Y a-t-il des degrés dans la liberté morale ?
Publié le 27/02/2008
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La liberté est, si on la définit d'une manière générale, un pouvoir de faire ou de ne pas faire (on appelle ce pouvoir le " libre-arbitre "), capacité à être le propre principe de ses actions, sans être contraint par rien d'extérieurà nous.
Or, on a coutume de parler de la liberté en plusieurs sens, i.e., d'attribuer la caractéristique d'être libre enfonction de considérations différentes.
Par exemple, on dit d'un tel qu'il est libre parce qu'il n'est contraint par rien nipersonne à agir de telle sorte, i.e., parce qu'il n'est pas esclave ; on dit d'un autre, par exemple, un prisonnier, qu'ilest libre de penser malgré le fait qu'il soit enfermé dans une geôle contre sa volonté ; on dit encore qu'est libre àcelui à qui, au sein d'une société, est laissée la possibilité, et qui a le pouvoir effectif, de faire certaines choses ; ouencore, à un autre niveau, qu'est libre le sage, qui, et parce qu'il, maîtrise ses passions, etc.
La liberté comporte-t-elle, dès lors, des degrés ? Cela nous paraît être immédiatement évident, puisqu'on ne peut pas dire, en effet, que lenon esclave, le prisonnier, le sujet d'une société, le sage, etc., sont libres à un même niveau : il semble donc bien yavoir plusieurs niveaux de liberté.
Chacun de ces personnages serait dès lors " plus " ou " moins " libre, de telle sortequ'on pourrait tracer une échelle de la liberté, qui irait du niveau le plus bas de la liberté, au niveau le plus haut.Mais peut-on vraiment être plus ou moins libre ? Ne faudrait-il pas plutôt dire que la liberté ne comporte pas dedegrés, et réside seulement dans ce que nous caractérisons comme étant son plus haut degré ? Le problème qui sepose est donc celui de savoir si, hormis ce niveau extrême, on peut encore vraiment parler de liberté, i.e., si celafait sens de parler de " liberté moindre " ou " seulement en puissance ".
Si ces niveaux inférieurs de liberté sontmoindres que le niveau supérieur de l'échelle, alors, ne sont-ils pas tout simplement faux, et ne convient-il pas alorsde parler à leur propos de liberté illusoire ? Le discours sur la liberté en termes de degrés est-il donc sensé ? Laliberté ne serait-elle pas par définition ce qui échappe à tout degré ? N'est-elle pas un absolu ? I- Au premier abord, il paraît nécessaire d'accorder que la liberté comporte des degrés Il apparaît en effet que si la liberté était seulement ce qui se situe au niveau extrême, supérieur, de cette hypothétique échelle de la liberté que nous avons commencé à tracer dans notre introduction, alors, il serait toutsimplement impossible que nous soyons dits, en tant que nous sommes des êtres non raisonnables, mais seulementrationnels (doués de raison), " libres ".
En effet, comme on peut le voir chez Leibniz, dans le chapitre XXVI du livre IIdes Nouveaux Essais , qui trace ici une telle échelle, c'est Dieu qui se situe au niveau extrême, et donc supérieur, de l'échelle.
Par conséquent, on voit bien que si l'on ne traçait pas une telle échelle, sur laquelle viendraients'échelonner des degrés de liberté, seul Dieu pourrait être dit libre ; à ce compte, même le sage ne serait pas libre,car, en tant qu'il a à prendre en compte les passions qui existent en tout homme, il n'a pas la liberté parfaite quipeut appartenir à Dieu seul. On voit aussi Descartes recourir à une considération de la liberté en termes de degrés, afin de rendre compte de la possibilité, pour l'homme, d'être dit libre.
Ainsi est-il amené, en raison desa théorie de la création des vérités éternelles par Dieu, exposée dans leslettres à Mersenne de 1630, et qui a pour conséquence de poser que Dieu est le modèle même de ce qu'est un être libre, à savoir, que la véritable libertéconsisterait à créer et à vouloir en même temps ce qu'on connaît, i.e., à nepas " adhérer " ou assentir à quelque chose d'extérieur, à dire, dans saQuatrième Méditation Métaphysique , que " le plus bas degré de la liberté " est la liberté d'indifférence ".
La liberté entendue comme pouvoir de faire ou de nepas faire, sans être " déterminée " par aucun motif, n'est pas une vraieliberté, ou n'est pas une liberté parfaite. Il revient à Aristote d'avoir montré à quel point il était nécessaire que la liberté comporte des degrés.
En effet, dans le livre III de l'Ethique à Nicomaque , Aristote dresse une liste des différents degrés de la liberté, afin de contrecarrer la théorie socratique selon laquelle nous faisons le malinvolontairement.
Selon Aristote, en effet, la théorie socratique de la vertu-science a une conséquence fortement néfaste pour la morale, puisqu'elleconduit à dire que nos vices ne nous sont pas imputables.
Il s'agit donc derépondre à Socrate en affirmant que nos vices nous sont bien imputables, etpour ce faire, Aristote établit une sorte d'échelle des degrés de la liberté.
Onnous dira ici qu'Aristote ne parle pas de liberté à proprement parler, que nousprojetons un terme " moderne " sur une théorie " ancienne ".
Mais si certes, lathéorie d'Aristote est, plus proprement qu'une théorie de la liberté, une théorie du " volontaire " et de l' "involontaire ", et même si le volontaire n'est qu'un " vouloir " (la " Willkür ", que Kantoppose à la volonté pratique, la " Wille "), il a quand même posé les bases d'une théorie de l'imputation.
Aristotepose, dans les chapitres 1 à 3, que le volontaire (nous dirons la liberté) est identique au non contraint : il s'agit parexemple de ne pas être emporté quelque part contre son gré ou par une force extérieure.
A ce titre, tout, dans lanature, est libre, car la liberté consiste à avoir en soi-même le principe de ses actes (on sait que dans Physique II,Aristote spécifiait les êtres naturels par rapport aux artefacts, en leur attribuant la capacité de pouvoir se mouvoirpar eux-mêmes).
Une fois posée cette définition large de la liberté, ou du volontaire, Aristote s'interroge sur lesdiverses modalités du volontaire.
Pour lui, le volontaire ne s'oppose pas de façon stricte et brutale à l'involontaire :en effet, entre ces deux grandes modalités de l'action, s'échelonnent des niveaux intermédiaires entre les deux–Aristote parle d'actes " mixtes ".
Que doit-on entendre par là ? Que, en plus des actes à proprement parlerinvolontaires, qui se reconnaissent à ce qu'ils sont accompagnés de repentir, et qui ne nous sont donc pasimputables, il y a des actes accomplis non volontairement.
Ces actes sont un mélange de volontaire etd'involontaire, et ne sont pas accompagnés de repentir : ils nous sont donc, selon Aristote, imputables.
Il va ainsi.
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