Tout amour est-il passion ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
que la laideur de son nez ne fasse "qu'elle [lui] rie au nez".
Et n'est-ce pas son amour-propre qui lui fait révéler àRoxane, juste avant de mourir, qu'elle s'est endeuillée pendant quinze années inutilement car c'était lui qu'elleaimait, et non Christian? Cela semblerait alors profondément égoïste de sa part, et Roxane ne manque pas de luifaire remarquer: " Alors pourquoi laisser ce sublime le silence Se briser aujourd'hui?" " Je n'aimais qu'un seul être et jele perds deux fois!" Pourtant, cela prend sens avec la réponse de Cyrano: premièrement, il en est heureux car ellel'aimait, et s'il le savait déjà, il en a maintenant l'assurance.
Deuxièmement, lorsque Roxane lui dit "J'ai fait votremalheur", il lui répond "Vous?...
au contraire!".
En effet, lui à qui toute autre relation qu'épisodique et purementsexuelle semblait interdite du fait de sa laideur, a vécu l'amour en ce qu'il a de noble : il fit la cour à Roxane en sefaisant passer pour Christian, il la réconforta en la visitant régulièrement pendant les longues années du deuil decelui-ci.
Il reçoit donc par là la juste rétribution de cette relation en accomplissant réellement son amour et lebonheur qui va avec.
Troisièmement, si Cyrano a un coeur si grand, s'il est un tel poète, c'est de par son panache,inséparable d'une vie exaltée et donc passionnelle.
Et c'est donc logiquement qu'il est : "Cyrano de Bergerac, Qui futtout, et qui ne fut rien.", dans sa vie comme en amour, et il l'assume pleinement, révélant au monde la grandeur dela passion, de même qu'il révèle à Roxane la grandeur du véritable amour.
Cet amour va au-delà de l'amour propre, ilsemble plutôt être une modalité de l'amour du sublime, car quoi de mieux pour approcher ce sublime que l'exaltationde soi-même chez un homme qui y tend naturellement…On voit donc, au-delà de l'amour proprement passionnel, qu'il existe un fond passionnel dans l'amour véritable, maisla passion n'apparaît alors nullement dans l'expression de cet amour, dans la relation, mais dans la reconnaissancede la grandeur de l'amour.
Ainsi, si l'amour est une passion, on est bien loin d'une passion avilissante comme celle que personnage de Christiansemblait vivre.C'est ce dont atteste la dernière réponse que Cyrano donne à Roxane pour lui expliquer pourquoi il lui a révélé qu'àtravers Christian, elle l'avait aimé.
Il met en fait fin par là à l'idéalisation que Roxane se faisait de Christian.
En effet,il doit reconnaître Christian tel qu'il est, sans pour autant l'aimer moins.
Car en effet le risque de l'amour, en tantqu'il est exclusif, et de vouloir cerner l'autre distinctement au risque de lui faire perdre sa complexité d'être humain.Il faut donc reconnaître l'altérité irréductible de l'amant, car on ne peut aimer réellement en aimant unereprésentation de l'autre: on retomberait inévitablement en cette passion appropriatrice et bassement passionnelle,qui relève uniquement du désir premier de possession.
Mais cette reconnaissance qui participe à la vérité de l'amourprovoque nécessairement une souffrance : je dois accepter ne pas reconnaître que je ne peux posséder l'amant.Mais cette souffrance, n'est-elle pas aussi une affirmation de ma liberté? Car c'est bien là que l'amour est grand entant qu'il est véritable: je choisis de souffrir, je choisis donc la passion.
En clair, je me sacrifie à l'amour.
Or,sacrifier, c'est rendre sacré.
Par là, je loue l'intensité de l'amour.De plus, nous ayons défini l'amour également comme une inclination, et donc provenant du désir.
Or le désirvéritable, qui doit a priori donc être nécessaire pour connaître un amour véritable, est logiquement passionnel encela qu'il est exclusif et durable.
Cette exclusivité va bien dans le sens du sacrifice.
On voit donc apparaître uneéthique de la relation amoureuse dans laquelle le maître mot est la pudeur, puisque celle-ci est le refus d'un amourfusionnel, même dans la sensualité.
Cela fait signe vers une réhabilitation de l'amour comme passion, en cela que,comme le dit Nietzsche dans le Crépuscule des idoles, si dans un premier temps des passions sont funestes, elles se"spiritualisent" dans un second temps : c'est ainsi que selon lui, la modalité charnelle du désir, i.e.
la sensualité,devient amour après cette démarche de « mariage avec l'esprit ».
Donc tout amour est passion, mais la seule vraiepassion est celle que nous apporte le véritable amour : une belle passion, sans vice, engageant paradoxalementnotre liberté pour s'intensifier et se consacrer exclusivement à l'être aimé, sans pour autant le réduire à uneprojection représentative simplifiée de notre idéal.
Une passion sans bassesse, qui si elle n'est pas raisonnable etparce qu'elle ne l'est pas, cultive sa grandeur et sa beauté ; car la racine de la passion, c'est la vie, et glorifier unetelle passion, c'est glorifier la splendeur de la vie.
C'est certainement pourquoi Edmond Rostand, lorsqu'il fut admisparmi les Immortels grâce au succès de Cyrano de Bergerac, s'exprima dans ces termes : « Il faut réhabiliter lapassion, et même l'émotion, qui n'est pas ridicule.
Le véritable esprit est celui qui donne des ailes àl'enthousiasme.[…] Ce qui est léger, c'est l'âme.
»
Sujet désiré en échange :
http://www.devoir-de-philosophie.com/commentaire-spinoza-souveraine-puissance-3083.html.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- L'amour racinien : passion coupable et amour innocent
- Corneille a écrit de la tragédie : « Sa dignité demande quelque grand intérêt d'Etat ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. » Expliquer et discuter cette opinion. ?
- Ferdinand Alquié vous semble-t-il avoir bien défini l'amour surréaliste quand il écrit : « L'amour, entendons l'amour passion, prend d'emblée, dans les préoccupations surréalistes, la première place. En lui se retrouvent tous les prestiges de l'Univers, tous les pouvoirs de la conscience, toute l'agitation du sentiment: par lui s'effectue la synthèse suprême du subjectif et de l'objectif, et nous est restitué le ravissement que les déchirements surréalistes semblaient rendre impossible
- La passion amoureuse renferme-t-elle nécessairement de l'amour ?
- Tu es un amant attentionné et pourtant, même si je suis convaincue de ton amour sincère, je sais que je ne suis pas ta passion. Élizabeth Filion, la Femme de la fontaine, Québec Amérique