Toute science est-elle nécessairement déterministe ?
Publié le 12/01/2004
Extrait du document
Admettre le hasard, c'est reconnaître une contingence, une indétermination dans la Nature où l'effet et la cause ne coïncident pas. Ce qui est incompatible avec l'idée d'un ordre dans la nature. Mais, on ne considère le hasard comme destructeur de l'ordre dans la nature que par préjugé. On croit que le futur doit ressembler au passé, comme si la nature était statique.
«
Enfin, cette vision, qui est celle que les contemporains de Galilée reçoivent d' Aristote , interdit que l'on fasse de la physique mathématique.
La physique s'occupe des corps concrets & naturels.
La mathématique s'occupe d'objets abstraits.
On ne trouve pas sur Terre d'objets parfaitement sphériques comme ceux qu'étudient les mathématiques, on ne trouve pas dans la nature où tout est en trois dimensions de cercle censé se situer dans un espaceà deux dimensions, puisque le cercle mathématique n'a pas d'épaisseur.Avec les découvertes de Galilée , tout change.
Galilée est le premier à avoir l'idée de pointer la lunette récemment découverte sur le ciel.
Il découvre des tâches solaires, des volcans et des cratères lunaires, et montre que la voie lactée est faite de milliers d'étoiles.
C'est donc que le monde supralunaire n'est pas parfait, immuable, incorruptible.
Ces cratères et ces tâches sont le signe qu'il y a changement, génération & corruption partout dansl'univers.Galilée est le premier à formuler correctement la loi de la chute des corps, à calculer le rapport de la distance parcourue par un objet qui tombe, le temps de la chute et sa vitesse.
Il montre alors deux choses : Ø Il n'y a pas de lieu naturel des corps, la notion de mouvement est relative à la place et au mouvement de celui qui observe.
Par exemple si un marin en haut d'un mât laisse tomber une pierre sur le bateau, il verra la pierretomber en ligne droite.
Mais un observateur sur un pont verra la pierre tomber suivant une parabole.
Ou encore si je suis dans un train, j'ai l'impression d'être immobile et que les objets hors du train se meuvent ;Ø On peut exprimer le mouvement des corps et prévoir leur chute grâce à une formulation mathématique.
Les mathématiques peuvent servir de « langage » pour décrire la réalité concrète des corps physiques.
Enfin, Galilée en vient à soutenir que Copernic avait raison : la Terre n'est pas au centre du monde ; elle n'est pas immobile.
C'est le soleil qui est au centre du monde, et la Terre tourne autour de lui et sur elle-même.
De plus, le monde n'est certainement pas fini, mais infini.
Avec toutes ces découvertes, c'en est terminé du monde tel que l'Antiquité puis le Moyen-Age se le représentaient.
Galilée ouvre une crise extrêmement grave : toute une vision du monde s'écroule.
L'homme perd sa place au centre du monde.
Il n'a plus de fonction définie au sein du monde hiérarchisé et fini : il est sur une planète comme une autre, perdu dans une infinité.
Il n'a plus de monde à imiter : la nature n'est plus qu'un livre froid,désenchanté, accessible à l'abstraction mathématique.Pour les anciens, le monde était « plein de dieux » (Héraclite ), pour les chrétiens médiéval, il chantait la gloire de Dieu par sa beauté, son ordre, sa perfection.
Pour les savants de XVII ième siècle, il est « écrit en langage mathématique », dans la froide abstraction des figures géométriques.
Il ne parle plus au coeur de l'homme, il ne l'entretient plus de la gloire de Dieu, il faut, au contraire, péniblement le déchiffrer grâce à la langue la plus rationnelle et la plus glacée qui soit : les mathématiques.
Un accusateur de Galilée le dira ; si celui-ci a raison, nous ne sommes plus le centre du monde mais « comme des fourmis attachées à un ballon » : des êtres insignifiants sur une planète comme les autres.Ce sont Descartes & Pascal qui tireront les conséquences philosophiques et théologiques de cette révolution dans les sciences.
Ce sont eux qui comprendront qu'il faut absolument redéfinir la place de l'homme dans ce monde infini et glacé où rien ne lui indique ni son lieu ni sa fonction.c) L'idée de loi et la notion de hasard.q L'idée de loi.Dans sa jeunesse, l'esprit humain est très ambitieux.
Les primitifs comme les enfants veulent connaître la cause, le principe créateur de tout ce qui est.
Ils voudraient répondre à la question pourquoi.
Parvenu à la maturité scientifique, l'esprit réduit ses exigences.
Il recherche seulement comment se produisent les phénomènes, autrement dit selon quelles lois, dans quel ordre. La loi est « rapport nécessaire entre des phénomènes ».
on a dit que l'idée de loi est « tombée du ciel sur la terre », ce qui signifie que l'idée de loi vient de l'astronomie.
C'est en effet dans le domaine de l'astronomie qu'on s'aperçut d'abord que les phénomènes se produisaient d'une façon ordonnée , régulière, ce qui permit de prévoir exactement certains phénomènes comme les éclipses.
