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Une liberté restreinte dans un monde ouvert de K. POPPER

Publié le 05/01/2020

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Une liberté restreinte dans un monde ouvert

K. POPPER (1902-1994)

 

Il n’y a aucun doute que la prise de conscience que l’homme est un animal et que le désir de nous voir faire partie de la nature soient l’argument philosophique fondamental en faveur du déterminisme laplacien et de la théorie de la fermeture causale du Monde 1. Je crois que la raison est juste ; si la nature était entièrement déterministe, le royaume des activités humaines le serait aussi. Il n’y aurait, en fait, aucune action, mais tout au plus l’apparence d’actions.

 

Mais l’argument opposé est également solide. Si l’homme est libre, au moins en partie, la nature l’est aussi; et le Monde 1, physique, est ouvert. Et il y a toutes les raisons de croire que l’homme est libre, du moins en partie. Le point de vue opposé -celui de Laplace - mène à la prédestination. Il conduit à l’idée que, il y a des billions d’années, les particules élémentaires du Monde 1 contenaient la poésie d’Homère, la philosophie de Platon et les symphonies de Beethoven, comme une graine contient la plante; il mène à l’idée que l’histoire humaine est prédestinée et, avec elle, toutes les manifestations de la créativité humaine. Et la version de la théorie quantique est tout aussi mauvaise. Elle fait de la créativité humaine une question de simple hasard. Il y a sans doute un élément de hasard. Cependant, la théorie selon laquelle la création d'oeuvres d’art ou de musique peut, en dernière analyse, être expliquée en termes de chimie ou de physique me paraît absurde. Dans la mesure où la création musicale peut être expliquée, elle doit l’être, au moins en partie, en faisant intervenir la structure, les lois et les contraintes internes qui jouent un rôle si important dans la musique et dans tous les phénomènes du Monde 3 - lois et contraintes dont l’assimilation et parfois le refus sont d’une très grande importance pour la créativité des musiciens.

 

Ainsi, notre liberté, et surtout notre liberté de créer est soumise clairement aux restrictions des trois Mondes. Si Beethoven, par quelque infortune, avait été sourd de naissance, il ne serait pas devenu compositeur. En tant que compositeur, il soumit librement sa liberté d’inventer aux restrictions structurales du Monde 3. Le Monde 3, autonome, fut celui où il fit ses découvertes les plus grandes et les plus authentiques, libre qu’il était de choisir son chemin, comme un explorateur dans l’Himalaya, mais étant aussi limité à la fois par le chemin choisi jusque-là et par les suggestions et les restrictions internes du nouveau monde ouvert qu’il était en train de découvrir.

 

Karl POPPER, L’univers irrésolu, trad. R. Bouveresse, Hermann, 1984, p. 105.

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« fit ses découvertes les plus grandes et les plus authentiques, libre qu'il était de choisir son chemin, comme un explorateur dans !'Himalaya, mais étant aussi limité à la fois par le chemin choisi jusque-là et par les suggestions et les restrictions internes du nouveau monde ouvert qu'il était en train de découvrir.

Karl POPPER, L'univers irrésolu, trad.

R.

Bouveresse, Hennann, 1984, p.

105.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Karl Popper distingue trois mondes.

Le Monde 1 est le monde physique, incluant également la chimie et la biologie.

Le Monde 2 est le monde psychologique, incluant ma conscience et l'inconscient.

Le Monde 3 est le monde des productions de l'esprit humain, incluant l'art, la morale et la politique.

Le Monde 1 est.

selon Popper, un monde «ouvert» et en partie indéterminé.

Un monde soumis au déterminisme serait un monde clos, identique éternellement à lui-même, ce qui, selon Karl Popper exclurait toute innovation possible, et par conséquent toute vie.

L'hypothèse d'un monde ouvert lui paraît par conséquent plus probable.

Elle est aussi, à ses yeux, nécessaire pour affirmer la liberté de l'homme.

La question de la liberté humaine et du déterminisme naturel sont ainsi rendues solidaires.

Si la mécanique quantique est un modèle théorique qui contredit l'idée du déterminisme absolu tel que Laplace pouvait le définir, par exemple, elle n'autorise pas pour autant, selon Popper, l'idée d'un hasard absolu.

La liberté, dans le Monde 1, comme dans le Monde 3, s'exerce à partir de contraintes.. »

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