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Tout ce qui est naturel a-t-il nécessairement une valeur ?

Publié le 27/02/2005

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S'il est vrai que les lois représentent la masse, elles ont une réalité qui ne lui est pas réductible. La vraie question est donc celle de la spécificité du politique : un ordre d'existence que son absence de répondant réel n'autorise pas à qualifier d'illusoire.Calliclès suppose que l'homme est un être sorti tout constitué de la nature, c'est-à-dire qu'il est un simple vivant, alors qu'il est le produit des lois. Il est donc absurde de considérer que les lois l'oppressent : elles le constituent comme sujet.L'égalité conditionne l'idée même de loi, à la fois parce qu'elle doit être la même pour tous et qu'elle effectue la forme même de la réflexion, puisque réfléchir revient à se poser soi-même comme un sujet indifférent c'est-à-dire juridiquement égal aux autres. La loi a la consistance de la réflexion, acceptée par le discours de Calliclès en tant que c'est un discours et non un pure violence.La cité, dit Aristote, exclut aussi bien ceux qui sont trop inférieurs (bestialité) que ceux qui sont trop supérieurs (les dieux, les héros), puisqu'il est impossible à l'individu moyen de se reconnaître en eux. Toute éducation a donc bien une dimension de dressage à la " semblance " (être le même que soi parce qu'on s'est soumis à ce qui rassemble les semblables) c'est-à-dire à la médiocrité. Cependant les dispositions exceptionnelles ne sont pas naturelles mais humaines (l'idée d'un gène de la musique, de la philosophie ou des mathématiques est absurde, puisque ce sont des réalités exclusivement culturelles) : les " dons " sont des attitudes envers le monde et surtout envers soi-même (une éthique) motivées par une situation en fin de compte toujours sociale. Dès lors si la vie commune peut parfois étouffer de grandes individualités potentielles, elle est cependant le seul lieu de leur possibilité.

POUR DÉMARRER    L'appartenance d'une chose à la nature, c'est-à-dire à ce qui existe spontanément en dehors de nous, en tant que milieu environnant donné, lui donne-t-elle systématiquement un prix, en fait-elle un idéal, une chose hautement désirée ou préférée ?   CONSEILS PRATIQUES    Ce sujet est rendu délicat par les différents plans d'analyse possibles : échanges, morale, esthétique, droit, etc. Il faut donc parfaitement cerner le sens des deux termes essentiels : valeur et naturel. Un plan de type progressif, explorant successivement les domaines les plus importants, paraît ici particulièrement adapté.   BIBLIOGRAPHIE    ARISTOTE, La Politique, Vrin.  NIETZSCHE, Le Gai Savoir, éditions de poche.  SARTRE, L'existentialisme est un humanisme, Nagel.

« rapport à la nature : c'est là non pas supprimer la culture, mais en changer.

L'exemple du naturisme, qui veutproclamer sa valeur naturelle en formant son vocable à partir du mot « nature », est révélateur : en effet la nuditén'est en rien rapport à la nature, elle est une attitude culturelle qui ne peut concerner que l'homme : les autresanimaux ne sont, eux, ni nus, ni habillés.c) La notion de nature n'a alors de valeur que dans la mesure où on projette sur elle, où on lui fait incarner de force,un certain nombre d'options culturelles.

Ainsi traitée, l'idée de nature devient une idiosyncrasie, c'est-à-dire uncomposé porteur de toutes sortes de valeurs, mais qui n'a plus rien de naturel au sens propre du mot.

Dans Par-delàbien et mal, Nietzsche fait un sort à ce type d'idiosyncrasie : « Vous voulez vivre "en accord avec la nature" ? Onobles stoïciens, comme vous vous payez de mots ! [...] Votre orgueil entend régenter jusqu'à la nature et luiinculquer votre morale et votre idéal » (§9).

La dénonciation est claire : l'emploi du mot « nature », la référence à lanature sont ici des impostures qui ne cachent qu'un orgueil déplacé : la valeur de la nature ne vient alors que denous, qui ressentons le besoin d'invoquer le label naturel comme un justificatif. II — La valeur opératoire de l'idée de nature a) La notion de nature, vidée de son sens, prend alors une valeur opératoire : elle devient un instrument, unenorme, quitte à être vide et introuvable.