Le génie de Galilée a consisté à introduire l'idée de loi en physique.
Galilée ne se demande pas pourquoi les corps tombent, mais comment ils tombent. A l'intérieur d'une relation « légale » entre deux phénomènes, la notion de cause retrouve un sens positif, un sens technique.
La cause c'est le phénomène sur lequel je dois agir pour produire un effet.
Si je donne une valeur déterminée à la « variable », une valeur déterminée de la « fonction » s'ensuit. La loi a une grande importance pratique et technique puisqu'elle permet de prévoir.
Elle rend l'univers intelligible puisqu'elle enchaîne les phénomènes dans un réseau d'équations mathématiques.
En nous permettant d'embrasser un grand nombre de phénomènes dans une formule simple, la loi réalise une précieuse « économie de pensée ». Mais la loi ne prétend pas apporter une intelligibilité totale.
Elle ne nous donne pas le secret des liaisons qu'elle exprime entre les phénomènes.
La science n'est pas une métaphysique.
Elle constate qu'il y a des relations constantes entre les phénomènes, elle s'efforce de traduire ces relations dans le langage mathématique le plus précis.
La science se contente de poser le principe du déterminisme qui revient à dire que « l'apparition d'un phénomène est strictement déterminée par des conditions d'existence bien définis.
Le phénomène ne se produit que si elles sont réalisées, mais alors il se produit nécessairement ». Le principe selon lequel les mêmes « causes » (au sens d'antécédents constants) produisent les mêmes « effets » paraît satisfaisant pour la raison (principe d'identité).
Cependant pourquoi tels ou tels phénomènes sont- ils liés entre eux par des lois ? Pourquoi tel phénomène est-il suivi de tel autre ? Parler d'une loi de la nature c'est admettre que la relation qui unit deux phénomènes est une relation nécessaire et non pas une simple coïncidence defait.Cournot« En général, une théorie scientifique quelconque, imaginée pour relier un certain nombre de faitstrouvés par l'observation, peut être assimilée à la courbe que l'on trace d'après une définitionmathématique, en s'imposant la condition de la faire passer par un certain nombre de points donnésd'avance.
Le jugement que la raison porte sur la valeur intrinsèque de cette théorie est un jugementprobable, dont la probabilité tient, d'une part, à la simplicité de la formule théorique, d'autre part, aunombre des faits ou des groupes de faits qu'elle relie, le même groupe devant comprendre tous les faitsqui sont une suite les uns des autres, ou qui s'expliquent déjà les uns les autres, indépendamment del'hypothèse théorique.
S'il faut compliquer la formule à mesure que de nouveaux faits se révèlent àl'observation, elle devient de moins en moins probable en tant que loi de la nature, ou en tant que l'esprity attacherait une valeur objective : ce n'est bientôt plus qu'un échafaudage artificiel, qui croule enfinlorsque, par un surcroît de complication, elle perd même l'utilité d'un système artificiel, celle d'aider letravail de la pensée et de diriger les recherches.
» q La notion de hasard. a) Pour le savant la notion de déterminisme équivaut en pratique à celle de prévisibilité.
Louis de Broglie nous dit que pour le physicien « il y a déterminisme lorsque la connaissance d'un certain nombre de faits observés à l'instant présent ou aux instants antérieurs jointe à la connaissance de certaines lois de la nature, lui permet de prévoir rigoureusement que tel ou tel phénomène observable aura lieu à telle époque postérieure ». b) On parlera de hasard pour désigner un fait qui échappe à tout pouvoir humain de le déterminer d'avance, un fait imprévisible, sans pour cela vouloir dire que le fait attribué au hasard est un fait sans cause.
Par exemple, j'aigagné un lot à la loterie nationale C'est un hasard.
Mais soulignons avec Vassails que « Loin de signifier l'absence de relations, de lois nécessaires, le hasard manifeste au contraire leur trop d'abondance, leur trop de complexité eu égard à nos possibilités pratiques d'information et de prévision. » Le hasard n'est pas la contingence, il se réduit à mon ignorance d'un déterminisme qui existe.
Et comme l'avait vu Spinoza , le hasard n'est pas l'absence de nécessité, mais l'ignorance de la nécessité.c) Cependant la science la plus moderne donnerait droit de cité, d'après certains, à la contingence.
Une partie du réel échapperait au jeu des lois naturelles.
L'hypothèse déterministe ne serait plus recevable à l'échelle de lamicrophysique.
Tandis qu'en mécanique classique la connaissance de la position et de la vitesse d'un mobile à l'instant t permet en principe de calculer la vitesse et la position d'un mobile à un autre instant, en microphysiqueon ne peut pas préciser simultanément la position d'un corpuscule et sa quantité de mouvement (la quantité de mouvement est le produit mV de la masse m du corpuscule par sa vitesse V).
Heisenberg a montré que si Dx est l'erreur sur la position du corpuscule et Dp l'erreur sur la quantité de mouvement, il existe entre Dx et Dp une relation dite d'incertitude telle que Dx.
Dp ³ h. Le produit des deux incertitudes est au moins égal à la constante universelle h.
