« Tout écrivain dira donc : fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis » Barthes.
Publié le 12/02/2010
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Baudelaire nous livre dans son spleen une des clefs de l'écriture. C'est le verbe en lui-même qui est révélateur. Il PÈSERAIT donc à tout auteur. Mais quoi ? La vie, misérable ? La mort peut être, terrifiante ? Les autres, cet enfer - d'après Sartres ? Quoi qu'il en soit il semblerait que l'âme des auteurs pèse plus que les 21 grammes d'André Maurois. Barthes, adaptant la devise des Rohan, affirme dans Le Plaisir du texte que tous les écrivains peuvent s'accorder sur cet adage « fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis «. Ils ne peuvent donc être fous, ils ne daignent être sains, mais ils sont, et c'est ainsi, névrosés. On imagine très bien Barthes, homosexuel refoulé vivant chez sa mère, matraquer ce genre d'idée, mais on pourrait donc se demander en quoi la névrose est un moteur indispensable à l'écriture ? Nous verrons donc d'abord quelle est la différence profonde entre ces trois états et ainsi pourquoi le fou et le sain sont exclus de l'art d'écrire. Ensuite dans quelle mesure la névrose de présente comme un ressors de ce processus. Et dans une dernière partie nous nous demanderons si l'écriture ne peut pas trouvée de finalité déconnectée de la névrose.

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de ce qui est.
France souligne « Qui peut se flatter de n'être fou en rien ? » C'est peut être vers là qu'il faut allerchercher la définition du névrosé, celui qui ne serait ‘moitié fou moitié sain.'
Barthes affirme également « La névrose est un pis-aller […] mais ce pis-aller est le seul qui permet d'écrire ».Il est important de préciser tout de suite qui tout écrivain est névrosé, tout névrosé n'est pas écrivain, ce serait làomettre le style, le ton, le talent ; soit ce que Kant résumerait surement en : le génie.
Nous avons bien vu quecelle-ci est différente de la folie et de la santé, mais de quoi cette névrose est-elle l'expression ? En quoi lesouvrages de l'auteur sont-ils les produits de sa névrose ? En quoi l'acte d'écriture est-il un moyen d'échapper àcette névrose ?« Tout le monde ne peut pas être orphelin ! » s'exclame Renard, se figurant ainsi que l'enfant qui subit letraumatisme de naitre sans père ni mère est déjà porteur d'un quelconque espoir littéraire.
Et force est de constaterque les statistiques lui donnent raison, au vu du nombre impressionnant d'auteurs qui ont souffert le décès de leursparents - ou un seul, nous dirons que cela suffit - en bas âge.
La mère de Molière était saignée, alors que Rousseaucoutait la vie à la sienne ; remercions d'ailleurs celle sans qui Les Confessions ne serait peut pas ce qu'elles sont.
Ducoté paternel on trouve Dumas, Camus, Sartres… et bien sur Baudelaire qui lui en plus de supportera pas leremariage de sa mère avec le méchant général Aupick.
La liste exhaustive serait bien longue et, entre complexed'Oedipe, refoulé, retour du refoulé, Freud y trouverait bien son compte !L'amour peut également être un déclencheur de cette névrose.
Poncif peut-être pour les réalistes ou lesnaturalistes, les romantiques, eux, ne démentiraient point.
La majorité des poèmes de Musset sont l'expression decette ‘souffrance', emprise amoureuse :« Si je vous le disais, qu'une douce folieA fait de moi votre ombre, et m'attache à vos pas » (A Ninon).On retrouve bien ici « une douce folie », que l'on pourrait, pour notre sujet, rebaptiser névrose.Quoiqu'il en soit on croise souvent l'ombre d'un amour déçu au détour des ouvrages.
Parmi les exemples les plusévident on trouve Elle et lui de Sand ou la figure de Musset est tout à fait nette ; ou encore Le Lys dans la valléeavec celle de Laure de Berny.Chaque auteur possède donc sa propre névrose - comme un jardin à cultiver ! - et celle-ci semble être en générall'expression même d'un manque, soit un désir au sens philosophique.
Ecrire serait ainsi combler la page blanche.Portos est grand, Aramis est séducteur, Atos est noble et D'Artagnan et habile aux armes : avec Les Troismousquetaires, c'est son père que Dumas fait revivre.
