Traité de la nature humaine, Livre I : L'Entendement, Appendice au Traité de la nature humaine
Publié le 23/03/2015
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Je conclus, par une induction qui me semble très évidente, qu'une opinion ou une croyance n'est qu'une idée, qui diffère d'une fiction, non pas en nature ou par l'ordre de ses parties, mais par la manière dont on la conçoit. Mais quand je veux expliquer cette manière, je trouve difficilement un mot qui réponde pleinement à ce dont il s'agit, et suis obligé de recourir à ce que chacun éprouve pour lui donner une notion parfaite de cette opération de l'esprit. Une idée qui reçoit l'assentiment, nous l'éprouvons comme diffé¬rente d'une idée fictive que la fantaisie seule nous présente. Et cette différence, je m'efforce de l'expliquer par ce que j'appelle une force, une vivacité, une solidité, une fermeté ou une stabilité supé¬rieures. Cette diversité de termes, qui peut sembler si peu philoso¬phique, n'est employée que dans le but d'exprimer cet acte de l'esprit qui nous rend les réalités plus présentes que les fictions, leur donne plus de poids dans la pensée et plus d'influence sur les passions et l'imagination. Pourvu que nous soyons d'accord sur la chose, il n'est pas besoin de discuter sur les termes. [...] J'avoue qu'il est impossible d'expliquer parfaitement ce que l'on éprouve alors, cette manière de la conception. Nous pouvons utiliser des mots qui expriment quelque chose d'approchant. Mais son nom véritable, son nom propre, c'est croyance, terme que chacun comprend suffisamment dans la vie courante.
Traité de la nature humaine, Livre I : L'Entendement, Appendice au Traité de la nature humaine « (1740), A2, trad. Ph. Baranger — Ph. Saltel, éd. Flammarion, 1995, p. 377-378.
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Textes commentés 43
L'esprit peut-il vraiment n'être qu'imagination, et ses opérations les plus
sûres se rapprocher des fictions les plus délirantes
? Le pari est tenu d'une
philosophie sans a priori, théorie des facultés ou déduction transcendantale.
Ce que Hume nomme entendement ne doit être entendu que comme
«propriétés les plus stables et les mieux établies de l'imagination! », com
paraison d'idées entre elles (ou connaissance démonstrative) et fantaisie
réglée, système de croyances probables.
Au plan de leur contenu, il n'y a rien
de plus dans une croyance que dans une fiction ; sinon, justement, ce ne serait
pas une croyance mais une vérité démonstrative, liant les idées par leur
matière au lieu de les lier sans fondement, comme
le fait l'entendement dans
les inférences causales.
Leur manière seule les distingue : tandis qu'une
association fantaisiste, celle d'une montagne d'or, par exemple, n'a pas d'effet
sur les attentes et les prédictions de l'entendement, ni même sur les passions
(sauf pour un avare qui la chercherait, mais cela ne serait que faux jugement
et folie de sa part2), les liaisons régulières s'accompagnent d'une tonalité
particulière, pour laquelle Hume emploie le mot feeling3 : les idées
auxquelles on croit affectent l'esprit.
Cette force de conviction caractérise
l'idée vive qui, en raison de la coutume, reçoit de l'impression présente une
part de sa vivacité ; tout se passe comme si la répétition d'événements
semblables toujours contigus l'un
à l'autre, créait cet effet de vivacité.
Hume donne
à un tel phénomène le nom très courant de croyance.
De ce
fait, il forge un outil théorique destiné à lui servir dans l'explication d'autres
phénomènes que les inférences savantes, par exemple, la superstition,
entretenue grâce au soutien que les cultes donnent à ce mécanisme naturel,
mais aussi la croyance à l'identité personnelle, aux spectacles ou aux récits.
En dernière analyse, seule l'expérience effectivement constituée de
conjonctions constantes soutient la
« certitude morale» (c'est-à-dire
expérimentale) de nos croyances les plus probables, que l'on peut considérer
comme prouvées (mais non démontrées) et opposer aux fictions de
l'imagination, même quand ces dernières font l'objet
de croyances artificielles
et douteuses.
Concept cardinal, la notion de croyance, entendue comme
nommant un mécanisme de transfert
de vivacité, est donc une arme contre les
superstitions et les folies.
1.
TNH !, iv, 7, p.
360.
2.
Où l'on voit que la raison ne peut juger la passion, seulement les suppositions dont elle
s'accompagne, et opposer à la folie les leçons de l'expérience courante : voir notre chapitre sur la vie passionnelle.
3.
Mot difficile à traduire, étant donnée la concurrence des termes emotion, impression, affection,
sentiment dans les textes humiens.
Pour bien le comprendre, en tout cas, l'on n'oubliera pas que ta
feel signifie «éprouver», et particulièrement d'une manière tactile.
L'idée vive a pour l'esprit une
présence telle que l'on pourrait presque la toucher..
»
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