Un objet technique peut-il être une oeuvre d'art?
Publié le 05/01/2005
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Il s’agit tout d’abord de savoir ce qu’il faut entendre par objet technique. Est-ce simplement un tournevis, une voiture, un écran de télévision, une machine-outil ? L’objet technique est la plupart du temps assimilé à un objet purement utilitaire dont la seule visée serait d’être un outil, un instrument à destination précise voire spécialisée et reproduit en grand nombre. Au contraire l’œuvre d’art serait inutile, rare, unique, faite à la main, exposée dans un musée ou autre structure culturelle, elle n’aurait pas de visée spécifique autre que le plaisir esthétique et artistique. Aux premiers abords ces deux types d’objets semblent radicalement différents, comment réussir à transformer un objet technique en œuvre d’art ? Ces objets techniques dits artistiques sont-ils vraiment des œuvres d’art ?
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Il s'agit tout d'abord de savoir ce qu'il faut entendre par objet technique.
Est-ce simplement un tournevis, une voiture, un écran detélévision, une machine-outil ? L'objet technique est la plupart du temps assimilé à un objet purement utilitaire dont la seule visée seraitd'être un outil, un instrument à destination précise voire spécialisée et reproduit en grand nombre.
Au contraire l'œuvre d'art serait inutile,rare, unique, faite à la main, exposée dans un musée ou autre structure culturelle, elle n'aurait pas de visée spécifique autre que le plaisiresthétique et artistique.
Aux premiers abords ces deux types d'objets semblent radicalement différents, comment réussir à transformer unobjet technique en œuvre d'art ? Ces objets techniques dits artistiques sont-ils vraiment des œuvres d'art ? 1) L'aspect faussement artistique du design.
Ce qu'on appelle l'art appliqué est apparu en Angleterre dès le XIXe siècle, puis en France.
Il trouve leur forme moderne, non seulementdans les variations sérielles de l'art dit technologique, mais plus radicalement dans le design et son idéologie fonctionnaliste.
Alors que leXIXe siècle reprenait les faits techniques et industriels au compte du pittoresque, l'art technologique et surtout le design procèdent à unesorte de réduction du beau à la fonctionnalité technique.
Il serait tout à fait erroné de ne voir là qu'un phénomène de goût.
À cet égard,l'esthétique fonctionnaliste du design est en quelque sorte exemplaire.
Elle ne pose que la production industrielle satisfait toujours mieuxdes besoins toujours plus diversifiés.
Cependant le calcul rationnel de l'utilité est censé ne pouvoir s'accomplir que par l'adéquation de laforme à la fonction : par là, l'objet utile atteindrait à une plénitude et à une exactitude de son sens qui constituerait sa beauté.
En réalité,l'esthétique industrielle poursuit une double fin inavouée.
Réduisant la forme de l'objet à signifier sa fonction utilitaire et son efficacitétechnique, elle tend à interdire les investissements personnels et les rapports symboliques dont l'objet esthétique (et aussi l'objetartisanal) était le lieu.
D'autre part, elle réduit l'évolution de ses formes au jeu aux nécessités économiques du marché, entretenue parune prétendue mode.
Par sa nouveauté toujours renouvelée, et d'ailleurs aussi par sa cherté, l'objet design joue le rôle d'un modèle.Mais c'est toujours un modèle éphémère, en fait inaccessible ou irréel.
En réalité c'est un modèle illusoire, qui est en réalité soumis auxlois de la production en série dès le stade de sa conception.
En vérité, l'objet design n'est en rien artistique mais seulement un produit del'industrie à l'heure de la mode et des caprices du marché.
Il s'agit d'une reproduction à l'infini d'un même modèle tellement éphémèrequ'il n'existe plus.
2) L'esthétique de l'industrie ? À la fin du XIXe siècle, on se rendit compte que notre environnement n'était plus composé d'objets artisanaux mais d'objets industriels, etqu'il fallait donc trouver les moyens de donner à ceux-ci les qualités humaines de ceux-là.
Étant donné la situation spirituelle de l'époque,dominée par la bourgeoisie et le socialisme post- romantiques, il était normal que ce surcroît fût entendu comme « beauté », et que cettebeauté fût cherchée dans une correspondance, sinon avec les formes, du moins avec les mouvements de la nature.
Dans les Arts and Crafts et le Modern Style , les matériaux industrialisés s'attachèrent, selon le vœu de William Morris, à réaliser des objets « aussi naturels, aussi charmants que le champ vert, la rive du fleuve ou le silex de la montagne ».
Encore en 1934, dans Technique et civilisation , Lewis Mumford vantera certaines machines en rapprochant leur allure de celle de l'oiseau, du poisson ou de la plante.
Par la suite, lemouvement Bauhaus né après la première guerre mondiale en Allemagne estime que réduire la machine à un moyen de produire plusvite et à moindres frais des formes ancestrales, c'est ne pas avoir saisi la révolution de structures qu'elle comporte.
