TOUT HOMME A-T-IL DROIT AU RESPECT ?
Publié le 01/08/2005
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Le respect ne se commande pas, ce n'est pas une simple formule de politesse mais un affect, un sentiment. Il semble donc paradoxal de demander si tout homme a le droit au respect, les réserves faites sur les discours humanistes à visée universelle ne datent pas d'hier, ce n'est pas tant l'intention que l'efficacité, l'utilité de tels discours qui appelle la critique. Déjà Auguste Comte dénonçait l'universalisme de façade des droits de l'homme, en effet selon lui l'Homme en général n'existe pas, postuler une idée d'Homme universel c'est nier la dimension historique et culturel de chaque nation. Dans son Abécédaire Deleuze déclare que les droits de l'homme ne sont d'aucune efficacité contre les exactions et génocides qui sont commis, seul le droit, la jurisprudence et donc l'intervention réelle ont une valeur, les discours ne sauvant personne. III-Une société de contractants ? La question posée est caractéristique de notre société contemporaine, la notion de respect est « à la mode «. Elle s'inscrit dans une tendance générale de la société occidentale actuelle : celle de devenir une société de contractants. Cette remarque est défendue par Alain Badiou, désormais nous faisons des contrats pour tout (de mariage, entre maître et élève, entre citoyen et gouvernants, entre médecin et patients...). Il y a une clientélisation des rapports humains. Cette tendance est manifeste également dans l'évolution de l'argumentation publicitaire : le produit vendu est désormais tenu d'être garanti et son efficacité doit absolument être prouvée et quantifiée par des études sous contrôle d'huissier.
Quels sont les critères qui inclinent au respect ? Comment discriminer parmi les hommes ceux qui en sont indignes ? De quel droit s’autorise t-on à ne pas leur accorder notre respect ? Est-ce une question de bon sens ? Ne nous objecteras t-on pas que le respect est de droit pour tout homme ? Autant de questions soulevées par celle-ci : tout homme a-t-il le droit au respect ? La tension court entre la tentation de légiférer en partageant les hommes selon leurs qualités supposées et celle de souscrire à un humanisme universalisant qui accorderait de droit le respect à tout homme quel qu’il soit, même au criminel.
«
Nous reconnaissons que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité », comme le proclame la Déclaration universelle desDroits de l’Homme.
A ce titre chacun a droit au respect dû à la personne humaine.
Mais, d’un autre côté, comment respecter l’auteur d’un crime sordide, lemaniaque sexuel multirécidiviste, ou encore le tyran sanguinaire boucher de son peuple ? Méritent-ils autre chose que notre horreur et notre mépris ?On voit donc que la question : tout homme a-t-il droit au respect ? n’est pas simple.
Elle exige qu’on examine ce qui, dans un homme, est digne de respect.Deux conceptions sont ici à examiner : ou bien le respect est dû à la personne humaine, abstraitement et universellement, ou bien le respect doit êtreproportionné au mérite de chaque individu.
C’est une question importante parce que, de la réponse dépendent des conséquences politiques, juridiques etmorales très concrètes : peut-on considérer les gens comme un troupeau ? Un criminel a-t-il encore des droits ? C omment doit-on se comporter envers unennemi ? Entre autres.
Le respect est d’abord un devoir moral.
Il consiste, selon Kant, à reconnaître dans l’homme une personne, c’est-à-dire à le traiter comme « un êtreentièrement différent, par le rang et la dignité, des choses ».
Une personne est un être qui possède sa fin en lui-même, puisque, étant conscient et libre, ilpeut déterminer lui-même sa conduite et n’est pas simplement déterminé par les lois de la nature comme un chose.
C ette autonomie lui confère une valeur «infiniment au-dessus » de celle de la chose, qui n’a qu’une valeur de moyen pour une personne et « dont on peut disposer à sa guise » : valeur d’usage ouvaleur affective, ce que vaut une chose est relatif à un autre être qu’elle.
