Une forme de servitude réglée, douce et paisible. Tocqueville
Publié le 19/03/2020
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«Ce n’est pas que les peuples dont l’état social est démocratique méprisent naturellement la liberté ; ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n’est pas l’objet principal et continu de leur désir, ce qu’ils aiment d’un amour éternel, c’est l’égalité. »
« Il y a en effet un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques {...] lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les Lumières et les habitudes de la liberté. »
« Au-dessus d’eux s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur providence et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux [...] II travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l’unique agent, il pourvoit à leur sécurité, prévient et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
« J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible [...] pourrait se combiner mieux qu’on ne se l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple. »
« L’exercice de leurs devoirs politiques leur paraît un contretemps fâcheux qui les distrait de leurs industries [...] Ce sont là jeux d’oisifs qui ne conviennent pas à des hommes graves et occupés des intérêts sérieux de la vie.»
« Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans cesse sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leurs âmes. Chacun d’eux retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres, ses enfants et ses amis forment pour lui toute l’espèce humaine, quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux mais il ne les voit pas. »
« La tendance permanente de ces nations est de concentrer toute la puissance gouvernementale dans les mains du seul pouvoir qui représente le peuple, parce que, au-delà du peuple, on n’aperçoit plus que des individus égaux confondus dans une masse commune. »
« Je ne veux pas oublier que c’est à travers le bon ordre que les peuples sont arrivés à la tyrannie [...] Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur, elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner doit paraître. »
«
J
Servitude / 229
(Gallimard, 1967): « Comment concilier liberté et
égalité?»
C'est que, contrairement cette fois à Montesquieu pour
qui le principe des républiques était la vertu au sens
politique,
pour Tocqueville, le principe des démocra
ties est l'égalité.
Cette égalité est une égalité sociale, contemporaine de
la destruction des ordres et des distinctions héréditai
res, et parallèle
à la montée du salariat généralisé.
De
cette égalité sociale, l'égalité politique n'est
qu'une
conséquence possible.
Comparée
au régime féodal ou monarchique, la démo
cratie se caractérise
par trois traits qui sont liés :
- l'égalité sociale (et la médiocrité [au sens ancien
du
terme] des conditions);
l'uniformisation des modes de vie;
et surtout un
amour du bien-être matériel.
« Ce n'est pas que les peuples dont l'état social est
démocratique méprisent naturellement
la liberté ; ils
ont
au contraire un goût instinctif pour elle.
Mais la
liberté n'est pas l'objet principal et continu de leur
désir,
ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est
l'égalité.»
Çe souci, cette passion de l'égalité des conditions
entraîne une sorte d'atomisation de la société, chacun
se souciant avant tout de ses intérêts privés.
L'égalité
et l'uriif ormisation des modes de vie forment ainsi les
c,onditions d'émergence
d'un pouvoir d'autant plus
redoutable qu'il s'impose
à des êtres insignifiants.
Les
révolutions française et américaine
ont brisé les anciens
liens de dépendance personnelle qui existaient dans les
sociétés féodales.
Si le pouvoir devient inquiétant dans
les sociétés nouvelles, c'est qu'il est impersonnel, et
qu'aucun corps, aucun individu distingué ne vient.
»
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