Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ?
Publié le 07/11/2009
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Le développement de la biologie au XXe siècle a été rendu possible d’une part grâce à des avancées technologiques permettant des observations microscopiques plus précises, d’autre part et surtout par l’importation de modèles scientifiques utilisés en physique et en chimie. Ceux-ci permettent une modélisation plus précise des processus microscopiques observés dans les organismes vivants. Ainsi la transmission du message nerveux est-elle conjointement expliquée par un modèle électrique (lorsque le message circule dans le nerf) et par un modèle chimique (lorsque le message passe d’un nerf à un autre). Ainsi, le vivant est connu scientifiquement dans la mesure où les processus observés chez les êtres vivants sont expliqués par des lois constantes et applicables au plus grand nombre de cas. Et comme l’affirme Jacques Monod dans son ouvrage Le Hasard et la Nécessité, cette connaissance du vivant semble actuellement en passe de devenir totale, puisque la découverte du génome paraît fournir une clef pour expliquer tous les phénomènes observables chez les êtres vivants. La connaissance scientifique du vivant paraît donc non seulement réelle (et par là même possible) mais bientôt en mesure d’expliquer son objet dans sa totalité. Mais le vivant, en lui-même, est-il pour autant connaissable ? A-t-on raison d’espérer une connaissance du vivant totale, achevée ?
«
B.
Les deux sens du mot « vivant » La biologie prétend connaître le vivant, mais en réalité elle l'ignore et n'a affaire qu'à l'inerte.
Un problème se pose alors : si la prétendue connaissance scientifique du vivant n'est qu'une connaissance de l'inerte, le vivant est-il par nature inconnaissable ? Toute connaissance scientifique n'est-elle qu'une connaissance de l'inerte ?Pour répondre à ces questions, il nous faut préciser davantage ce que l'on entend par « vivant ».
Nous avonsjusqu'à présent considéré implicitement que le terme « vivant » désignait l'ensemble des êtres vivants que la biologie s'efforce de connaître.
Mais le « vivant » est aussi un terme général signifiant le caractère commun à tousles êtres vivants : la vie. Or il semble que c'est bien la vie elle-même qui échappe à la biologie , puisque celle-ci ne fait aucune différence entre les lois régissant les êtres doués de vie et les lois des corps inertes.
Maispourquoi la connaissance scientifique ne parvient-elle pas à expliquer la vie ? Sans doute parce que la vie ne peutse définir dans les mêmes termes que les objets que la science peut connaître.
Il y a quelque chose dans la vie et dans les êtres vivants qui reste inaccessible à la connaissance scientifique .
Quoi donc ? C.
La spontanéité du vivant est inaccessible à la connaissance scientifique (Kant, Bergson) En premier lieu, il semble que l'organisme vivant obéit à une finalité interne : se conserver.
En effet, toutes les parties de l'organisme (tel que l'a défini Kant dans la Critique de la faculté de juger ) sont interdépendantes : aucune ne peut fonctionner et subsister sans l'ensemble des autres, et chacune est nécessaire à la conservation del'ensemble.
Or, la biologie peut expliquer chacun des processus partiels par lesquels les organes sontinterdépendants ; mais elle ne peut expliquer ni l'existence même de cette interdépendance totale, ni la finalitéinterne qui paraît animer le vivant et l'inciter spontanément à se conserver.
Et c'est bien cette finalité échappant àla connaissance qui paraît définir la vie, et l'opposer à l'inerte.En second lieu, comme l'a montré Bergson dans L'Évolution créatrice , la caractéristique essentielle du vivant est sa capacité à créer , à sortir de lui-même pour produire de la nouveauté : l'être vivant se transforme sans cesse au cours de sa propre vie ; les êtres vivants se sont profondément transformés au cours de l'évolution. Autant dire que l'essence de la vie, c'est le changement ou la nouveauté.
Mais cette définition récuse par avance toute connaissance scientifique du vivant : en effet, la science ne peut expliquer que les phénomènes qui se répètent et paraissent soumis à des lois constantes ; sans cela, elle ne peut élaborer de modèle théoriquegénéral.
Or, si le vivant est par définition nouveau, imprévisible, il ne peut s'expliquer par aucune loi .
Il est par essence inaccessible à la connaissance scientifique.Nous aboutissons ainsi à la conclusion suivante : il ne peut y avoir de connaissance scientifique du vivant.
Touteconnaissance scientifique est par définition une connaissance de l'inerte.
La finalité interne du vivant, sa capacité àcréer, bref, sa spontanéité sont inaccessibles à la science.
L'expression « connaissance scientifique du vivant » est contradictoire ; une telle connaissance est donc par définition impossible. 3.
Une connaissance impossible ? A.
Les spécificités du vivant Les positions extrêmes auxquelles nous venons d'arriver aboutissent cependant à une nouvelle contradiction : si la caractéristique essentielle du vivant (la vie) échappe à la connaissance, comment la biologie peut-elle avoir unobjet spécifique ? Comment arrive-t-elle à distinguer le vivant de l'inerte ?Il existe des processus qui n'appartiennent qu'au vivant , permettant à la fois de le reconnaître comme tel et de le distinguer de l'inerte.
Ils sont observables empiriquement et sont multiples : le plus important est lareproduction, mais on en compte d'autres comme le métabolisme (séparation entre un milieu intérieur et un milieuextérieur d'où l'être vivant tire sa subsistance), la synthèse des protéines, la chaîne de l'ADN.
L'ensemble de cesprocessus définit les spécificités du vivant.
C'est pourquoi l'on peut parler sans contradiction d'une connaissance du vivant , au sens d'une connaissance des processus qui n'appartiennent qu'à lui. La contradiction de notre deuxième partie entre connaissance et vie paraît alors s'évanouir : en effet, la sciencen'assimile le vivant à l'inerte que parce qu'elle explique leurs processus par les mêmes lois physiques et chimiques.Mais elle reconnaît parallèlement des différences profondes entre les deux domaines, différences qui interdisenttoute confusion.
Il y a donc bien une connaissance scientifique du vivant , si l'on définit le vivant par certains critères empiriques qui lui sont spécifiques.
Il faudrait alors plutôt parler de connaissance spécifique du vivant.
B.
Science de la vie ou science du vivant ? En définitive, nous avons rencontré au cours de notre travail trois significations différentes pour le même terme« vivant » ; et à chaque fois, la réponse à notre question variait avec la définition même du mot .
Le vivant, c'est d'abord l'ensemble des êtres vivants ; dans ce cas, il existe de fait une connaissance scientifique de ces êtres: la biologie.
Mais le vivant c'est aussi la vie, dont la définition paraît incompatible avec toute connaissancescientifique.
Enfin, certains critères empiriques permettent de définir le vivant dans sa spécificité, en référence àl'expérience, et de parler à bon droit d'une connaissance scientifique du vivant.
Mais une remarque importantes'impose : la notion de vie reste une notion problématique , au sens où elle ne peut être définie avec exactitude.
Les deux définitions de la vie (finalité interne, nouveauté) renvoient à des caractéristiques quiéchappent à la connaissance ; et définir la vie comme la capacité de produire du nouveau, c'est en quelque sorteavouer que l'on ne sait pas ce qu'est la vie.
Il est d'ailleurs significatif que les recherches sur l'origine de la vie nepuissent pointer du doigt le moment précis de son apparition, et tendent à établir une sorte de continuité entrel'inerte et le vivant..
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