En revanche, la personne « ne peut être considérée seulement comme un moyen,mais toujours en même temps comme une fin ».
C ’est cela que signifie la notion de respect : reconnaître l’autre comme une liberté posée en face de lamienne, ayant exactement la même valeur et le même droit.
Respecter l’homme, c’est donc limiter volontairement sa liberté par égard pour celle de l’autre :« ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui ».Tout être humain possédant « le Je dans sa représentation », autrement dit possédant la conscience de soi et la Raison, est donc une personne et doit êtreà ce titre l’objet d’un respect absolu et inconditionnel.
On ne peut pas abattre un individu dangereux comme un animal féroce.
On ne peut pas acheter ouvendre une femme comme un objet, même précieux.
On ne peut pas parquer des vieillards comme du bétail.
On ne peut pas considérer un maladesimplement comme un cas pathologique, etc.
Mais en disant cela, on ne prend en compte dans l’homme que la personne universelle et abstraite, le Je identique en tout sujet conscient.
Or il convient dedistinguer non seulement entre personne et chose, mais aussi entre personne et individu.
Un homme, c’est aussi un moi individuel, c’est-à-dire un êtreconcret et singulier.
Un homme a un nom, une identité, il est né en telle année, à tel endroit.
Il s’est construit dans un environnement social et cultureldéterminé.
Il a eu ces parents-là et non d’autres, a reçu une plus ou moins bonne éducation, a été confronté à telle ou telle situation qui l’a marqué, etc.Nous sommes tous différents.
Et c’est justement parce que nous sommes libres comme personnes, que nous développons notre existence d’individus dansdes directions si différentes.
Bonnes ou mauvaises.Il faut donc se demander à présent ce qui dans le comportement d’un être humain « force le respect », comme on dit.
Pourquoi respectons-nous certainespersonnes plus que d’autres ?
Le respect doit maintenant être entendu, non plus comme un devoir, un impératif catégorique, mais comme un sentiment.
D’où vient ce sentiment ? Quelobjet le provoque et pourquoi ? Kant montre que respecter, ce n’est pas aimer, ni craindre.
C’est un sentiment en quelque sorte désintéressé.
En cela, ilressemble à de l’admiration, au sentiment un peu écrasant du sublime.
Le spectacle de la nature, par exemple « le ciel étoilé au-dessus de moi » peutprovoquer par son immensité cette impression.
A insi le respect a quelque chose à voir avec la prise de conscience de la grandeur, qui nous renvoie à notrepropre petitesse.
Mais Kant ajoute une distinction.
Dans le cas du respect, il s’agit de la grandeur morale, qu’on peut appeler noblesse ou dignité, et notrepetitesse signifie mesquinerie ou bassesse.
Ainsi le respect ne peut être ressenti que devant un être humain et non une chose.Mais quel être humain ? Un passant qui, au péril de sa vie, va sauver un parfait inconnu et qui s’éclipse au moment de la distribution des médailles ; uncombattant qui résiste aux pires tortures et se tait obstinément jusqu’à ce que ses bourreaux le tuent en désespoir de cause ; ou tout simplement cesanonymes si nombreux qui font leur devoir, tout leur devoir, même quand c’est difficile et qu’il n’y a rien à y gagner.
Voilà quelques exemples d’une conduitequi « excite en nous le sentiment de respect ».
Kant l’exprime ainsi : « Devant un homme […] en qui je perçois une droiture de caractère portée à un degréque je ne me reconnais pas à moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non ».
C elui qui produit cet effet sur nous est celui qui nous montre lagrandeur dont l’homme est capable et dont nous devrions nous montrer capables à notre tour.
Cette grandeur consiste tout simplement, si l’on peut dire, àfaire son devoir, au mépris de ses désirs ou de ses intérêts, à agir par pur respect de la loi morale, de façon parfaitement désintéressée.
C’est ce que Kantnomme la « bonne volonté », volonté ferme et constante de faire le bien, d’écouter sa conscience sans céder à ses penchants.
