Vous expliquerez et discuterez, s'il y a lieu, les formules suivantes de Gide (De l'importance du public, conférence prononcée le 5 août 1903 devant la Cour de Weimar, reprise in Nouveaux Prétextes, p. 37-39) : «Panem et circenses », criait la populace latine : du pain d'abord ; les jeux ensuite. Le libre jeu de l'art n'est pas goûté quand l'estomac est vide. C'est après le repas qu'on appelle l'artiste en scène. Sa fonction n'est pas de nourrir, mais de griser... L'oeuvre d'art est un
Publié le 30/01/2011
Extrait du document
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laisse à des spécialistes de la pensée morale ou politique le soin de méditer sur les valeurs éthiques ousociales.
Même s'il n'a pas toujours été d'accord avec la politique religieuse de Louis XIV, un Racinen'aurait jamais eu l'idée de conseiller son roi sur la façon de régir l'Etat et le souverain aurait été fortétonné d'entendre celui qui fut un moment son historiographe sortir du rôle de panégyriste officiel qu'il luiassignait.
Inversement Louis XIV aimait à dire aux artistes ou aux écrivains avec qui il discutait : «Vousconnaissez ces choses (les problèmes littéraires) mieux que moi.»
3 L'artiste, maître de danse.
En même temps, un tel artiste a un rôle plus large que ne pourrait le laisser croire cette spécialisation où on l'enferme : il est essentiellement celui qui mène la grande parade,une sorte de maître de ballet, de ce ballet dont les époques classiques aiment à laisser le spectacle auxgénérations suivantes.
Sans doute ne fait-il qu'admettre, avec une sincérité parfois douteuse, uneharmonie qu'il ne crée pas, mais il est celui qui organise, généralement en collaboration avec les autresartistes, une fête éternellement représentative.
Il est Phidias, le maître des monuments de l'Acropole ;Michel-Ange, le bâtisseur de la Rome de Paul III Farnèse ; Molière, l'organisateur des fêtes du Roi-Soleil. Si forte est la conviction qu'un «siècle»classique a besoin d'une sorte de maître de ballet qu'on l'inventeparfois de toutes pièces : à la parade des écrivains classiques, on imagine volontiers comme maître ce«Boileau-régent-perruqué» qui n'a sans doute jamais existé.
En somme, la pensée de Gide a, commeportée et comme limite, une conception classique et harmonieuse de l'art.
III Questions et réponses aux époques de trouble
Alors que Gide semble ne voir que les avantages de cette conception (n'oublions pas qu'il s'adresse à la Cour deWeimar, milieu essentiellement «classique»), il est possible d'en signaler quelques limites assez importantes.
Maîtrede danse, l'artiste est sans doute un peu un chef de choeur, mais il risque ainsi d'être le poète à gages, ledomestique intellectuel, parfois même le bouffon d'une société dont il est chargé de montrer les ridicules légers(Molière attaque les petits marquis et les femmes savantes, mais il ne raille ni les prêtres ni la justice ni le prince).
1 L'art est une révolte ...
Or on peut se demander dans quelle mesure l'art peut se satisfaire d'une pareille acceptation.
L'art est souvent une révolte, puisqu'il naît d'une protestation contre un monde qu'il voudrait recréer.
2 ...
particulièrement une révolte sociale.
Plus particulièrement, surtout dans les époques de trouble et de remise en question des valeurs, il nous semble difficile que l'artiste refuse d'exprimer ses inquiétudes sociales etpolitiques (cf.
sujet 20).
Nous comprenons sans doute la défiance de Gide à l'égard de la pièce à thèse, notammentpar ce qu'elle implique d'attitude didactique et de risque de mélange des tons, mais n'est-ce pas mutiler l'art que delui interdire d'éclairer, d'inquiéter et de guider à la fois les hommes ? Hugo en est-il moins grand pour avoir essayé desaisir dans ses Misérables l'inquiétude populaire du XIXe siècle?
3 Plus généralement l'art est question et réponse.
Ce n'est pas seulement d'inquiétude sociale que se nourrit l'art, mais de toute espèce d'inquiétude : ébranlement des valeurs admises, délivrance d'un message, attente denouvelles réponses, voilà sa fonction essentielle.
Les vrais maîtres, surtout à l'époque moderne, sont, il faut bien lereconnaître, ceux qui nous fournissent des raisons de vivre.
Ils ne se bornent pas à flatter, ils nous secouent etnous réveillent.
Gide lui-même, dès ses Nourritures terrestres, n'a pas prétendu faire autre chose que nous amener à sortir de nous-mêmes, de nos habitudes, de notre milieu Et les grands écrivains sont de grands nourrisseurs.
Conclusion
Nous en appellerons du Gide de ces lignes à un autre Gide, au Gide de l'inquiétude et dudépassement, à celui qui fait déclarer à Wilde dans ses Prétextes : «Il y a deux espèces d'artistes, les uns apportent des réponses et les autres des questions.» Sans doute ne faut-il pas oublier ceux que nous avonsappelés ici les «maîtres de ballet», ceux que Gide fait venir sur la scène après le repas, c'est-à-dire quand toutesles questions sont posées et toutes les réponses données, mais on ne voit pas en effet pourquoi eux seuls auraientle privilège de l'art..
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