon ....
Il faut cependant reconnaître un changement de statut
radical du discours rationnel par rapport au mythe.
Les élé
ments ou les principes qui prennent la place des dieux ne
se comportent plus arbitrairement, par caprice, jalousie,
vengeance.
L'Amour et la Haine, pour Empédocle, ne sont
plus des sentiments, mais des principes d'attraction et de
répulsion des éléments, eux-mêmes désignés comme des
qualités générales abstraites (le sec, l'humide élémentaire,
etc.).
Mais surtout, l'aspect métrique fait son entrée dans la
description du cosmos.
Thalès aurait, le premier, mesuré la
distance entre les étoiles de la constellation du Chariot,
prédit avec succès une éclipse et calculé l'orbe du Soleil en.
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