Vouloir tout expliquer de l'homme, est-ce nier sa liberté ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
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permettent d'expliquer jusqu'au comportement les plus intimes de ses patients : le complexe d'Œdipe est leparadigme le plus connu.
Freud explique par lui jusqu'aux sentiments amoureux.
Les comportements et lesphénomènes humains peuvent ainsi être expliqués, mais plus encore, c'est la construction de l'esprit humainlui-même qui est ainsi révélée.
C.
Or, d'après une définition très classique de la liberté qu'on trouve clairement formulée par Hobbes dans Léviathan , (Livre I, § 21), « un homme libre est celui qui, pour ces choses que selon sa force et son intelligence il est capable de faire, n'est pas empêché de faire ce qu'il a la volonté de faire ».
Est donc librecelui qui n'est pas empêché : le prisonnier, l'esclave, l'enfant ne sont pas libres car ils sont sous tutelle d'uneautorité supérieure qui entrave leurs action.
Néanmoins, cette absence de liberté n'est qu'un fait, elle nevaut pas en droit, puisque le prisonnier, comme l'esclave et comme l'enfant ont la capacité de faire deschoses.
On ne dit pas d'un tableau qu'il n'est pas libre, même si on l'enferme dans une cage, puisqu'il n'a detoute façon pas la possibilité de se déplacer, d'agir : pour un tel objet, la liberté n'a pas plus de sens quel'absence de liberté.
Par contre, si on estime qu'un homme peut faire des choses, et qu'il en est empêché,alors on dit qu'il n'est pas libre.
Toute la question est donc de savoir si des théories telles que celle de lapsychanalyse, en expliquant tout ce qui a trait à l'homme par une chaine causale ne nie pas purement etsimplement sa liberté en ramenant chaque action à une réaction, et en expliquant tout selon un schémadéterministe.
III. L'illusion rétrospective de l'explication
A.
Sartre, dans L'existentialisme est un humanisme donne l'exemple d'un jésuite qu'il a connu étant captif, voici comment ce jésuite explique son entrée dans les ordres : il a connu une suite d'échecs, a vécu sanspère dans une institution religieuse, il a manqué un certain nombre de distinctions honorifiques étant enfant,a eu une peine de cœur à dix-huit ans, et a raté sa préparation militaire à l'âge de vingt-deux ans.
Or, aulieu de se désespérer de ces déboires, il y a vu un signe : seule la vie religieuse est faite pour lui ; il est alorsentré dans les ordres.
Ce récit nous semble pour le moins logique : le jésuite explique sa rentrée dans lesordres comme si elle était le résultat d'une suite de causes qui mécaniquement l'avaient entrainé dans cettedirection.
Nous avons un sentiment similaire à chaque fois que nous lisons une biographie : chaque étape dela vie d'un homme semble conduire tout naturellement à la suivante, tous les grands écrivains tiennent leurvocation de lectures passionnées qui les ont marqués, tous les grands peintres de rencontre avec d'autresartistes, tous les musiciens deviennent musiciens parce qu'ils étaient en adoration d'un certain compositeur.
B.
Or, ce que Sartre reproche à une telle explication, c'est tout simplement l'impression de déterminisme qui en découle.
Voici comment il raisonne à partir de cet exemple : « il a donc vu là une parole de Dieu, et il estentré dans les ordres.
Qui ne voit que la décision du sens du signe a été prise par lui tout seul ? ».Autrement dit, il se peu qu'après coup, une fois rentré dans les ordres, on puisse effectivement montrer quetoutes les circonstances l'y incitaient et qu'effectivement sa vie n'est qu'un mécanisme bien rodé, mais onaurait certainement eu la même impression s'il avait choisi d'être révolutionnaire.
Les choix que nous faisonssont toujours explicables, on peut toujours mettre à jour une chaine causale qui semble inexorablement yconduire, néanmoins, ce n'est là qu'une illusion rétrospective, et en réalité, c'est nous qui choisissonsd'interpréter d'une manière ou d'une autre notre propre existence et de suivre le chemin que nous pensonsêtre le nôtre.
C.
Entre les défenseurs du libre arbitre et les défenseurs du déterminisme, il y a toujours une asymétrie fondamentale : lorsque quelque chose s'est produit, il y a mille et une façons de montrer que ce qui s'estproduit devait nécessairement se produire, mais il n'y en a aucune de montrer que cela aurait pu ne pas seproduire.
Quoi que l'on fasse, il est impossible de montrer que l'on a fait autre chose que ce qui était écrit,que ce à quoi on était prédestiné d'après notre éducation, notre histoire psychique et familiale, notre classesociale.
Conclusion Vouloir tout expliquer de l'homme c'est vouloir, non seulement pouvoir rendre compte de certainsaspects de l'humanité, mais réellement prétendre que tout ce qui est humain peut être ramené à une chainecausale, à un mécanisme.
Par là même, c'est effectivement nier sa liberté, si l'on n'a pas conscience de l'illusionrétrospective inhérente à chaque explication.
Cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer à tout expliquer de l'homme,mais il faut se garder de penser que l'antériorité de l'homme par rapport à l'explication n'est qu'accidentelle :l'explication n'est pas le pendant d'une éventuelle prédiction (ce qui est le cas dans les chaines causales mises àjour par les sciences exactes), elle ne consiste qu'à donner du sens a posteriori .
Il convient donc de garder à l'esprit que l'explication en sciences humaines n'est qu'une interprétation qui donne du sens aux actions humaines,mais qui ne peut jamais les expliquer comme les lois astronomiques expliquent le mouvement des planètes..
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