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Une société peut-elle se passer de religion ?

Publié le 17/02/2014

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religion
UNE SOCIETE PEUT-ELLE SE PASSER DE RELIGION ? D’emblée, une telle question nous contraint à affronter la place de la religion au sein de la société ainsi que le sens et la finalité du lien religieux. Selon l’une de ses étymologies, la religion désigne ce qui lie ou relie. Mais que lie-t-elle ainsi ? Ce lien n’est-il qu’un lien de transcendance qui relie les hommes aux dieux ou bien la religion est-elle la condition nécessaire du lien qui unit les hommes eux-mêmes ? Autrement dit, le lien religieux a-t-il quelque chose en partage avec les liens politiques et sociaux ou bien leur est-il étranger ? En nous reliant aux dieux, la religion est-elle vraiment ainsi ce qui nous délie de tout contrat social ? Le lien qu’elle inaugure est-il une simple évasion hors de la société ? N’est-il pas au contraire ce qui met en question le sens du lien social et ce qui pose la question des fondements de toute autorité politique ? En ce sens, en se reliant aux dieux, les hommes ne posent-ils pas avant tout la question du sens de leur condition, de leur destin et de leur vie partagée ? La transcendance, le dialogue qui unit les hommes aux dieux, sont-ils ainsi le chemin nécessaire pour que les hommes donnent sens à leur vie en commun ? Dès lors, peut-on réduire la religion à une expression parmi d’autres de la vie privée, qui n’aurait d’autre portée que celle d’un choix individuel, et qui serait comparable en ce sens avec d’autres formes d’associations (on serait chrétien comme l’on est amateur de bons vins ou philatéliste), ou bien est-elle au contraire ce qui pose la question polémique des fondements du politique, du sens de l’histoire et de l’origine du lien social ? Par conséquent, on peut mesurer à quel point une telle question déborde la simple question sociologique de la place des religions dans les sociétés modernes ou bien la question psychologique du sens de la foi, comme espoir ou comme besoin de transcendance. Se pose bien plutôt la question de savoir en quelle mesure le lien social et politique est ou non dépendant du lien religieux. Autrement dit, est-il possible de concevoir une société qui se délierait du lien religieux ? Ou bien ce lien est-il constitutif de son ordre, de sa fondation et de sa permanence ? En ce sens, est-ce qu’une société peut pleinement garantir son ordre et sa fondation de façon autonome ? Peut-elle – au sens premier de l’autonomie – se donner à elle-même la loi et assumer cette liberté, ou doit-elle nécessairement conférer à ses lois une autorité et une origine transcendante ? C’est une telle exigence d’autonomie qui fonde les démocraties modernes. Et s’il s’agissait de définir la démocratie, on pourrait bien la définir ainsi : démocratie est le nom de ce régime politique qui peut se passer de religion, non dans le sens où il tendrait à en interdire l’expression, mais au sens où ce régime affirme la possibilité d’une société autonome, dont les lois procèdent d’une délibération commune entre les membres de la société. La modernité, telle qu’elle s’inaugure au dix-septième siècle, a consisté dans cette déliaison du politique et du religieux, la séparation de leurs fondements et de leurs fins. Or, si l’on est parfois amené aujourd’hui à parler d’un « retour du religieux «, on peut se demander si un tel « retour « est purement anecdotique ou bien s’il ne trahit pas un lien indéfectible entre politique et religion. Car, en admettant que les liens qui unissent les hommes en société puissent se penser en dehors de toute expression religieuse, l’autorité de la loi et de l’Etat y sont-ils si étrangers ? Toute autorité et tout pouvoir ne se fondent-ils pas sur un « mystère « ? Peuvent-ils se passer d’un « sacre «, d’une fondation transcendante ? Toute autorité ne s’accompagne-t-elle pas d’une forme de religiosité ? Si nous n’avons plus de religion d’Etat, en avons-nous fini avec la religion de l’Etat ? Quel pouvoir peut se passer d’une religion du pouvoir ? Partant, ce que l’on nomme « retour du religieux « n’est-il pas une sorte de retour aux origines pour toute autorité politique ? Peut-on donc donner droit à une compréhension de la loi et du lien politique et social, pleinement affranchie de toute transcendance ? Pour affronter ce problème, nous verrons dans un premier temps en quelle mesure le lien social se distingue du lien religieux, aussi bien au regard de ses fondements que des finalités qu’il poursuit. Dans un second temps, nous nous demanderons si la loi et l’autorité d’Etat peuvent, toutefois,s’émanciper de toute transcendance. Enfin, nous essayerons de distinguer le sacré et le religieux, afin de poser les conditions d’une société qui puisse à la fois recueillir ses fondements et affronter son histoire. L’hypothèse, engagée par la question, laisse entendre qu’il pourrait non seulement y avoir une relation entre le contrat politique et social qui unit les membres d’une société et la religion, mais plus encore, que celle-ci pourrait apparaître comme une condition de possibilité, voire une condition nécessaire de la vie en commun. Or, le pacte social qui unit les membres d’une société implique-t-il un lien religieux ? Les fondements et l’ordre d’une société politique ne peuvent-ils ainsi être pensés sans poser la question de la place de la religion dans la société ? Pourquoi toute réflexion sur le contrat politique et social devrait-elle faire face à la religion et la reconnaître ainsi comme son « problème « ? Une telle question pourrait sans doute sembler anachronique, pour nous modernes, la religion étant interprétée aujourd’hui comme une pratique sociale parmi d’autres, garantie par les libertés individuelles et, somme toute, indifférentes politiquement. Cependant, outre ce que l’on nomme aujourd’hui un « retour du religieux «, nous oublions que nos Etats de droit ont fondé leurs principes en affrontant un tel problème : la question de la séparation du politique et du religieux. C’est sur l’horizon d’une telle séparation que le lien politique a pu affirmer son autonomie, poser la question de ses fondements et de ses finalités propres, distinguer clairement le Droit de la morale. Autrement dit, se demander si la société peut ou non se passer de religion, pourrait nous apparaître comme une question surannée, mais ce serait oublier que nos Etats de Droit modernes ont pour origine une telle question et qu’elle est encore le fondement, pleinement actif, des libertés individuelles, garanties par la loi. Si l’on ne peut donc penser le contrat social sans affronter la question de la place de la religion, c’est bien parce que la religion engage le sens de la condition humaine et de la vie en commun. En ce sens, nulle religion n’est indifférente politiquement. Comme le relève ainsi MARCEL GAUCHET dans son essai, La fin de la religion ?, la charge polémique, qui est c½ur de toute religion, tient au fait que la religion ne désigne pas une simple communauté d’amour ou de foi, mais engage une double revendication : la revendication d’une vérité et la revendication d’une loi. Or, cela place la religion dans une position de rivalité par rapport à une certaine rationalité et une certaine conception de la souveraineté. En effet, dans l’ordre religieux, loi et vérité ont une origine transcendante ; les hommes sont censés les recevoir bien plus qu’ils ne se les donnent à eux-mêmes. Loi et vérité sont l’objet d’une révélation et non d’une construction rationnelle ou d’une délibération commune. En ce sens, vérité et loi, dans l’ordre religieux, remettent en cause la capacité d’autonomie des hommes, leur capacité à déterminer par eux-mêmes et à partir des exigences de leur raison ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, leur capacité à produire par eux-mêmes les lois auxquelles ils obéissent. Se plaçant ainsi dans la position de l’homme de foi, Gauchet note ainsi : « Notre loi, c’est du dehors qu’elle nous vient, notre manière d’être, c’est à d’autres que ...

