Un contemporain présente les livres comme de : « curieux parallélépipèdes de papier imprimé qui, pourtant, sont capables de nous donner les plus grandes joies, les émotions les plus fortes, ou aussi bien, de susciter notre colère ou notre mépris, notre haine même ». Retrouvez-vous votre expérience de lecteur dans ces réactions ? En évitant toute énumération, vous appuierez votre réflexion sur des arguments et des exemples précis. ?
Publié le 06/06/2009
Extrait du document
Plan adopté dans le devoir I. Le rapport à l'objet a) La bibliophilie b) Le beau livre c) L'objet sacralisé II. Le message a) Émotion dans la narration b) L'émotion vient de l'investissement affectif c) Réaction par rapport au contenu III. Le style a) Émotion esthétique b) Le matériau-mot c) Nouveau rapport à l'objet Devoir rédigé Avant d'être ouverts et d'être lus, avant d'être jugés sur leur contenu ou leur style, les livres sont d'abord des objets. A tel point qu'un contemporain les présente comme de « curieux parallélépipèdes de papier imprimé qui, pourtant, sont capables de nous donner les plus grandes joies, les émotions les plus fortes, ou, aussi bien, de susciter notre colère ou notre mépris, notre haine même «. Et il est vrai que c'est un curieux paradoxe que de constater combien, d'objets aussi simples, peuvent naître des réactions aussi fortes, qu'elles soient positives ou négatives. Mais ce paradoxe tient-il à l'objet lui-même, au contenant, ou à ce qu'il véhicule, qu'il s'agisse d'un message ou d'une forme ? Ce sont ces trois hypothèses que nous examinerons successivement.
«
Comment donc ce mélange d'encre et de papier acquiert-il un tel pouvoir ? Du fait simplement de son statut d'objet.Ponge, dans Le Parti pris des choses, redonne aux objets usuels, la pomme de terre, le cageot, une valeur oubliée :à contempler autrement l'objet que dans son utilisation courante, on lui découvre une insoupçonnable beauté.
Cetravail de récupération de l'objet quotidien avait déjà été entrepris par les peintres ou les sculpteurs, et Breton ledécrit avec délectation dans Nadja.
Or ce qui est valable pour une boîte de conserve – devenue flacon de parfumpour J.-P.
Gautier –, l'est aussi pour les livres.
C'est en tant qu'objet que le livre émeut, c'est de son statut qu'il tireson pouvoir.Mais un livre, c'est évident, n'est pas un objet quelconque : outre son extériorité, il possède un contenu, que celui-ci soit d'ordre artistique, informatif, philosophique, etc.
L'émotion contenue dans une boîte de cassoulet estgustative – en principe...
–, mais éphémère.
Celle du livre est d'un autre ordre, esthétique et durative.
***
Ouvrons cet objet particulier, et dégustons-le.
Si le livre peut susciter haine ou mépris, joie ou émotion, c'estévidemment et surtout dans le moment de la lecture.
Car en entrant dans la narration, s'il s'agit d'un récit, nousentrons dans le monde fictif des personnages, et nous vivons avec eux, nous ressentons avec eux.
Le roman « àl'eau de rose » procède bien sûr de cette identification du lecteur, qui pourra, en quelque sorte « par procuration »,vivre les aventures inouïes dont il rêve, et « aimer à loisir », comme aurait dit Baudelaire.
La tristesse, la joie, leslarmes et le rire, alterneront pour se terminer dans un bouquet final, d'ordinaire heureux...
Et si la qualité n'est pas lepropre de ce genre de romans, ce n'est pas du fait de ce fonctionnement de l'émotion, qu'on retrouve aussi dans lesrécits romantiques – René, de Chateaubriand, ou Graziella, de Lamartine, par exemple.
La poésie ou le théâtre nesont guère différents, qui visent aussi à susciter des émotions chez le lecteur : le principe même de la tragédie, etce depuis l'Antiquité, est de « purger les passions ».
C'est ce qu'on nomme la « catharsis ».
En montrant auspectateur des passions excessives, comme l'amour incestueux de Phèdre pour Hippolyte, ou le déchirement deChimène entre son père et son amant, le dramaturge prétend permettre aux passions – positives ou négatives...