Dans l'entreprise de Rousseau, par exemple, l'idée d'une nature favorable etsatisfaisant tous les besoins n'est guère cohérente d'un point de vue scientifique : mais précisément, ce n'est pas làsa vocation ni son rôle.

L'état de nature chez Rousseau est une hypothèse méthodologique qui permet de penser unétat social que Rousseau veut pouvoir critiquer.

La valeur de l'idée de nature est alors opératoire et normative.

Pluslargement, l'appel à la notion de nature est souvent révélateur de la recherche d'une caution, et l'emploi courant del'adjectif « naturel » en est l'illustration : quand nous disons d'une chose qu'elle s'est passée de façon naturelle,nous voulons souligner sa transparence, son caractère acceptable ; quand nous invoquons notre « nature » ounotre « pente naturelle », nous désignons la nature comme une cause implacable et donc comme une excuse : l'idéede nature fonctionne alors comme un secours ou une justification, ce qui la transforme en une culture qui ne veutpas dire son nom et qui ne s'engage pas.b) On peut aller ici jusqu'à retourner l'énoncé, pour répondre que c'est précisément ce qui a une valeur pour nousque nous avons tendance à appeler « naturel », comme pour nous excuser de décerner des valeurs et d'êtreintéressé : la nature ainsi comprise est le paravent de la culture, elle n'a de valeur que comme constructionculturelle.

Ainsi la phrase « c'est tout naturel », que je peux rétorquer à celui qui me remercie de lui avoir tenu laporte, signifie-t-elle en réalité : « c'est tout culturel ».

On peut alors parler d'un fétichisme de la notion de nature ;peut se définir en effet comme attitude fétichiste toute attitude qui consiste à conférer une valeur à une chose, àincarner cette valeur dans cette chose.

Donner cette valeur opératoire à la nature, construire cette idée de lanature comme fonds de justification universelle relève donc bien d'un fétichisme, qui consiste peut-être à confondrela notion de nature avec celle de vie : « Et à supposer que votre maxime "vivre en accord avec la nature" signifie aufond "vivre en accord avec la vie", comment pourrait-il en être autrement ? » (Nietzsche, Par-delà bien et mal). Conclusion Seul ce qui est culturel peut avoir une valeur : la nature ne prend donc de valeur qu'en tant que constructionculturelle. SUPPLEMENT: Le discours de Calliclès. "Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j'en suis sûr.

C'est donc en fonction d'eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu'ils attribuent des louanges, qu'ils répartissent desblâmes.

Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu'eux et qui peuvent leur être supérieurs.

C'est pour empêcherque ces hommes ne leur soient supérieurs qu'ils disent qu'il est vilain, qu'il est injuste, d'avoir plus que les autres etque l'injustice consiste justement à vouloir avoir plus.

Car, ce qui plaît aux faibles, c'est d'avoir l'air d'être égaux àde tels hommes, alors qu'ils leur sont inférieurs. Et quand on dit qu'il est injuste, qu'il est vilain, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s'exprime en seréférant à la loi.

Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice consiste en ce que le meilleur ait plus quele moins bon et le plus fort plus que le moins fort.

Partout il en est ainsi, c'est ce que la nature enseigne, cheztoutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités ! Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste. De quelle justice Xerxès s'est-il servi lorsque avec son armée il attaqua la Grèce (1), ou son père quand il fit laguerre aux Scythes ? Et encore, ce sont là deux cas parmi des milliers d'autres à citer ! Eh bien, Xerxès et son pèreont agi, j'en suis sûr, conformément à la nature du droit - c'est-à-dire conformément à la loi, oui, par Zeus, à la loide la nature -, mais ils n'ont certainement pas agi en respectant la loi que nous établissons, nous ! Chez nous, les êtres les meilleurs et les plus forts, nous commençons à les façonner, dès leur plus jeune âge,comme on fait pour dompter les lions ; avec nos formules magiques et nos tours de passe-passe, nous en faisonsdes esclaves, en leur répétant qu'il faut être égal aux autres et que l'égalité est ce qui est beau et juste.

Mais, j'ensuis sûr, s'il arrivait qu'un homme eût la nature qu'il faut pour secouer tout ce fatras, le réduire en miettes et s'endélivrer, si cet homme pouvait fouler aux pieds nos grimoires, nos tours de magie, nos enchantements, et aussi. »

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