Pour Gropius,l'industrie introduit un ordre nouveau.
Elle engendre un univers composé d'éléments selon des combinatoires, et cela quant à la ligne, lacouleur, la construction, la fonction, le maniement.
Il y a d'ailleurs un rapport intrinsèque entre combinatoire et élément : plus l'élémentest pur, plus la combinatoire est riche, et réciproquement.
On voit ainsi ce que le Bauhaus entend par fonction : non pas la simpleadaptation à des fins utilitaires, mais la capacité pour un système d'éléments (un objet) de renvoyer à d'autres, de s'y articuler, de s'ysubstituer, de leur faire signe, de les signifier Le terme de beauté n'est pas rejeté mais redéfini : plus les objets sont fonctionnellementriches, plus ils constituent des systèmes ouverts et commuables, et plus ils sont « beaux ».
Les conséquences culturelles de ceprogramme sont incalculables.
Tous les objets du monde, espère-t-on, vont s'harmoniser, puisqu'ils s'obtiendront à partir des mêmeséléments.
Les hommes s'harmoniseront aussi, puisque créateurs et ouvriers travailleront les mêmes données avec les mêmes moyens.Plus radicalement : le réel n'est plus un ensemble de substances, mais de relations ; la forme cède le pas à la structure.
Lefonctionnalisme bien compris ouvre le XXe siècle.
3) La récupération de l'esthétique technicienne par l'industrie.
Le Bauhaus n'avait pas tenu compte du désir du client.
Au lendemain de la grande crise de 1930, le Design américain fut contraint dedécouvrir que ce désir est un facteur de l'objet industriel nécessairement produit en masse.
Mais, pour des raisons de profit, conjuguéespeut-être avec les restes d'une idéologie autoritaire, il chercha surtout à conditionner ce désir.
La laideur se vend mal », dit le titre traduitd'un de ses ouvrages ; ce qui implique que la « beauté » devra être telle qu'elle se vende bien, qu'elle soit à la fois, peut-on penser,assez fade et assez prétentieuse pour séduire l'acheteur, pour satisfaire ses besoins de sécurité et de puissance.
Mais, afin que laproduction perdure, afin que la demande se renouvelle, il faut que la « beauté » varie, sans pourtant entraîner de trop coûteuxchangements de la chaîne de montage : la mode est ce vieillissement superficiel et non technique.
Enfin, « il est inutile qu'un objet soitbeau si on ignore qu'il l'est » : la publicité a pour office de proclamer la « beauté » et la mode, et d'y sensibiliser le client.
On eut l'idée derecouvrir les organes multiples des machines à coudre, des réfrigérateurs, des automobiles, non seulement leur donnent un carénage quiflatte le goût du vulgaire, mais produisent une simplification formelle qui peut contribuer à rendre les groupements d'objets plus lisibles,donc plus signifiants, plus humains.
De même, la mode répond à une nécessité de l'industrie : un message répété finit par endormir ; unproduit, pour continuer à être perçu, doit varier ; dans l'artisanat ancien, la variation résultait suffisamment du tour de main pour qu'on nedût pas changer souvent le modèle.
L'objet industriel ne peut varier qu'en modifiant son design ; et comme ce renouvellement ne sauraità tout coup supposer des transformations profondes de la chaîne de montage, force est qu'il joue des apparences : telle est la mode.Quant à la publicité, ce n'est pas qu'une source d'abrutissement ; le Design a entrevu qu'elle faisait littéralement partie de l'objet.
Le butde toute production devait être de satisfaire les besoins et les aspirations réels de l'homme : les designers n'avaient pas à gaspiller leurtalent dans l'aménagement de sièges de W.-C.
recouverts de vison ou dans la mise au point de séchoirs électriques pour vernis à ongles.Dans cette perspective, la fonction de l'artiste n'était pas de s'exprimer soi-même, il lui fallait créer des objets harmonieux au service deshommes.
Par ailleurs, des millions de personnes, sur plusieurs continents, manquant des outils et des ustensiles essentiels, les designersdevaient aussi se soucier de ce champ d'activité.
Conclusion.
Un objet technique, s'il veut garder sa valeur technique ne peut être entièrement assimilé à une œuvre d'art au risque d'être que cettedernière.
Pour rendre artistique les objets techniques, notre époque a inventé le concept de design.
En d'autres termes, les objetstechniques sont « artialisés » pour que leur forme soit adéquate à leur fonction.
Il ne s'agit plus vraiment de beauté mais de lamatérialisation d'une réflexion sur la forme des objets qui n'empêche en rien leur production industrielle et une production rentable parceque calquée sur les goûts du public et de l'époque.
On ne peut, dans ce cadre, qualifiée notre nouveau réfrigérateur d'œuvre d'art, ninotre nouvelle voiture, comme tout objet possédant une fonction dans notre vie quotidienne.
Sauf exception, d'objets exposés en galerieou au musée..
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