Vous commenterez ce jugement de Sainte-Beuve sur Montaigne : « Ce n'est pas un système de philosophie, ni même avant tout un sceptique, mais la nature... la nature au complet sans la grâce » (Port-Royal). ?
Publié le 02/04/2009
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Première grande oeuvre de Sainte-Beuve, le Port-Royal se présente comme une évocation vivante du couvent janséniste et, à travers lui, du siècle entier : « Le cloître d'abord rétréci va jusqu'au bout du grand règne qu'il a devancé et l'éclairé de son désert par des jours profonds et imprévus. « Il est normal que Sainte-Beuve, à la recherche de « familles d'esprit «, ait opposé à cette forme d'esprit qu'est le jansénisme, quintessence de l'esprit religieux, une forme tout opposée : celle de Montaigne, quintessence de l'esprit « humaniste «, dans la mesure où seul l'intéresse l'homme, « rien que l'homme «, sans besoin d'intervention divine, sans grâce.
I. - « CE N'EST PAS UN SYSTÈME DE PHILOSOPHIE «
II. - « NI MÊME AVANT TOUT UN SCEPTIQUE « III. - « NATURE AU COMPLET, SANS LA GRACE «
«
III.
- « NATURE AU COMPLET, SANS LA GRACE »
Dans les deux aspects opposés : stoïcisme et épicurisme, il y a autre chose qu'une opposition ; il y a une unité àdécouvrir, que Sainte-Beuve suggère très justement.
1.
Montaigne dépasse le stoïcisme, en opposant à la mort de la « nonchalance » plutôt que du mépris, et en conseillant de l'éliminer de nos préoccupations, car elle est « le bout, non pourtant le but de la vie ».
Avant tout ils'agit de vivre, de savoir vivre « constamment et tranquillement », et il se rit de Posidonius comme de la douleur.
Montaigne dépasse aussi l'épicurisme, qui, partant de la volonté de laisser s'épanouir la nature humaine, aboutit enfait à la décision d'en limiter les désirs.
Chez lui l'appétit est plus grand que, le risque : « j'aime la vie et la cultive ».Il recommande l'action et le mouvement : si la « prise » est impossible à l'homme, il lui reste toujours la « quête »qui est sa destinée spécifique et par laquelle il doit aboutir au plein épanouissement de sa nature.
2.
C'est bien là, en effet, un « naturalisme au complet » : il s'agit de « suivre nature », mais avec « nonchalance »,c'est-à-dire dans un abandon serein au bel instinct : « Le plus simplement se commettre à nature, c'est s'ycommettre le plus sagement.
» L'homme renonce ainsi à découvrir l'inconnaissable et accepte avec résignationd'ignorer l'inconnu.
Mais il s'agit en même temps d'être « en réjouissance constante », c'est-à-dire à la fois d'agir etd'être allègre, car le plaisir est toujours une indication positive : « Rien ne me nuit, que je fasse avec faim etallégresse.
» L'erreur des hommes est de vouloir se dépasser et se raidir, de se laisser emporter par l'enthousiasmeou la lassitude, d'où naissent tous les dogmatismes, toutes les querelles, tous les racismes.
Le dernier mot de cette sagesse, c'est qu'il ne faut pas contraindre l'homme en l'amputant, l'abaissant ou le gonflant; il faut « vivre à propos », « faire bien l'homme et duement » : la mesure mène à la joie comme la joie à la mesure.Naturalisme complet, donc, mais qui mécontentera Pascal, car il lui manque « la grâce ».
3.
« Il inspire, dit Pascal, une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir...
Il ne pense qu'à mourirlâchement et mollement par tout son livre.
» (Pensées II.
63).
Autrement dit : les Essais ne conduisent pas à unemort chrétienne.
Pour Montaigne en effet la grande affaire est de vivre, et non d'apprendre à mourir : et pour la viecourante, il adhère au dogme courant, sans longue réflexion et sans inquiétude : « Le meilleur et le plus sain partiest sans doute celui qui maintient et la religion et la police ancienne du pays.
» Parce qu'il a une valeur certaine ?non point.
Seulement parce que « le plus vieil et plus connu mal est toujours plus supportable que le mal récent etinexpérimenté.
» Le Dieu dont il parle (car il en parle, certes) est bien loin de celui de l'orthodoxie chrétienne, vaguepuissance surnaturelle qui n'est que l'autre nom de la nature : « La vie, telle qu'il a plu à Dieu nous l'octroyer.
»
Montaigne ne cherche pas au-delà de l'homme, et refuse à l'homme toute capacité dans une telle « quête ».
Car,malgré les lignes de politesse qui terminent l'Apologie de Raimond Sebond, comment oublier le ridicule qu'il jette avecmalice sur le stoïcien grandiloquent : « De faire la poignée plus grande que le poing, la brassée plus grande que lebras, et d'espérer enjamber plus que de l'étendue de nos jambes, cela est impossible et monstrueux ; ni que l'hommese monte au-dessus de soi et de l'humanité : car il ne peut voir que de ses yeux et saisir que de ses prises.
» Quelleoutrecuidance à ses yeux, quelle éclatante impuissance, que de s'effrayer du « silence des espaces infinis » !
CONCLUSION
Précision et portée de la définition.
Intelligence de Sainte-Beuve, apte à saisir le vrai sous les aspects les pluscontradictoires.
Richesse humaine de l'attitude mon-tanienne..
»
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