Vérités du cœur, vérités de raison de B. PASCAL
Publié le 08/01/2020
Extrait du document
L'intérêt du scepticisme est donc de rabattre les prétentions dogmatiques de la raison, plus que de fournir une solution définitive au problème de la vérité. « Le pyrrhonisme est le vrai », disait, en forme de paradoxe, Pascal. En établissant que la raison ne peut pas tout, il montre qu'elle n’a pas le monopole de la vérité. Celle-ci est accessible aussi par d'autres voies, par exemple le « cœur ».
Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. (Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies.) Et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir.
Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire.
Blaise Pascal, Pensées (1670), pensée n° 282, texte de l’édition Brunschvicg, Garnier, 1964, pp. 147-148.
«
ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous don~
nent.
Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct
qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son
discours.
(Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace
et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite
qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double
de l'autre.
Les principes se sentent, les propositions se con
cluent; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies.)
Et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur
des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consen
tir, que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes
les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir.
Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison,
qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certi
tude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire.
Blaise PASCAL, Pensées (1670), pensée n° 282, texte de l'édition Brunschvicg, Garnier, 1964, pp.
147-148.
POUR MIEUX COMPRENDRE;: LE TEXTE
Les vérités du « cœur » ont plusieurs caractères :
1.
Elles sont étrangères à la raison {«le raisonnement{.
..
)
n'y a point de part»), ce qui ne signifie pas qu'elles lui soient
contraires : le cœur et la raison ont chacun leur ordre propre,
le sentiment pour l'un, la preuve pour l'autre.
2.
Elles sont néanmoins originaires: elles relèvent de la con
naissance des« premiers principes» et fondent donc l'ordre
des vérités rationnelles.
3.
Elles sont connues immédiatement, c'est-à~dire sans
preuves, et par évidence {«les principes se sentent ...
»).
à
la différence des vérités de la raison, dont le prototype est
la déduction mathématique, qui passent toujours par la média
tion de la démonstration{« les propositions se concluent»).
Par leur caractère d'évidence, les vérités du cœur ressem
blent à celles de l'intuition cartésienne {cf.
texte 10).
Mais
par leur caractère non rationnel, elles s'en distinguent.
Ainsi, le scepticisme a raison de rabaisser la raison ; mais
il a tort d'en conclure à l'impossibilité d'une certitude, puis
que celles du cœur se passent de la raison..
»
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