Une politique des passions est-elle possible?
Publié le 02/02/2005
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Les passions comme la haine, la vengeance, la crainte et même parfois l’amour peuvent nous entraîner à commettre des actes malveillants. Cela provient du fait que de manière générale, la passion est un phénomène psychique, dont le corps et aussi le jugement ont un rôle dévolu, qui domine complètement le sujet. La passion peut donc constituer un danger car elle est susceptible de déterminer la volonté du sujet et donc par la même occasion lui priver de sa liberté. Par conséquent est-il possible de maîtriser nos passions ? Autrement dit, une politique des passions est-elle possible ? Maîtriser ses passions, cela implique de faire en sorte qu’il soit possible de les ordonner afin de rétablir l’harmonie au sein du sujet qui est victime de l’emportement passionnel. Une politique des passions visera donc à conférer de l’ordre, de l’unité a l’intérieur du sujet. Mais où va-t-on puiser la force nécessaire pour organiser une telle répression ? De plus une telle politique est-elle souhaitable ? N’y a-t-il pas dans les passions une force nécessaire pour toute action ?
«
A : Pour Machiavel les passions sont en quelque sorte la matière du politique.Dans Le prince , Machiavel traite de la manière d'accéder au pouvoir pour un prince et plus encore de la manière de s'y maintenir.
Au chapitre XIX,Machiavel énonce la thèse selon laquelle un prince doit se garder la faveur dupeuple s'il veut se maintenir au pouvoir.
En effet, grâce à cela, il pourra êtrepresque assuré qu'aucun des « grands » qui l'entourent ne fomentent un planquelconque pour le destituer de peur ensuite de se faire railler par le peuple.Mais que doit faire le prince pour gagner la sympathie du peuple.
Il doitparaître juste, libéral, religieux.
De plus il doit montrer au peuple qu'il incarne une force protectrice et que par conséquent il doit se faire craindre sans sefaire haïr.
Le prince doit donc savoir s'appuyer sur les passions pour accéderau pouvoir mais il doit aussi savoir en insuffler pour légitimer et assurer sonrègne.
C'est au chapitre neuf du « Prince » (1513) que Machiavel énonce, pour le réfuter, le proverbe : « Qui se fonde sur le peuple se fonde sur la fange », auquel il rétorque : « Je conclurai seulement qu'à un prince il est nécessaire d'avoir l'amitié du peuple. »
Ce chapitre (comme bien d'autres passages du « Prince ») est donc consacré à montrer que tout prince prudent ou vertueux doit s'appuyer sur le peuple.
Machiavel fait partie des auteurs dont le nom passe dans la langue commune, et il en subit le sort : l'image du « machiavélisme » correspond mal à la réalité des écrits de Machiavel .
Des tentatives de l'auteur italien, longtemps haut fonctionnaire florentin, pour fonder la politique, la débarrasser de considérations morales qui lui sont étrangères, y substituer une éthique propre,l'imagerie populaire n'a retenu que la caricature du cynisme, de la cruauté et de la soif du pouvoir.
Notre auteur avait parfaitement conscience d'écrire sur un ton nouveau et de s'écarter des sentiers battus voirerebattus de la politique.
Il récuse la morale traditionnelle au nom du réalisme et de l'efficacité : « Il m'a paru plus pertinent de me conformer à la vérité effective de la chose qu'aux imaginations qu'on s'en fait […] En effet, il y a siloin de la façon dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse ce qui se fait pour ce qui se devraitfaire, apprend plutôt à se détruire qu'à se préserver. »
Cette phrase prétend à la fois viser à l'efficacité et dénoncer les illusions du « devoir être ».
Qui se fie aux discours moraux va à sa perte ; mieux vaut analyser la pratique politique effective, réelle.
Cela est d'autant plus frappantque le « Prince » (1513), est quasiment contemporain de l'œuvre célèbre de More , « L'utopie » (1516), qui prétend, après avoir critiqué la société de son temps, proposer un « contre-modèle » aussi parfait qu'imaginaire.
Il est piquant de constater que, comme l'œuvre de Machiavel donnera le terme commun de « machiavélisme », l'œuvre de More donnera celui « d'utopie », qui est d'abord un nom propre : celui de l'île abritant la société parfaite, l'île de « nulle part ».
Le but du « Prince » est d'étudier « comment les monarchies se peuvent gouverner et conserver ».
En fait le propos de Machiavel dépasse très largement ce projet initial : préoccupé par la faiblesse politique de l'Italie de son temps (déchirée en petits Etats rivaux, instables, menacés par les forces étrangères), notre auteur esquisse unethéorie de l'action politique efficace visant à assurer la paix et la stabilité des Etats.
La question de la stabilitépolitique est un thème majeur du « Prince ».
Or une des clefs de la réussite, de la virtuosité du prince, du chef politique, consiste dans la capacité d'acquérir l'amitié du peuple : « Je confluerai seulement qu'à un prince il est nécessaire d'avoir l'amitié du peuple : autrement il n'a, dans l'adversité, point de remède […] Et que personne neconteste cette mienne opinion en disant que qui se fonde sur le peuple se fonde sur la fange. »
Pour établir cette conclusion, Machiavel part d'un constat d'une portée universelle, qui concerne toute organisation politique.
« Car en toute cité on trouve ces deux humeurs opposées ; et cela vient de ce que le peuple désire de n'être pascommandé ni opprimé par les grands, et que les grands désirent commander et opprimer le peuple ; et de ces deuxappétits opposés naît dans les cités un de ces trois effets : ou monarchie, ou liberté, ou licence. »
Ainsi toute cité est traversée par une opposition majeure, on serait tenté de dire une opposition de classes : celledes grands et du peuple.
Or si les grands sont possédés du désir d'opprimer, le peuple, lui, est habité par le désir« négatif » de ne pas être asservi.
Ce qui est remarquable, c'est que Machiavel , non seulement fasse de cette division de classes une division universelle, valable en tout temps et en tous lieux, mais que, de plus, il la tiennepour responsable d'une classification inédite des régimes politiques.
Là où la tradition parlait de monarchie,d'aristocratie, de démocratie et de régimes mixtes, Machiavel ne repère que monarchie, république et « anarchie », désordre ou encore licence.
Le cas de la république sera examiné dans un ouvrage aussi peu connu du grand public que passionnant, et danslequel les convictions républicaines de Machiavel se font jour : « Discours sur la première décade de Tite- Live ».
Or on y retrouve des énoncés similaires à celui du « Prince », toujours très favorable au peuple : « Dans toutes les républiques il y a deux parties : celle des grands et celle du peuple ; et toutes les lois favorables à la.
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