Ceux qui seuls méritent notrerespect sont donc les « hommes de bonne volonté ».
Nous voilà, semble-t-il, devant une aporie.
Nous avons vu précédemment que toute personne humaine en tant que telle est absolument respectable, et nousconcluons à présent que le respect doit se mériter par une conduite moralement pure.
Comment sortir de cette contradiction ?En examinant les deux conceptions en question, on voit que la notion de respect s’est développée dans deux directions bien distinctes : d’une part undevoir, d’autre part un sentiment.
Or un devoir n’a rien d’un sentiment.Le devoir de respect ne consiste pas à approuver, à admirer la conduite, mais seulement à ne pas considérer l’autre comme une chose, et cela même si jen’éprouve aucun respect pour cet individu.
Si bien qu’on peut, en ce sens, respecter un assassin ou un être dont l’acte nous fait horreur.
C ela consiste às’efforcer de faire taire ses sentiments pour juger l’homme avec équité, en lui reconnaissant le droit de s’expliquer et de se défendre.
Respecter la personnedans l’assassin, c’est considérer en lui être libre.
C’est aussi par conséquent le regarder comme responsable de ses actes – et donc, ici, coupable.
Unanimal, une chose, ce n’est coupable de rien.Il n’y a donc pas de contradiction.
Si l’on entend par respect la considération en autrui de la personne, tout homme a droit à ce respect.
Mais si l’on désignepar ce mot le sentiment que provoque en nous la dignité d’une conduite, alors le respect n’est pas toujours mérité.
L’aporie se résout : on peut respecter lapersonne sans respecter sa conduite.
On peut respecter un raciste sans respecter ses opinions.
Et dans ce cas, le respect impose même qu’on luimanifeste notre réprobation et qu’on tente de lui faire entendre raison, c’est-à-dire le convaincre d’écouter sa raison plutôt que sa haine.On objecte souvent à cette position humaniste l’argument selon lequel certains ont perdu tout droit à notre respect parce qu’ils se sont conduits en animauxet non en hommes.
Il est vrai que certains actes sont l’effet de pulsions si puissantes que la volonté semble avoir été débordée et balayée par la forceinvincible de l’instinct.
« C’était plus fort que moi ! » L’homme, dans ces situations, semble « emporté comme une chose ».Mais en réalité, l’homme peut-il cesser d’être un homme pour devenir une chose ? Pour Kant, aussi bas qu’il tombe dans l’abjection, même s’il ne se soucieplus d’écouter ce que lui dicte sa raison, ce « juge intérieur qui veille en lui sur les lois », même s’il se laisse entraîner sans résistance par ses passions àdes actes impardonnables, un homme demeure toujours une personne.
Il n’obéit plus à sa conscience, mais elle continue à parler en lui.
C’est pourquoi ilreste envers et contre tout un être libre, qui à chaque instant peut faire le choix de renoncer à son vice pour prendre le chemin de la raison et du bien.
Alors, finalement, tout homme a-t-il droit au respect ? La question revient à se demander si tout homme est une personne.
Or cela n’est pas prouvé.
Certesil y a de la personne en tout homme : une conscience, une liberté et un devoir.
Mais la personne n’est pas un acquis, c’est un horizon.
Nous devons nousefforcer d’être le plus pleinement possible des personnes.
Or nous nous laissons souvent aller à n’être que des choses.
Il est si aisé d’être une chose, desuivre ses impulsions.
Nous désirons souvent l’inconscience… C e désir en nous et les actes auxquels il conduit ne méritent pas d’être respectés.Mais si nous affirmons en l’homme cette possibilité toujours ouverte de la décision morale, ce pouvoir de ne plus s’abandonner à ses penchants et deremonter au contraire la pente, nous nous créons un devoir.
Dire : « Tu dois, donc tu peux », c’est parier sur l’homme.
C’est s’interdire de désespérer del’homme et de lui fermer à tout jamais le droit au respect..
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