Y a-t-il un devoir de mémoire ?
Publié le 12/03/2004
Extrait du document
«
présent à partir du passé, cad à plaquer le passé sur le présent.
« Toute action exige l'oubli, comme tout organisme a besoin nonseulement de lumière, mais encore d'obscurité.
Un homme quivoudrait ne sentir que d'une façon purement historiqueressemblerait à quelqu'un que l'on aurait forcé de se priver desommeil, ou bien à un animal qui serait condamner à ruminersans cesse les mêmes aliments.
Il est donc possible de vivresans presque se souvenir, de vivre même heureux, à l'exemplede l'animal, mais il est absolument impossible de vivre sansoublier.
Si je devais m'exprimer, sur ce sujet, d'une façon plussimple encore, je dirais : il y a un degré d'insomnie, derumination, de sens historique qui nuit à l'être vivant et finit parl'anéantir, qu'il s'agisse d ‘un homme, d'un peuple ou d'unecivilisation.Pour pouvoir déterminer ce degré et, par celui-ci, les limites où lepassé doit être oubli é sous peine de devenir le fossoyeur duprésent, il faudrait connaître exactement la force plastique d'unhomme, d'un peuple, d'une civilisation, je veux dire cette forcequi permet de se développer hors de soi-même, d'une façon quivous est propre, de transformer et d'incorporer les choses dupassé, de guérir et de cicatriser les blessures, de remplacer cequi est perdu, de refaire par soi-même des formes brisées.
»
Nietzsche, « Considérations inactuelles ».
Quelle est l'idée générale du texte ? Le pouvoir d'oublier étant constitutif de l'action et du bonheur, il fautprendre en considération le degré individuel de force plastique, c'est-à-dire la puissance d'incorporation etd'assimilation, dans tout psychisme, des choses du passé.Le problème posé par ces lignes est le suivant : la faculté d'oublier a-t-elle une fonction réellement positive etne faut-il pas réhabiliter, au contraire, les vertus de la mémoire ? A trop faire l'éloge de l'oubli, ne met-on pasen question, finalement, les facultés spirituelles de l'homme ?Le texte se divise en deux grandes parties correspondant aux deux paragraphes.
Dans un premier temps,NIETZSCHE affirme la nécessité de l'oubli (jusqu'à un certain niveau).
Dans un second, il essaye de déterminerce niveau.
A.
« Toute action...
civilisation.
»
Toute la première grande partie du texte dénonce la rumination du passé, et souligne que l'excès de senshistorique nuit à l'être vivant.
La première sous-partie voit dans l'homme submergé par le passé un «insomniaque » coupé de la vie.
La condition de toute vie est donc l'oubli (seconde sous-partie).
La ruminationdu passé anéantit hommes, peuples, civilisations (troisième sous-partie).
a) « Toute action...
aliments.
»
La première phrase éclaire à la fois l'action et l'être vivant doté d'organes (l'organisme).
L'action, conçuecomme ce par quoi nous réalisons nos intentions et produisons des effets dans le monde, requiert l'oubli,c'est-à-dire l'effacement normal des souvenirs.
Comment comprendre cet énoncé ? Pour agir sur les choses,tenter de les maîtriser, pour forger des entreprises, il ne faut pas se laisser absorber dans l'ensemble dudevenir et du passé et subir leur poids.
L'homme d'action, parmi ses souvenirs, effectue un tri, en gardecertains, ceux qui sont utiles à ses entreprises, au présent et à la vie, et il évacue du champ de laconscience le poids énorme et immense de ce qui, dans le passé, est utile.
Agir, c'est sélectionner, c'est trier,ne garder que l'essentiel , répudier, de manière plus ou moins consciente, la « mer du devenir ».
Toute actionexige donc bel et bien l'effacement des souvenirs, de même que tout être vivant a besoin de lumière (devision nette, de conscience, de clarté) mais aussi d'obscurité (d'inconscience, d'opacité et, nous allons levoir, de sommeil).La première phrase fait donc de l'effacement du souvenir, de l'obscurité, du sommeil, de la perte deconscience, des nécessités impérieuses pour l'action (vitale) et l'organisme.
La seconde phrase va prolongeret expliciter cette idée et cette manière de voir.
Comment comprendre et envisager cet « homme qui voudraitne sentir que d'une façon purement historique » ? Si l'histoire se définit comme la discipline ayant pour objet lareconstitution et la relation du passé des sociétés humaines, l'individu qui ressentirait les choses de manièrepurement historique serait celui qui serait littéralement submergé par le passé humain et absorbé en lui.
Unpeu plus haut, avant les lignes de Nietzsche ici proposées (il s'agit de la seconde des « Considérations »), lepremier a ainsi décrit l'individu pensant de manière purement historique, sans aucun oubli du passé : « il s'arc-boute contre le poids toujours plus lourd du passé.
Ce poids l'accable ou l'incline sur le côté, il alourdit sonpas, tel un invisible et obscur fardeau ».
Par opposition à l'animal qui vit d'une façon non historique (qui oublieaussitôt), l'homme porte un passé et peut envisager la mer immense du devenir.
Observons bien que le termeutilisé ici est sentir, c'est-à-dire saisir de manière intuitive et affective.
Or un homme tel, dont le « sentir ».
»
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