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Werner Heisenberg

Publié le 22/02/2012

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Heisenberg est connu du grand public par la découverte de son principe d'indétermination, qui fut à l'époque, après la Relativité d'Einstein, l'événement qui a le plus impressionné les milieux philosophiques portant de l'intérêt aux Sciences. C'est trop peu de se borner à énoncer et discuter le principe nouveau ; il faut prendre connaissance de ses antécédents et de la situation scientifique qui lui a donné naissance, pour mieux juger la valeur du résultat et le mérite de son auteur. La découverte des quanta dans le rayonnement thermique en 1900 par Planck avait été rapidement suivie de l'invention du photon par Einstein, de la découverte des quanta dans les chaleurs spécifiques aux basses températures et surtout de la découverte du noyau de l'atome par Rutherford en 1912, ce qui permettait de concevoir l'atome comme un système composé d'un centre de charge positive entouré d'un système planétaire d'électrons négatifs. C'est sur cette base expérimentale que, moins d'un an plus tard, le jeune Bohr construisit hardiment une première théorie des systèmes atomiques, et en particulier de l'atome d'hydrogène, qui devait être à l'origine de tous les progrès théoriques ultérieurs. La théorie de Bohr repose sur deux postulats fondamentaux, traduction directe des lois empiriques de la spectroscopie : l'existence de tout système atomique possible seulement dans une série de niveaux stationnaires discontinus d'énergie ; l'émission et l'absorption de rayonnement par photos d'énergie hv (h constante de Planck ; v fréquence) égale à la différence d'énergie correspondant à la transition complète et instantanée du système d'un état stationnaire à un autre. Ces deux postulats sont en conflit avec les conceptions classiques de la mécanique et de l'électromagnétisme. De plus, le second fonde la théorie atomique sur une loi statistique ou de hasard, exactement comme l'est la désintégration radioactive d'un ensemble de noyaux identiques. Cette loi de hasard concerne le phénomène élémentaire, lequel dans la théorie de Bohr est un tout indivisible, ne faisant plus l'objet d'une description dans l'espace et dans le temps, comme c'était le cas jusqu'alors pour toute théorie physique. Personne mieux que Bohr lui-même dès le début n'a vu les conséquences radicales auxquelles la théorie nouvelle allait conduire. Cela ne l'empêcha pas cependant d'en pousser les conséquences aussi loin que possible.

« des fréquences est donc un tableau à doubles indices, une matrice, pour employer le terme de l'algèbre.

Il en est demême pour les coefficients d'Einstein A, représentant de façon statistique les intensités et polarisations durayonnement.

On obtient ainsi par "correspondance" une description du rayonnement dans la théorie de Bohr.

Si l'onveut remonter du rayonnement au mouvement de l'électron à l'intérieur de l'atome, on peut calculer une matricecorrespondant à chacune des anciennes coordonnées q de l'électron et même une matrice pour toute autregrandeur, comme la quantité de mouvement p.

Mais on ne retrouve plus une trajectoire, lieu de coordonnées enfonction du temps, comme dans la théorie classique.

Cette notion a complètement disparu ; il n'y a plus dedescription spatio-temporelle du mouvement à l'intérieur de l'atome. Ce progrès dans l'expression théorique des faits expérimentaux est dû à Heisenberg.

Il se caractérise par l'abandonde toute description imagée, sous-jacente, qui ne résulterait pas directement des données empiriques.

Par un hardicoup d'aile, Heisenberg, en 1925, dépassant le niveau de l'empirisme, crée une nouvelle mécanique des quanta endécouvrant, par "correspondance", des relations mathématiques entre les matrices des éléments anciens dumouvement, coordonnées q et quantités de mouvement conjuguées p.

C'est par l'étude des règles d'addition et demultiplication des séries de Fourier classiques "correspondantes", ainsi que par ses études antérieures sur ladispersion (influence d'un champ lumineux extérieur sur les coefficients B de l'atome) faites avec Kramers, queHeisenberg a pu prouver la validité des équations classiques de la mécanique de Hamilton pour les matrices desvariables conjuguées p et q.

Il s'y ajoute la relation célèbre pq - qp = h/2 * i (i représente l'unité imaginaire del'algèbre, racine de moins l'unité), les grandeurs conjuguées entre elles étant représentées par des matrices non-commutables.

Cette relation qui contient la constante de Planck équivaut à la condition de quantification chez Bohr.On en déduit, pour les matrices correspondantes, les théorèmes de conservation de l'énergie, des quantités demouvement et des moments cinétiques.

