Une proposition peut-elle être vraie en théorie et fausse en pratique ?
Publié le 18/02/2004
Extrait du document
«
Une théorie ne semble tenir sa vérité que de la pratique, c'est-à-dire de l'expérience qu'on en fait.
Cependant,si une théorie n'est valable que dans la pratique ou l'expérience, cela ne veut pas dire pour autant qu'elle enest issue.
En effet, nous pouvons considérer qu'elle n'a d'application que dans l'expérience, bien que sonorigine ne soit pas empirique.
a.
Cette thèse est défendue par Kant dans son opuscule Théorie et pratique (« Du lieu commun : ce qui est vrai en théorie peut être faux en pratique »). Kant commence par distinguer la théorie comme ensemble de règles constituant des principes universels, de la pratique comme action libre, réglée par ces principes universels.
Or,le passage de l'une à l'autre nécessite un jugement , qui consiste dans un acte permettant de décider si la règle contenue dans un concept s'applique bien au cas particulier.
Par exemple, un médecin doit posséder un art du diagnostique, en plus de ses connaissances médicales, pour pouvoir soigner son malade.
Dès lors, unethéorie peut s'avérer incomplète, et doit être complétée par des expériences fournissant de nouvelles règles. Nous dirons qu'un bon médecin est un homme d'expérience.
b.
Nous avons établi que la théorie peut être complétée par la pratique.
Mais on ne doit pas en conclure qu'elletire sa vérité de la seule pratique.
Kant montre précisément l'inverse : la valeur de la pratique ne tient quedans conformité à la théorie.
A cet égard, il se sert de deux exemples particulièrement significatifs.Premièrement, au niveau moral , la théorie fondée a priori sur le concept de devoir vaut en pratique.
En effet, la transgression du devoir est toujours ressentie comme une faute : par exemple, si je détiens un bien étranger, alors que son propriétaire est mort et ses héritiers n'en savent rien.
Deuxièmement, au niveaupolitique, le contrat est une idée de la raison ayant une réalité pratique pour le sujet (l'obligation de se soumettre à la loi qu'il s'est prescrite), et pour le législateur (comme règle a priori de la conformité d'une loi au droit).
Par conséquent, la vérité d'une théorie n'est jamais infirmée par la pratique, parce qu'elle est établie a priori .
c.
II.
La pratique peut invalider une théorie
L'argument de Kant repose pour l'essentiel sur la possibilité d'établir a priori la vérité d'une théorie.
Mais la science, au cours de ses investigations, nous montre que la vérité d'une théorie est d'abord éprouvée par lapratique.
Ainsi, c'est toujours l'expérimentation qui décide de la vérité d'une construction théorique.
a.
Dans le Novum organum , Bacon considère le rôle fondamental que joue l'expérience dans l'acquisition des connaissances scientifiques.
Selon lui, la vérité d'une théorie scientifique dépend d'une expérience cruciale.Cette dernière consiste dans le contrôle de deux théories rivales par une même expérimentation : la réfutationde l'une implique obligatoirement la confirmation de l'autre.
Cependant, l'expérience cruciale n'est pas décisive,car une troisième théorie est toujours possible.
b.
Dans la Logique de la découverte scientifique , Karl Popper critique la conception baconienne.
Selon lui, une expérience particulière peut réfuter une loi ou une théorie générale, mais elle ne constitue pas une preuve desa vérité.
Le seul critère de vérité d'une théorie réside dans ce que Popper appelle sa « falsifiabilité » .
Celle-ci consiste à affirmer, d'une part, que la vérité d'une théorie peut être réfutée, mais non confirmée parl'expérience.
Et d'autre part, elle constitue un test de scientificité : la valeur scientifique d'une théorie dépendde la possibilité d'un cas empirique capable de la réfuter.
Par exemple, la découverte d'un corbeau blanc réfuterait la loi selon laquelle “tous les corbeaux sont noirs”, tandis que le énième corbeau noir aperçu neprouvera pas que cette loi est définitivement vraie.
Nous pouvons donc en conclure que la pratique peutinvalider la théorie, mais non la valider.
c.
III.
Toute théorie est le résultat d'une pratique
Dans les analyses menées jusqu'à présent, nous avons présupposé que la théorie préexistait à la pratique, quecette antériorité soit transcendantale (l' a priori chez Kant) ou temporelle (la théorie scientifique chez Popper). Mais toute théorie est en réalité le résultat d'une pratique historique et sociale.
Dès lors, si ce qui est vrai enthéorie peut s'avérer faux en pratique, c'est qu'une certaine pratique à amener à une théorie nécessairementfausse.
a.
Dans l' Idéologie allemande (Section A, 1 re partie), Marx peut ainsi dépasser la simple opposition entre théorie et pratique, en montrant que toutes les productions théoriques de l'homme sont l'œuvre d'une praxis .
En effet, l'idéologie est toujours le produit du rapport de la pensée et de la réalité historique, et non de la seule pensée.Son origine repose sur la division sociale du travail intellectuel et du travail manuel, qui amène uneémancipation de la conscience, s'imaginant autre chose que la conscience de la pratique existante.
b.
Le mécanisme de l'idéologie traduit une impuissance de l'individu à atteindre une universalité réelle, c'est-à-direla pratique sociale émancipée de la division du travail.
Aussi aboutit-elle à la production d'universaux fictifs parl'État, qui acquièrent une puissance d'oppression en s'emparant des forces sociales qui les ont produites.L'idéologie est toujours aliénante, car elle fait oublier ses propres conditions de production, pour s'ériger enentité autonome (par exemple, la Justice, le Droit, l'Homme).
Par conséquent, la théorie s'avère fausse enpratique, parce qu'elle constitue de fait une falsification ou une abstraction de la pratique réelle.
c..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Une proposition peut-elle être vraie en théorie et fausse en pratique ?
- Peut-on affirmer que toute proposition est vraie ou fausse, sans autre possibilité ?
- Peut-on dire que toute proposition est vraie ou fausse sans autre possibilité ?
- Peut-on affirmer que toute proposition est vraie ou fausse, sans autre possibilité ?
- Emmanuel KANT ( 1 724-1804) Théorie et pratique, chapitre II