Les exemples sont variés : après la mort d'Elvire, Lamartineécrit Les Méditations, après la noyade de sa fille Léopoldine, Hugo écrit Les Contemplations… Même si toutn'est pas aussi explicite que Demain dès l'aube, en s'intéressant un tantinet aux vies des auteurs on remarque quec'est en général une constante : écrire c'est tenter - vainement - de faire son deuil.
Et c'est là qu'on comprendmieux pourquoi le fou et le sain n'ont rien à dire.
Pourquoi les dieux ont-ils pris Eurydice à Orphée ? Pour qu'il puisseaccomplir son destin de plus grand poète de tous les temps.
Mais la mort ne suffit pas, il faut à cela ajouter laculpabilité pour que la névrose du lyriste se réveille vraiment et qu'alors sa poésie soit à son apogée.Il est ensuite essentiel de replacer l'½uvre dans son contexte historique pour faire apparaitre les déterminants deleur névrose.
Crevantes, par exemple, arrive à la fin du siècle d'or, il ne reste que la littérature.
Plus édifiants encore: les romantiques du 19ème sont nés pendant l'empire, leurs jeunesses sont bercées par les exploits de leurs pèressur les champs de bataille.
Mais une fois adultes, ils n'ont plus que la restauration.
Alors ils s'ennuient, ont le mal deleur temps : la phrase de Musset « je suis né trop tard, dans un monde trop vieux » pourrait être la devise de cettegénération sacrifiée.
On comprend ainsi pour l'auteur, frustré, l'écriture apparait comme un processus decompensation.On pourrait enfin noter que cette névrose peut être attribuée à la conscience particulière que l'auteur possède dumonde est de lui-même.
Voyage au bout de la nuit de Céline est représentatif de cette recherche d'un sens aumonde.
Et Hugo, dans son poème sur la dite « Conscience », explicite bien le fait que cette dernière nous suiventpartout, toujours, puisque jusque dans la tombe l'½il regardait Caïn.
Cela pourrait bien être cet ½il qui, à l'instar ducouvercle de Baudelaire, pèse sur l'auteur et le rend névrotique.Ecrire c'est donc combler un manque que la névrose nous pointe du doigt, ‘rectifier le tire'.
Car c'est bienelle qui va nous pousser à bout et faire de certains des géants.
L'auteur est un être à part, il est l'Albatros « égarésur le sol au milieu des huées » dont les « ailes de géants l'empêche de marcher ».
L'écrivain, comme l'oiseau, a tropd'envergure pour ce monde.
Et ce sont « ses ailes de géants », soit sa névrose pour Barthes, qui vont le pousser àprendre la plume.
C'est une pression terrible, à laquelle on ne résiste, quelque chose à rendre.C'est pourquoi certains, comme l'auteur de Bouvard et Pécuchet, ne s'arrêtent jamais : il reste toujours quelquechose en eux, quelque chose à vomir.
C'est aussi pourquoi certains à l'instar de Nerval se sont suicidés : mêmel'écriture n'était pas suffisante.
Et c'est enfin pourquoi certains n'ont écrit qu'une fois : c'était fini, il avait toutcraché, exorcisé, extériorisé.
C'est ainsi que l'officier Laclos, par ailleurs fin mathématicien, écrit Les Liaisonsdangereuses et n'écrit jamais plus.
Son ouvrage contient en fait ses frustrations militaires - n'avoir jamais pu fairevaloir ses qualités lors d'une guerre - mais aussi les nombreuses humiliations qu'il estime avoir subies au long de savie, de la part des vrais aristocrates.
Le livre apparait ici comme une sorte de revanche sur son monde mais surtoutcomme une thérapie, un remède à sa névrose.
Pour utiliser une comparaison douteuse, nous dirons qu'écrire c'estcomme presser un citron, plus ou moins gros.
Nous comprenons bien dans ce contexte, que le fou et le sain n'ontpas de citron.En effet l'écriture apparait comme le seul moyen pour le névrosé de s'exprimer.
Si certains grands pianistes sontaveugles, les écrivains pourraient bien être muets.
Les choses qu'ils ont BESOIN d'exprimer, s'exprime toutes dansleurs ½uvres, le reste est souvent superflu.
C'est avec des mots qu'il mène leur existence.
Dans cette optique,Duras dit « Ecrire c'est aussi ne pas parler, c'est se taire.
C'est hurler sans bruit ».
On pourrait alors dire que le fouhurle en faisant du bruit, et que le sain ne hurle même pas.Ainsi on la littérature est ressortie grandie des guerres mondiales.
Rhinocéros d'Ionesco - et la majorité des ½uvres.
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