religion

« autonome ? Peut-elle – au sens premier de l'autonomie – se donner à elle-même la loi et assumer cette liberté, ou doit-elle nécessairement conférer à ses lois une autorité et une origine transcendante ? C'est une telle exigence d'autonomie qui fonde les démocraties modernes.

Et s'il s'agissait de définir la démocratie, on pourrait bien la définir ainsi : démocratie est le nom de ce régime politique qui peut se passer de religion, non dans le sens où il tendrait à en interdire l'expression, mais au sens où ce régime affirme la possibilité d'une société autonome, dont les lois procèdent d'une délibération commune entre les membres de la société.

La modernité, telle qu'elle s'inaugure au dix-septième siècle, a consisté dans cette déliaison du politique et du religieux, la séparation de leurs fondements et de leurs fins.

Or, si l'on est parfois amené aujourd'hui à parler d'un « retour du religieux », on peut se demander si un tel « retour » est purement anecdotique ou bien s'il ne trahit pas un lien indéfectible entre politique et religion. Car, en admettant que les liens qui unissent les hommes en société puissent se penser en dehors de toute expression religieuse, l'autorité de la loi et de l'Etat y sont-ils si étrangers ? Toute autorité et tout pouvoir ne se fondent-ils pas sur un « mystère » ? Peuvent-ils se passer d'un « sacre », d'une fondation transcendante ? Toute autorité ne s'accompagne-t-elle pas d'une forme de religiosité ? Si nous n'avons plus de religion d'Etat, en avons-nous fini avec la religion de l'Etat ? Quel pouvoir peut se passer d'une religion du pouvoir ? Partant, ce que l'on nomme « retour du religieux » n'est-il pas une sorte de retour aux origines pour toute autorité politique ? Peut-on donc donner droit à une compréhension de la loi et du lien politique et social, pleinement affranchie de toute transcendance ? Pour affronter ce problème, nous verrons dans un premier temps en quelle mesure le lien social se distingue du lien religieux, aussi bien au regard de ses fondements que des finalités qu'il poursuit.

Dans un second temps, nous nous demanderons si la loi et l'autorité d'Etat peuvent, toutefois,s'émanciper de toute transcendance.

Enfin, nous essayerons de distinguer le sacré et le religieux, afin de poser les conditions d'une société qui puisse à la fois recueillir ses fondements et affronter son histoire. L'hypothèse, engagée par la question, laisse entendre qu'il pourrait non seulement y avoir une relation entre le contrat politique et social qui unit les membres d'une société et la religion, mais plus encore, que celle-ci pourrait apparaître comme une condition de possibilité, voire une condition nécessaire de la vie en commun. Or, le pacte social qui unit les membres d'une société implique-t-il un lien religieux ? Les fondements et l'ordre. »

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