Un monde gagné pour la technique est-il perdu pour la liberté ?
Publié le 27/02/2008
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Analyse:
-La technique peut être définie comme un ensemble de processus et d'objets qui, par opposition aux objets naturels, sont produits artificiellement par l'homme. -La liberté, quant à elle, est une capacité qui consiste, pour un être, à pouvoir déterminer soi-même ses faits et gestes. -Technique et liberté sont donc deux notions de nature hétérogène (ensemble d'objets du monde/ capacité inhérente à un type d'être), ainsi elles semblent d'abord sans rapport l'une avec l'autre. Par exemple, si nous accordons la liberté à l'homme parce qu'il possède une conscience et que nous la nions chez l'animal parce qu'il ne possède pas une telle conscience, alors il semble que l'homme soit libre aussi bien dans un monde naturel que dans un monde modifié par la technique et que l'animal ne le soit pas, tant dans l'un que dans l'autre. -Cependant, la formulation du sujet nous suggère au contraire que le monde est un terrain de conflit entre la technique et la liberté, où la victoire de l'une entraînerait la défaite de l'autre. La technique et la liberté sont considérées comme deux puissances cherchant à régir le monde. Un conflit est alors envisageable au sens où le règne des lois de l'une sur le monde empêcherait le règne des lois de l'autre. Problématique: Pour penser le rapport entre la technique et la liberté, devons-nous les concevoir comme deux notions de nature hétérogène? La technique pourrait alors coexister sans conflit avec la liberté, voire elles pourraient s'enrichir mutuellement. Ou bien doit-on les concevoir comme deux puissances en conflit dans leur volonté de régir le même objet, à savoir notre monde? Le progrès de la technique irait alors de paire avec une dégénérescence de la liberté et la préservation de cette liberté impliquerait le frein du progrès technique.
- I) Un monde gagné par la technique n’est pas un monde perdu pour la liberté, au contraire technique et liberté sont complémentaires et s‘enrichissent l‘une l‘autre: la liberté est le fondement de la technique et la technique est l’outil de la liberté. Si combat il y a, il doit plutôt être pensé comme combat de la liberté et de la technique alliées contre le déterminisme de la nature.
- II) Un monde gagné pour la technique est un monde perdu pour la liberté: la liberté se perd dans un développement technique qui finit par la dépasser et l’annihiler.
- III) La technique est un moyen neutre qui peut être utilisé par la liberté de manière profitable ou nuisible.
«
les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé […] » La nature ne se contemple plus, elle se domine.
Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à l'homme pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur ». Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle de la technique.
Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut s'appliquer dans une technique.
La technique n'est plus un art, unsavoir-faire, une routine, elle devient une science appliquée. D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos artisans ».
Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres ».
Il n'est pas indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.
On connaît comme on agit ou on transforme, et dans un même but.
La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert àl'action de l'homme, dans son propre intérêt.
Connaître et fabriquer vont de pair. D'autre part, il s'agit « d'inventer une infinité d'artifices » pour jouir sans aucune peine de ce que fournit la nature.
La salut de l'homme provient de sa capacité à maîtriser et même dominer techniquement, artificiellement la nature. Ce projet d'une science intéressée, qui doive nous rendre apte à dominer et exploiter techniquement une nature désenchantée est encore le nôtre. Or la formule de Descartes est aussi précise que glacée ; il faut nous rendre « comme maître et possesseur de la nature ».
« Comme », car Dieu seul est véritablement maître & possesseur.
Cependant, l'homme est ici décrit comme un sujet qui a tous les droits sur une nature qui luiappartient (« possesseur »), et qui peut en faire ce que bon lui semble dans son propre intérêt (« maître »). Pour qu'un tel projet soit possible, il faut avoir vidé la nature de toute forme de vie qui pourrait limiter l'action de l'homme , et poser des bornes à ses désirs de domination & d'exploitation.
C'est ce qu'a fait la métaphysique cartésienne, en établissant une différence radicale de natureentre corps & esprit.
Ce qui relève du corps n'est qu'une matière inerte, régie par les lois de la mécanique.
De même en assimilant les animaux à desmachines, Descartes vide la notion de vie de tout contenu.