Cette « incertitude » ne fait pas obstacle au déterminisme macrophysique parce qu'elle est à cette échelle « noyé dans la statistique », parce que la macrophysique opère sur des phénomènes qui mettent en cause des milliards de photons ou d'électrons.
Mais le microphysicien est incapable de déterminer la trajectoire des corpuscules individuels.
Il ne peut préciser laposition qu'en augmentant l'imprécision sur la quantité de mouvement et réciproquement.
Eclairer l'électron c'est troubler son mouvement en le bombardant avec des photons.
La position du corpuscule sera d'autant mieuxprécisée que la radiation lumineuse exploratrice aura une longueur d'onde plus courte, mais du même coup la fréquence est augmentée, donc l'énergie et la quantité de mouvement transmise au corpuscule étudié.
Le fait mêmede l'observation fait échec à l'observation du fait.
Mais si la position ou la vitesse d'un corpuscule ne sont pas exactement déterminables dans l'état actuel de la science, cela ne veut pas dire qu'elles soient indéterminées en elles-mêmes.
Le fait qu'on ne puisse fixer à lafois la position d'un corpuscule et sa vitesse ne nous autorise pas à dire qu'il n'y a pas de causes qui déterminent cette position et cette vitesse.
On nous rétorquera qu'en l'absence de toute possibilité de vérificationscientifique le déterminisme devient au même titre que l'indéterminisme une simple hypothèse métaphysique.
Mais le principe du déterminisme nous paraît au contraire lié à l'esprit scientifique qui ne saurait renoncer, sansse détruire lui-même, à affirmer qu'il existe des conditions nécessaires, des « raisons suffisantes » à l'apparition des phénomènes.
De grands esprits comme Langevin , Einstein , Plank n'ont pas cru devoir rejeter, à cause des difficultés de la microphysique, le principe du déterminisme.
De Broglie lui-même, après avoir soutenu que les incertitudes de Heisenberg sont « irréductibles », est devenu moins affirmatif : « La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? ». d) On pourrait cependant concilier la contingence et le déterminisme, admettre l'existence d'un véritable hasard qui ne serait pas seulement l'ignorance du déterminisme, tout en continuant à affirmer le principe dudéterminisme.
Il nous suffirait pour cela d'adopter la théorie de Cournot .
Nous pouvons l'exposer très simplement à partir d'un exemple concret.
M.
Dupont se lève de bon matin et va chez son dentiste ; sa sortie est déterminée : déterminisme pathologique (carie dentaire), déterminisme psychologique (confiance en le dentiste) , déterminisme social (l'heure du rendez-vous).
Dehors il fait une tempête déterminée par des conditionsmétéorologiques et d'ailleurs prévue.
Conformément aux lois de la mécanique le vent détache d'un toit une énorme tuile branlante.
La tuile selon la loi de la chute des corps.
Seulement et c'est ici qu'apparaît ce que Cournot nomme le hasard, la tuile tombe juste sur la tête de M.
Dupont.
Le hasard serait donc d'après Cournot le point de rencontre de deux séries de phénomènes dont chacune est déterminée mais qui sont indépendantes l'une de l'autre.
D'autre part il y a toute la série des événements qui aboutissent à la sortie de M.
Dupont (le mal aux dents, le rendez-vous), d'autre part l'enchaînement des faits qui déterminent la chute de la tuile à l'instant t.
Lehasard, c'est ici la rencontre d'un déterminisme psycho-patho-sociologique et d'un déterminisme météorologique et mécanique.e) Cournot fait donc une place à la contingence sans renier le déterminisme.
Toute la théorie repose sur l'idée que les séries de phénomènes déterminées sont indépendantes les uns des autres : si vous tombez malade juste le jour de l'examen vous direz que c'est un fâcheux hasard parce que le déterminisme administratif qui a fixé la date du bac et le déterminisme pathologique par lequel un virus attaque votre organisme sont indépendants l'un del'autre.
en langage leibnizien, on pourrait dire que dans chaque série causale l'ordre des successions est déterminé, les parties du temps sont liées entre elles ; les parties de l'espace au contraire, considérées comme l'ordredes coexistences, ne le sont point.
Affirmer le hasard, c'est pour Cournot nier la solidarité des séries causales. Certains objecteront à Cournot que les diverses séries causales peuvent n'être indépendantes qu'en apparence.
Par exemple, le mal de dent de M.
Dupont n'est peut-être pas indépendant de la tempête (il a été peut-être victime d'un refroidissement).
L'histoire de la science semble montrer que tôt ou tard des phénomènes que l'on croyait indépendants se révèlent interdépendants.
Passant à la limite, ne pourrait-on admettre le déterminisme universel telque l'exprimait Laplace : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces de l'univers et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le passé seraient présents à ses yeux .
» Mais Cournot répondrait que tout n'influe pas sur tout.
« Personne ne pensera qu'en passant la terre du pied il dérange le navigateur qui voyage aux antipodes ou qu'il ébranle le système des satellites de Jupiter.
».
»
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