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UNE LANGUE BIEN FAITE METTRAIT-ELLE FIN À TOUTE DISCUSSION ?

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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Une telle question suppose une analyse préalable de la nature du langage. L'expression « bien faite » appelle en outre un commentaire particulier : faut-il comprendre que la langue « bien faite » serait celle qui ne prêterait qu'une seule signification à chacun des éléments qui la constitueraient ? C'est ce que semble induire la fin de la question ; en effet, dans ce cas, le problème des malentendus nés d'une marge d'incertitude dans la langue, disparaît : le sens devient indiscutable. Certains systèmes de communication tendent vers un tel idéal, le code de la route par exemple. Que serait un tel code s'il existait une ambiguïté, une possibilité de malentendu ! Effectivement, on ne discute pas avec les panneaux, on prend connaissance des renseignements qu'ils nous fournissent, éventuellement on obéit à leurs injonctions. Mais on peut s'interroger sur la perfection d'une langue semblable dans l'usage quotidien : comment produire une oeuvre littéraire avec un tel instrument ? Comment rendre le symbolisme ? Ceci conduit à une seconde réflexion sur le sujet. Cette langue « mettrait fin à toute discussion » en un second sens de l'expression : on ne pourrait plus échanger avec une telle langue, on ne pourrait plus discuter. Ainsi, par une sorte d'ironie, le sujet lui-même joue sur deux sens possibles de son libellé. L'expression « mettre fin à toute discussion » peut s'entendre comme synonyme de « mettre fin à tout problème d'interprétation, à toutes les sortes de malentendu » ou de « mettre fin à tout échange de paroles », au sens où Saussure utilise le terme. En effet, le mot discussion peut renvoyer à l'interprétation nécessaire lorsque le sens n'est pas clair, ou à l'acte de communication entre deux individus. On le voit, le sujet apporte, d'une certaine manière, une réponse secrète à sa propre question.
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« certain type de communication, limité à un objet précis.

On doit s'interroger, par conséquent,sur les fonctionnements de tels langages. 2 - La mort de l'échange L'exclusion des sujets Pour que le discours monosémique soit possible, il faut que toutes les sources possibles de malentendu soientéliminées.

Est-il concevable alors que l'expression de la subjectivité puisse se faire avec un tel instrument ? Lescas limites de langues « bien faites » sont des exemples qui supposent un énoncé sans sujet.

N'importe qui à ma place déchiffre les signaux du code de la route de la même façon que moi, pourvu qu'il connaisse lesystème ; de même dans un énoncé mathématique.

Dans les deux cas également, l'émetteur s'efface en tantque personne singulière : à la limite, dans le code de la route, son identité n'a plus aucune importance ; seulcompte le contenu du message.

La discussion est exclue parce que la communication se fait en dehors detoute énonciation particulière.

Ceci explique d'ailleurs qu'une langue de type artificiel ne puisse pas évoluer autrement que par adjonction de nouveaux signes (par exemple de panneaux dans le code de la route) ou parbouleversements, jamais par déformation progressive comme dans les langues naturelles.

En effet, lesdéformations sont des actes individuels qui deviennent ensuite éléments du code, mais elles prennent sourcedans l'énonciation, ce qui ne peut être le cas dans les langues artificielles. a. L'exclusion du symbole b. Le langage monosémique ne peut plus assurer de fonction symbolique : un discours fondé sur la pluralité du senscomme la poésie ou la littérature n'est plus possible, puisqu'il tire ses effets de l'ambiguïté, de l'interprétation, de lalecture.

Certains modes de communication s'appuient sur cette propriété polysémique du langage ; ils vivent du malentendu, de l'ambiguïté, du bruit.

Mais leur conception du sens diffère profondément de celle des languesmonosémiques.

Il ne s'agit plus ici de concevoir la langue comme véhicule de contenus stables, clairs, parfaitementdélimités.

Un présupposé se dégage à ce stade de la réflexion : quels sont les rapports de la langue et du sens,implicitement posés par la formulation du sujet ? C) La fin de toute discussion Si la langue « bien faite » est monosémique, elle n'autorise plus l'échange.

Toute la dimension subjective ou symbolique d'une énonciation, toute parole au sens de Saussure est impossible.

En effet, aucune appropriation personnelle du code par le locuteur ou le récepteur ne peut exister.

Sans margede liberté pour user du code à sa convenance, on en est réduit à le faire fonctionner, mais enrestant extérieur à lui.

En d'autres termes, je ne peux me constituer en sujet de mon proprediscours. 3 - L'interprétation comme signe d'une langue bien faite La langue et la parole Nous voici revenus à l'opposition langue et parole posée par Saussure.

Elle a le mérite de souligner la double dimension de la langue : celle du code général, qui permet la communication, celle de l'expression personnellequi fait un usage particulier, original de ce code.

Cette double nature de la langue renvoie aux rapports qui lalient aux individus ; une langue artificielle peut éliminer les incertitudes, mais elle restreint sa fonction àl'échange d'informations.

Le langage y est conçu seulement comme un intermédiaire permettant de s'entretenirde notions objectives, vérifiables.

Mais il élimine les autres possibilités.

C'est pou-quoi il supprime toutediscussion dans les deux acceptions du terme : discussion destinée à éclaircir le sens, mais aussi échangepersonnel.

La dimension humaine disparaît, et Socrate est réduit au silence... a. L'interprétation b. L'interprétation apparaît alors comme le signe d'une langue « bien faite », parce qu'elle concilie à la fois les nécessités du code commun et les exigences de la parole individuelle.

Les langues naturelles réalisent donc ceparadoxe d'être des systèmes qui s'imposent aux individus sans qu'ils puissent s'en défendre, mais aussi desorganisations souples qui laissent aux sujets une marge de liberté.

Qu'il en résulte une ambiguïté, une discussion estdonc moins le signe d'une faiblesse, qu'un avantage, car le sens n'est pas toujours stable, il est aussi productionpersonnelle.

Réduire le langage à la transcription d'une vérité définitive conduit à lui retirer toute dimension vitale. C) La discussion La discussion est donc la résultante de la double particularité que nous venons d'esquisser.

Elle prend sa sourcedans la dimension ambiguë du langage, elle permet de jouer des deux caractéristiques.

En ce sens, elle estrecherche de l'accord, comme le montre la maïeutique de Socrate, recherche de la vérité.

Que le discours de Socrate s'achève souvent en récit mythique et non plus en dialogue, en discussion, peut également nous conduire à. »

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