Y a t il de bonnes et de mauvaises passions ?
Publié le 05/01/2006
Extrait du document
«
"Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ontcollaboré ; et appelant l'intérêt une passion, en tant quel'individualité tout entière, en mettant à l'arrière-plan tous lesautres intérêts et fins que l'on a et peut avoir, se projette en unobjet avec toutes les fibres intérieures de son vouloir, concentredans cette fin tous ses besoins et toutes ses forces, nous devonsdire d'une façon générale que rien de grand ne s'est accomplidans le monde sans passion.[...] La passion est regardée comme une chose qui n'est pasbonne, qui est plus ou moins mauvaise ; l'homme ne doit pasavoir de passion.
Passion n'est pas d'ailleurs le mot tout à faitexact pour ce que je veux désigner ici, j'entends en effet,ici, d'une manière générale l'activité de l'homme dérivantd'intérêts particuliers, [...] d'intentions égoïstes, en tant que dansces fins il met toute l'énergie de son vouloir et de son caractèreen leur sacrifiant [...
] tout le reste.
[...]Je dirais donc passion, entendant par là, la déterminationparticulière du caractère en tant que ces déterminations duvouloir n'ont pas un contenu uniquement privé, mais constituentl'élément moteur et énergique d'actions générales."
Georg W.
E Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire (1837), trad.
J.
Gibelin, Vrin
Ce que défend ce texte:
Pourquoi Hegel veut-il donner aux passions une telle valeur ? La réponse tient en ceci : dans les sociétésorganisées, la raison devient « vivante » lorsque les hommes agissent sous l'autorité du droit.
Les règles dedroit, qui substituent aux rapports de violence des principes de coexistence raisonnables et justes, en sontl'incarnation même.Or, nous dit Hegel, le droit n'est pas dans l'histoire « l'élément actif de l'ordre du monde ».
Cela signifie que cen'est pas lui qui fait avancer cet ordre, mais la force et la violence, expressions des passions humaines,lesquelles font les révolutions, les coups d'État et instaurent un nouveau droit, exactement comme cela s'estpassé pour la Révolution française, sanglante entre toutes.
Le droit sans la force qui l'instaure n'est rien et nelui préexiste pas.
C'est là une évidence rappelée au début de ce texte : « Rien ne s'est fait sans être soutenupar l'intérêt de ceux qui y ont collaboré » et, si nous appelons l'intérêt une passion, nous devons alorsreconnaître que « rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion ».Mais cette thèse, selon laquelle la passion est le bras armé de la raison et la réalise à l'insu même deshommes, n'est pas sans difficulté.
Les passions sont par nature tournées vers leur intérêt propre.
Elles serévèlent nécessairement égoïstes puisqu'elles sont des expressions du désir.
Comment passer de l'antagonismedes passions qui centrent l'individu sur son moi propre, lorsque, pour servir son intérêt, il « se projette en unobjet avec toutes les fibres intérieures de son vouloir », à la réalisation d'un but caché et inconscient, letriomphe du droit ?Hegel s'efforce alors de résoudre la difficulté en s'appuyant précisément sur l'élément qui fait problème :l'individualité.
Car ce qui rend la passion active, c'est précisément son individualité.
Celle-ci n'est pasnécessairement opposée à l'universalité du but auquel elle participe.
Ainsi, les motivations toutes particulières,voire purement égoïstes, qui animaient chacun des acteurs de la Révolution française, n'ont pas empêché,bien au contraire, cette révolution de s'accomplir, et, avec elle, le progrès du droit.La collaboration des passions, Hegel la nomme « ruse de la raison », car la raison utilise les passions pourproduire un ordre qui se retourne contre elles.
En effet, la Loi qu'elles permettent d'instaurer a précisémentpour fonction de substituer aux rapports de violence passionnelle les relations de droit, dans lesquelles cespassions sont niées.C'est pourquoi Hegel donne un nouveau sens au mot passion, qui en marquera de manière décisive l'usagemoderne : « Je dirai donc passion, entendant par là la détermination particulière du caractère en tant que cesdéterminations du vouloir n'ont pas un contenu purement privé, mais constituent l'élément moteur eténergique d'actions générales.
»Ce nouveau sens ne désigne donc plus la souffrance liée au désir, mais l'énergie de la volonté tournée vers unbut commun à d'autres hommes.
¦
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
La scène véritable où se joue le malheur humain est l'histoire, dont l'absurdité saute aux yeux.
On ne peut nierqu'elle concentre, en effet, tant de guerres, tant de sacrifices parfois dérisoires, qu'on peut se demander sielle n'est pas une « histoire racontée par un idiot », ainsi que Shakespeare, dans sa pièce Macbeth, définit lavie humaine.C'est pourquoi Hegel déclarait dans un de ses cours de 1830, à propos du déclin des civilisations : « Il estdéprimant de savoir que tant de splendeur, tant de belle vitalité a dû périr et que nous marchons au milieu desruines.
Le plus noble et le plus beau nous fut arraché par l'histoire : les passions humaines l'ont ruiné.
»Or ce sont précisément les passions, causes apparentes de la ruine des civilisations que Hegel s'efforce de.
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