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« Un voyage, c'est trois voyages, trois étapes de la pensée : c'est d'abord ce qu'on a désiré, pressenti et, malgré soi, avant le départ, appelé; c'est sur place les choses vues. Et puis c'est, après le retour, ce que nous retenons, ce qui est vraiment demeuré en nous d'une telle expérience. » Que pensez-vous de cette définition du voyage donnée par Maurice Barrés ? Lequel de ces trois voyages présente le plus d'attrait ?

Publié le 31/03/2009

Extrait du document

Introduction. — Tandis que l'animal est confiné dans le présent, l'homme, s'abstrayant de l'instant actuel, peut revivre son passé par la mémoire et imaginer son avenir. Aussi toutes ses actions de quelque importance l'occupent-elles longtemps avant qu'il les exécute et longtemps après qu'elles ont été accomplies. C'est en particulier le cas d'un voyage dont Barrés a dit que «c'est trois voyages«. Arrêtons-nous à chacune de ces « trois étapes de la pensée «. Ensuite, nous tâcherons de voir laquelle des trois présente le plus grand attrait.

I. Les trois voyages. — Il n'est pas nécessaire, pour analyser les activités complexes mises en jeu chez le voyageur, d'imaginer ou de se rappeler quelque long périple autour d'un continent ni même un voyage en pays étranger; surtout pour des jeunes qui ne sont pas encore blasés, il suffit d'un déplacement de médiocre importance qui fournisse l'occasion de voir quelque chose de nouveau. Aussi nous contenterons-nous, au cours de notre analyse, de songer à la quinzaine ou au mois qu'une famille citadine va passer, pendant les vacances, loin de la ville.

« détails.

C'est ainsi qu'une jeune fille jugée charmante paraîtra adorable quand, un mois plus tard, on revivra enimagination les premières rencontres.C'est donc bien trois voyages que comporte un unique voyage, et tous les trois contribuent efficacement au plaisirdu voyageur; mais quel est celui des trois qui présente le plus d'attrait? II.

Quel est celui qui présente le plus d'attrait ? — La question semble claire, et cependant elle reste amphibologique.

Tenant pour indiscutable que l'homme n'est attiré que par le plaisir, nous comprenons tout d'abordqu'il s'agit de déterminer auquel des trois voyages nous prenons le plus de plaisir.

Mais, à la réflexion, nous voyonsvite que le plaisir n'est pas l'attrait et que l'attrait des choses ne se mesure pas exactement au plaisir qu'elles nousprocurent.

C'est pourquoi nous répondrons à la question en nous plaçant successivement au point de vue du plaisiret au point de vue de l'attrait. A.

Le plaisir.

— a) Nous commençons par éliminer le voyage tel qu'il s'effectue au jour ou à la minute : ce n'est paspendant le voyage qu'on éprouve le plus de plaisir, mais avant et après.

Nous avons déjà suggéré pourquoi.

La vuedirecte des personnes et des choses rend impossibles les embellissements de l'imagination; bien plus, la rapiditéavec laquelle se succèdent images, paroles et événements empêche d'en prendre une conscience bien nette.

Danscette bousculade, on ne saurait atteindre au plaisir sans nuage que procure le souvenir ou l'attente.b) C'est donc avant ou après le voyage qu'on jouit le plus du plaisir de voyager.

Mais auquel de ces deux momentsdu voyage intégral convient-il de donner la palme ? Devant cette question, nous sommes fort embarrassés et il noussemble que la réponse doit varier suivant les tempéraments.

Personnellement, c'est le temps qui précède le voyagequi nous semble le plus agréable.

En effet, on en revient toujours avec quelque déception : la réalité resteinévitablement au-dessous de nos rêves.

Avant le départ, au contraire, au moment où s'ébauchent les projets,aucun regret ne vient assombrir les spectacles qu'on se promet; ce n'est même pas un unique voyage que l'on fait,mais de multiples voyages, et les plaisirs qu'on en escompte s'additionnent et se multiplient. B.

L'attrait.

— Si nous considérons l'attrait, nous devrons inverser notre réponse.a) Ce n'est pas l'avant ou l'après du voyage qui attire, sinon nous nous contenterions de préparer indéfiniment desvoyages que nous ne ferions jamais et de passer le reste de nos jours dans le rêve d'un rêve.b) Nous sommes attirés par le voyage lui-même.

Au retour d'une grande randonnée, le voyageur ne s'attarde à larevivre que s'il y est forcé : le souvenir du voyage effectué n'accapare son imagination que s'il n'a pas d'autre sujetqui le captive.

S'il a la possibilité de s'évader de cette existence monotone dans laquelle on vit de souvenirs, ilprojette une nouvelle équipée et, loin de s'attarder aux préparatifs dans lesquels cependant on trouve tant deplaisirs, il hâte le départ.

L'attrait est donc bien dans le voyage et non dans les moments qui le précèdent ou qui lesuivent.

C'est voyager qu'on désire, et non projeter des voyages ou se souvenir de les avoir effectués. Conclusion. — Cette analyse des différents moments du voyage nous a ainsi amenés à faire deux remarques générales sur notre vie psychique-Tout d'abord, les plus purs et les plus élevés de nos plaisirs sont dans la pensée.Ensuite, le grand ressort de l'action n'est pas le plaisir, mais l'action elle-même à laquelle on n'hésite pas à sacrifierses plaisirs.

C'est que l'homme n'est jamais achevé : il est toujours en train de se construire.

De là ce besoinincoercible d'agir, qui dégénère, quand il est mal dirigé, en cette agitation vaine du voyageur toujours sur les routesà faire une surabondante récolte d'impressions, mais incapable de s'imposer les loisirs nécessaires pour engranger samoisson.. »

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