–de s'épancher, de façon à ce qu'elles ne viennent pas troubler la vie réelle.L'émotion littéraire procède donc d'abord d'une identification du lecteur à ce qui est raconté.
Mais cetteidentification ne peut bien sûr avoir lieu que s'il y a narration.
C'est donc une émotion d'un autre ordre qui surgira,lorsque le contenu même du livre n'est pas narratif.
Ouvrons un ouvrage théorique.
Soit nous sommes en pleinaccord de pensée avec l'auteur, et c'est alors cette communion, parfois par-delà les siècles, qui va noussurprendre.
Plus qu'une communion, c'est la capacité de l'auteur de dire, clairement, ce que nous avons toujourspensé, mais jamais formulé, qui nous réjouira.
A l'inverse, que l'auteur accumule ce qui nous paraît non-sens etabsurdités : très vite, nous serons excédés, comme si ce minuscule morceau de papier valait tant d'énervement etde haine...
Or l'Histoire montre que le livre vaut au moins cela...
Pourquoi avoir condamné Les Fleurs du mal, si cen'est justement du fait du pouvoir du livre ? Le procureur de l'époque, jugeant l'ouvrage immoral, en fit retirer lespièces les plus osées : c'est donc bien qu'il accordait au livre un pouvoir réel.
De même, aujourd'hui, lacondamnation des Versets sataniques, de Salman Rushdie, relève d'une même logique, mais poussée à son comble,et rappelant les heures sombres des autodafés des années trente...Car, qu'il soit ou non narratif, le livre suscite toujours une réaction chez son lecteur.
Mieux, c'est là sa visée.
L'actemême d'écrire est d'abord acte de communication : c'est dire que l'auteur tente de faire passer, à travers sonouvrage, un message ou une émotion au lecteur.
Or ce dernier, dans son travail de lecture, réagit nécessairement àce que lui dit l'auteur, comme dans n'importe quel échange, dans n'importe quelle communication.
Mais commel'auteur n'est pas devant lui, cette réaction est différée.
On ne répond pas à Balzac ou à Virgile, mais on continuebien de réagir à la lecture du Père Goriot ou des Bucoliques...
On ne répond pas à Molière, mais on rit encore del'avarice d'Harpagon...
La réaction du lecteur n'est donc pas une réaction face à l'auteur, mais face au texte, et estdonc provoquée par des effets de texte.
A loisir, l'auteur pourra jouer du ton polémique –et il visera une réactiond'adhésion ou de colère –, du ton comique, tragique, etc.
Dès lors, on voit bien que l'émotion suscitée par le livretient tout autant de son contenu, dramatique ou grotesque, abstrait ou concret, etc., que de la façon dont cecontenu est formulé : en d'autres termes, il serait illusoire de séparer le fond de la forme, si l'on cherche la sourcede l'émotion que nous procure un livre.Pour une grande part, l'émotion vient bien d'un contenu donné, mais cette émotion restera limitée, ou extrêmementbanale, si à ce contenu ne correspond pas une forme adéquate.
***
Car l'émotion littéraire est avant tout une émotion esthétique : ne l'oublions pas, la littérature, au même titre que lapeinture ou la musique, est une forme artistique.
Dès lors, l'émotion produite par l'oeuvre d'art sera le résultat d'unecoïncidence entre le fond et la forme.
Parler de la jalousie, en soi, n'a rien d'exceptionnel : c'est donc qu'on ne peutréduire La Recherche du temps perdu à ce simple contenu, et que ce qui en fait une oeuvre d'art relève d'un styleparticulier, d'où surgit l'émotion.
Si un style artistique pouvait être défini, alors il serait à la fois répétable – n'importequi pourrait être Proust ! – et comparable – on évaluerait les mérites respectifs de Proust et de Céline, par rapport àce style idéal...
Or il n'en est rien, et ce qui fait la beauté d'une phrase, d'un vers, d'une oeuvre, échappe à toutetentative de définition.
Ce n'est donc que par défaut que l'on peut cerner l'origine de l'émotion : elle ne provient del'objet-livre que pour une part infime ; elle est liée de façon plus importante à un contenu, narratif ou non, mais nesaurait non plus y être réduite ; elle émane donc d'un mystère, qui est le mystère artistique même, variable suivant.
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