La nouvelle mécanique des quanta se révéla plus puissante et plussatisfaisante que celle de Bohr, mais elle était d'un maniement pénible. En même temps, d'un pôle opposé de la théorie scientifique, un travailleur solitaire ouvrait brusquement à la théoriedes quanta une route royale : Louis de Broglie, en 1905, créait le concept d'onde associée au corpuscule matériel.Repris par Einstein, Schrödinger lui donna la forme finale de la mécanique ondulatoire en obtenant l'équation célèbrequi porte son nom.

Il n'eut pas de difficulté à montrer que les matrices de Heisenberg pouvaient se calculer par lemoyen de sa fonction d'onde.

Deux méthodes basées sur des points de départ si différents, l'une abstraite et fondéesur le discontinu, l'autre apparemment concrète, presque classique, fondée sur le continu, se révélaient identiquesquant à leurs résultats empiriques.

Restait à donner l'interprétation physique des deux théories.

Dès 1926, Born, quiavait tant contribué au développement de la mécanique des quanta avec Heisenberg, soutenait avec forcel'interprétation statistique : le carré du module de la fonction d'onde donne, par unité de volume, la probabilitérelative d'y trouver le corpuscule associé à l'onde.

C'est en étudiant les phénomènes de choc entre particules quecette interprétation s'était imposée le plus clairement. La fusion rapide de la mécanique des quanta et de la mécanique ondulatoire, due aux efforts de nombreuxchercheurs, Dirac tout particulièrement, a eu d'heureux effets.

La mécanique ondulatoire a imposé ses méthodesanalytiques plus simples ; par contre, la mécanique des quanta, fidèle à ses origines qu'on vient de rappeler, a faittriompher son interprétation probabiliste et a définitivement installé l'indéterminisme au sein de l'atome.

C'est en1927 que cette grande époque a atteint son point culminant avec le fameux mémoire de Heisenberg paru dans laZeitschrift fur Physik (tome 43) intitulé "Sur le contenu intuitif de la cinématique et la mécanique des quanta", oùl'auteur démontre et commente son célèbre principe d'indétermination.

Si, par une expérience physique, dégagée detoutes les causes habituelles d'erreur, on a pu déterminer la coordonnée q de position d'un corpuscule à l'intérieurd'un petit intervalle d'incertitude ou d'imprécision Ðq, alors, au même instant, on ne peut effectuer la mesure de laquantité de mouvement conjuguée p, à moins d'une incertitude Ðp et l'on a entre ces incertitudes ouindéterminations la relation de Heisenberg Ðp x Ðq = h.

La même relation d'incertitude est valable entre deuxgrandeurs conjuguées quelconques, comme un angle et son moment cinétique conjugué, ou le temps et l'énergie.

Leprincipe d'incertitude (ou d'indétermination, selon la nuance de pensée des auteurs) est une déduction forcée desfondements de la mécanique des quanta et possède le même caractère de solidité que les autres conséquencesphysiques les plus délicates de la théorie, comme l'énergie de l'atome d'hélium ou de la molécule d'hydrogène, surlesquelles tous les physiciens sont d'accord.

La raison physique de ce principe étonnant peut se retrouver dans lecaractère mixte, ondulatoire et corpusculaire du rayonnement, dont la longueur d'onde a permis une déterminationd'autant plus approchée du corpuscule, un électron libre par exemple, que cette longueur d'onde était plus courte(microscope à rayons gamma de Heisenberg).

Mais en même temps, le rayonnement incident utilisé pour la mesureproduit sur l'électron un choc et lui cède une quantité de mouvement, dont la direction est imprévisible, et lagrandeur incertaine dans les limites fixées par la relation de Heisenberg, à cause de la loi statistique de l'effetCompton qui régit l'échange. Bohr, au Congrès Volta tenu à Côme en 1927, a particulièrement mis en lumière cet aspect restrictif, qu'il appelle sibien "complémentaire", de notre prise de connaissance à l'échelle atomique et qui a racine dans la dualité despropriétés physiques traduites par les concepts d'onde et de corpuscule.

Heisenberg a bien marqué, dans sonmémoire, que la relation d'incertitude met en évidence un aspect essentiel et caractéristique de l'expérience et de lamesure propres aux phénomènes quantiques élémentaires : l'instrument de mesure réagit sur le corpuscule qui faitl'objet de la mesure et cette réaction est, dans les limites fixées par le principe, incontrôlable et imprévisible.L'instrument et l'objet de la mesure forment un tout indécomposable, qui ne peut être tranché sans introduire dansl'expérience un arbitraire extérieur à celle-ci.

Il s'ensuit immédiatement que la notion même de trajectoire a perdutout sens à l'échelle atomique.

Car si l'on veut en déterminer un point à une précision suffisante, le principed'indétermination prévoit qu'on communiquera forcément au corpuscule examiné une impulsion inconnue qui modifiera. »

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