Y a-t-il un temps pour philosopher ?
Publié le 07/01/2004
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Faut-il philosopher quand on est jeune, pour préparer sa vie, ou au soir de son existence, pour faire le bilan? La sagesse est un apprentissage et demande une capacité de détachement. Nul ne peut prétendre avoir déjà atteint la sagesse.
Une acception vulgaire du terme “ philosophie ” tend a en faire un principe recteur de l’action mais qui en est distinct, comme en retrait, hors du temps de l’agir, prolégomènes à l’acte, sorte de préface s’effaçant une fois l’engagement pratique entamé. Mais la philosophie toujours déjà est acte. Acte de pensée, certes, acte distinct d’autres activités parcellaires qui trouve dans l’effectivité de la matière du monde le lieu de leur accomplissement, de leur réalisation et leur finalité. Mais si le philosopher peut être compris comme une activité extérieure à l’effectivité pratique, si le philosopher semble s’extraire de toute relation de causalité finalisée, étant à lui-même sa propre fin – finalité endogène ou autotélicité, le problème du temps à sa disposition se pose dès ses fondements. N’est pas déjà avec la mort de Socrate, lui qui ingurgite le poison (pharmakon) sachant que le remède (pharmakon) divin du savoir est gage du salut de son âme, que s’offre la possibilité d’un terme à la philosophie, la possibilité d’arrêter de philosopher pour agir, s’exiler de la cité en abdiquant sa foi en la philosophie ? Y a-t-il un temps pour philosopher distinct et comme exclusif de celui de la fuite, de la fuite pour sauver sa chair et vivre dans le monde selon le bon sens de l’homme commun ?
Vouloir ainsi déterminer le temps de la philosophie, assigner des limites à la pertinence pragmatique de sa pratique, engage à raisonner sur le lieu du déploiement de l’activité philosophique. Qu’est-ce alors que philosopher ?
«
Les philosophes recherchent le savoir pour le savoir et non pour une quelconque utilité pratique immédiate.
Cela ne veut en aucun cas dire que laphilosophie n'a aucun intérêt.
Mais d'abord, qu'elle n'a pas pour but de satisfaire un besoin, qu'il soit vital ou de confort.
C'est la preuve quedonne Aristote : « Presque tous les arts qui regardent les besoins et ceux qui s'appliquent au bien-être, étaient connus déjà quand on commença à chercher les explications de ce genre.
» C'est quand les problèmes urgents de la vie sont résolus, que l'on se lance dans les sciences ou la recherche.
La philosophie n'est donc pas une discipline asservie, liée aux nécessités vitales ou à la recherche d'un confort matériel.
Elle est uneactivité libre, qu'on exerce pour son propre plaisir, pour son intérêt intrinsèque.
En clair, c'est une activité libre parce que désintéressée.
« Ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.Aussi est-ce encore à bon droit qu'on peut qualifier de plus qu'humaine sa possession. »
C'est une constante de la philosophie grecque, et de la façon dont elle s'interprète : la philosophie nous arrache à la condition simplementhumaine , d'être périssable et obnubilé par sa survie, pour nous faire participer à un plaisir divin : la compréhension pure et désintéressée.
Il se peut que cette vision paraisse naïve, après que Marx a assigné comme tache à la philosophie, non plus de connaître le monde mais de le transformer, et surtout que Descartes a fait comprendre que la science se doit de viser notre bien-être.
Mais elle est aussi le rappel que l'homme ne se réduit pas à un simple être naturel mais qu'il a part à un autre type de plaisir, celui de la compréhension, voire de la compréhension.
Aristote nous rappelle que la philosophie naît et se nourrit d'un étonnement devant ce qui est.
Ce spectacle du monde entraîne, pour le « naturel philosophe », le désir de comprendre l'ordre du monde, la nature des choses.
En ce sens la naissance de la philosophie est contemporaine des sciences sans pourtant s'y réduire.
Enfin Aristote note qu'il existe chez tout être humain un plaisir désintéressé de comprendre, qui se manifeste aussi dans l'art, mais qui atteint son sommet dans la philosophie, laquelle nous fait participer, autant qu'il est possible, à une vie digne des dieux.
Partant de l'homme pour connaître les choses, le philosophe use du concept et de la définition pour organiser lemonde selon la raison, ou plutôt pour voir en le monde se refléter une rationalité qui lui est transversale (le logos ). Ainsi peut-il accéder à l'essence des choses, à leur eidos qui est la présence pure du vrai dans le logos .
Si le temps de l'exercice de la philosophie se déploie dans la rationalité pure du logos , le temps de la philosophie est celui de l'atemporalité.
Philosopher est se situer hors du temps en devenant presque immortel [Aristote].
Le tempsde la philosophie n'en est pas un puisqu'il est extraction du devenir dans la pure pensée.
Il n'y a pas de temps pourla philosophie car philosopher est tendre à l'éternité.
II.
Philosophie du temps
Mais dans sa dimension atemporelle, philosopher se dévoile être une opération de réflexion, le procès d'informationpar le sens (intemporel comme temps des essences) de la temporalité du monde, du devenir de ce “ branloirepérenne ” [Montaigne].
Ainsi dans la réflexion du philosopher, le philosophe se saisit dans sa finitude par contrasteavec l'éternité des concepts auxquels il aspire.
Philosopher apprend à se savoir mortel.
Et si philosopher est apprendre à se savoir mortel, le temps de la philosophie est la condition de possibilité du tempsréel et matériel de l'homme fini, parce que dans le mouvement d'élévation de la philosophie tendant à l' eidos se révèle l'infinie différence qui me détermine comme appartenant au monde du devenir.
Il y a un temps pour philosopher, et ce temps est celui par lequel le sujet philosophant s'ouvre au monde en tantqu'il est dans le temps [Heidegger].
Le temps pour philosopher conditionne la possibilité du temps, la possibilité dudevenir ; il est ce temps dont la finalité ne lui est pas extérieure comme une activité qui trouverait hors de soi lajustification de son utilité, un temps qui est sa propre fin mais qui est au fondement de tous les autres tempsmondains.
III.
Le temps de la philosophie.
»
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