Un criminel est-il responsable de ses actes ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
Ainsi la réflexion sur la question de savoir si et en quel
sens le criminel peut être tenu pour responsable de ses actes
requiert-elle avant tout de mettre en évidence les difficultés
inhérentes à l'imputation elle-même, puis de s'attacher aux
conséquences qu'entraîne, pour comprendre le fonctionnement de
la justice et du droit pénal, une prise en compte lucide de
ces difficultés.
*
Quand nous imputons à un monstrueux criminel, par exemple à un
assassin d'enfants ou à l'auteur d'un crime contre l'humanité,
que l'on traduit devant un tribunal international, la
responsabilité de ses actes, nous postulons par là même qu'il
s'est trouvé, à un moment ou à un autre, placé comme face à un
choix : il dépendait alors de lui, devons-nous penser, qu'il
pût faire ce qu'il a fait, ou s'en détourner.
Telle est en
effet précisément la raison pour laquelle nous pouvons
l'incriminer et lui demander de répondre de ses forfaits.
Or
cette représentation du rapport entre l'agent et son acte
correspond-elle à ce point à une évidence qu'il ne faille pas,
même dans des cas où nous avons des motifs aussi flagrants de
vouloir procéder à une imputation ouvrant sur l'application
d'une lourde peine, en discuter et en mesurer la légitimité ?
Aussi bien ce que les sciences humaines nous ont fait
apercevoir depuis leur naissance que certaines des plus
profondes interrogations philosophiques sur la liberté humaine
nous incitent en réalité à faire preuve sur ce point de
beaucoup de pondération.
D'un côté, nous avons appris, à travers les diverses
déconstructions de l'illusion du libre arbitre, à concevoir
que nul sujet humain n'est souverainement responsable de ses
actes.
Sa liberté de choisir d'agir ainsi plutôt qu'autrement
se trouve en effet largement hypothéquée par les
déterminations inconscientes, sociales ou psychiques, qui
pèsent sur sa volonté.
C'est là le point de vue qu'adopte
l'avocat, quand il plaide dans un prétoire l'irresponsabilité
de son client, ou quand il souligne du moins l'atténuation de
sa responsabilité.
En avançant des déterminations de ce type,
il tend à déposséder le criminel de son acte et à annuler la
liberté qu'il aurait eue de le commettre ou de ne pas le
commettre.
D'un autre côté cependant, il n'est pas certain non plus que
l'attitude qu'induisent à l'égard de la responsabilité les
déconstructions les plus radicales de la conception moderne de
la liberté soit ici la plus féconde, y compris pour le
criminel lui-même.
En psychologisant ou en sociologisant son
acte (en faisant du crime le simple produit de causes
psychiques ou sociales), on déculpabilise certes l'auteur du
crime.
Le criminel ne se pense plus seulement comme l'auteur,
au sens propre, du crime pour lequel il est jugé ; il
s'apparaît plutôt comme ayant été l'acteur, ou l'un des
acteurs, d'un vaste processus dramatique qui échappait à sa
volonté ou à ses intentions, et dont le crime a été le terme
non voulu.
On peut se demander toutefois si la représentation
qu'on l'incite ainsi à se forger de lui-même l'aide à se
2.
»
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