Précisons enfin que l'époque de Descartes est celle où Harvey découvre la circulation sanguine, où le corps commence à être désacralisé, et les tabous touchant la dissection, à tomber. Car ce qu'il y a de tout à fait remarquable dans le texte, c'est que le projet de domination technicienne de la nature ne concerne pas que la nature extérieure et l'exploitation des ressources naturelles.
La « philosophie pratique » est utile « principalement aussi pour la conservation de la santé ».
Le corps humain lui aussi, dans ce qu'il a de naturel, est objet de science, et même objet principal de la science.
« S'il est possible de trouver quelque moyen qui rende les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit lechercher. »La véritable libération des hommes ne viendrait pas selon Descartes de la politique, mais de la technique et de la médecine.
Nous deviendrons « plus sages & plus habiles », nous vivrons mieux, en nous rendant « comme maîtres & possesseurs de la nature ».
La science n'a pas d'autre but.
Transition: Le combat ici évoqué est donc plutôt celui de l'homme contre la nature.
L'homme dispose à la fois de la liberté et dela technique comme de deux armes qui s'enrichissent mutuellement.Cependant, nous avons conçu la technique comme un ensemble de processus et d'objets parfaitement passifs, dontla liberté pouvait disposer à sa guise.
C'est cette passivité qu'il nous faut maintenant remettre en cause.
Elle sembleen effet relever d'une conception naïve de la technique.
Celle-ci, une fois initiée par l'homme ne possède-t-elle passes lois propres et son développement autonome? Au quel cas, elle pourrait avoir un impact négatif sur la libertéhumaine qui ne ferait que se produire de nouvelles entraves.
II) Un monde gagné pour la technique est un monde perdu pour la liberté: la liberté se perd dans undéveloppement technique qui finit par la dépasser et l'annihiler.
- Par la technique, la liberté est prise à son propre piège.
Le progrès technique, même s'il est impulsé par l'homme,possède ensuite ses lois d'extension propre sur lesquelles nous n'avons plus prise.
Ainsi, la machine finit par ne plusservir l'homme, mais l'homme la machine.
Dans la Condition de l'homme moderne , Hannah Arendt relève le moment où nous sommes passés d'une technique qui libère à une technique qui asservit: la technique est un moyen deliberté quand elle permet à l'homme de réaliser un « opus » ou une œuvre.
L'Œuvre est un objet fini, qui a été conçudu début à la fin par un individu, comme une expression de sa liberté et de sa capacité à plier la matière à savolonté.
Le rôle de la technique est ici de faciliter la réalisation (le marteau pour le sculpteur, la boussole pour lecartographe, etc.).
Ce rôle s'inverse à partir du moment où l'homme ne réalise plus une œuvre mais exécute une« operatio » ou opération.
Un individu ne fait alors que reproduire de nombreuse fois la même tâche, qui n'est qu'unmoment dans la production d'un objet dont la totalité lui échappe.
L'exemple paradigmatique en est le travail à lachaîne en usine (cf Les Temps modernes de Chaplin).
Loin d'incarner sa liberté dans le monde, l'ouvrier est aucontraire au service de la machine qui lui impose sa loi et dont il ne maîtrise pas la finalité.- Le progrès technique nous dépossède de notre capacité à anticiper l'avenir et donc à le choisir librement.
En effet,la puissance de la technique est devenue telle que nous ne pouvons plus prévoir les conséquences futures de nosinventions d'aujourd'hui.
Une nouvelle technique lancée en génétique à des fins thérapeutiques aura peut être pourcause la destruction du patrimoine génétique humain.
Ainsi la technique nous échappe dans la durée, et lesinventions que nous produisons librement aujourd'hui nous soumettront plus tard en nous imposant leursconséquences imprévisibles.
C'est ce qu'affirme Jonas lorsqu'il écrit au chapitre 1 du Principe responsabilité que le développement technique devient un danger et ne doit pas être poursuivi systématiquement à partir du moment oùla puissance de la technique excède nos capacités prédictives, c'est-à-dire à partir du moment où nous seronssoumis à des conséquences que nous n'avons pu ni prévoir ni choisir.
Transition: Un monde gagné pour la technique est un monde perdu pour la liberté, au sens où un développement excessif de la.
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