Texte de Schopenhauer sur le désir
Publié le 19/05/2014
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Deuxième point: le désir est long, et la satisfaction est courte.
Difficile ici de ne pas penser au plaisir sexuel, qui
produit tant de fantasmes dans le genre humain, mai s dont le caractère très bref de la jouissance laisse souvent dans une
amère déception...
Mais nest-ce pas le cas pour bi en dautres désirs, où la satisfaction est dune durée tout à fait
disproportionnée par rapport au temps dattente inq uiète et de préparation fébrile? Ne sommes-nous pas tous comme le
petit enfant, qui se lasse bien vite du jouet de la vitrine quil est enfin parvenu à faire acheter à ses parents? Ce contraste
rend le désir bien dérisoire, mais nous tombons tou jours dans le piège, croyant que cette fois est la bonne: le plaisir sera
durable, lamour sera éternel.
Or il n'en est rien, et cette confrontation de la longue durée de souff rance que peut signifier
la réalisation d'un désir et ce laps de temps bien ridicule que dure sa satisfaction rend les désirs tout à fait vains.
Troisième point enfin: les exigences infinies du dé sir contrastent avec le caractère modéré, mesuré, d e sa satisfaction.
Javais rêvé la femme et je nai qu une femme, javais fantasmé la plus puissante berline du moment et je nai
quune voiture qui va un peu plus vite que les autr es, pour une consommation double...
Autrement dit: limagination
prend part au désir, et nous fait idéaliser son obj et, en le parant de mille qualités symboliques qui nexistent que dans mon
esprit.
Cest ce processus que Stendhal appelait la cristallisation: laissez un vulgaire bâton dans une mine de sel, il en
ressortira étincelant de mille reflets.
Limaginati on au travail pendant le désir brode sur lobjet de mes rêves, qui
mapparaît bien décevant lorsque je le possède réel lement.
Ainsi le désir produit-il une triple désillusion: s a satisfaction est quantitativement et qualitativem ent décevante.
Mais
Schopenhauer va plus loin: le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir.
Telle est lillusion la plus terrible,
qui révèle que le contentement suprême nest quap parent.
Le contentement suprême, cest celui que jattends peu ou
prou de tout désir: enfin cet objet assouvira ma so if, cest cela qui me rendra heureux.
Voilà bien lerreur la plus humaine:
après le vélo, je désire la mobylette, puis la moto puis la voiture, et pourquoi pas la plus grosse? C est cette illusion qui
gouverne tout désir de richesse: avec de largent, je pourrais enfin me payer lobjet de mes rêves, ma is cet objet une fois
acquis ne procure quune satisfaction éphémère, et aussitôt un désir renaît derrière qui menferme dans une course
infinie.
Ainsi en va-t-il encore du désir de pouvoi r, politique (nest-ce pas ce qui a perdu Alexandre le Grand, Napoléon,
peut-être même Hitler?) ou économique (les grands g roupes financiers, dont lappétit est sans limites).
Et Schopenhauer
se fait un malin plaisir de souligner lillusion: a lors même que je sors dune désillusion, dun désir satisfait mais peu
satisfaisant, je me précipite vers un autre en croy ant que cette fois le bonheur absolu sera au rendez -vous: je passe ainsi
dune déception reconnue vers une déception non encore reconnue.
L'homme est ainsi incapable de tirer les
conséquences de ses échecs précédents, il devrait s avoir que le bonheur ne se situe pas au bout du dés ir, mais il y croit
malgré tout, totalement victime du mirage que lui f ait miroiter son désir.
Ne sommes-nous pas tous com me Dom Juan qui
court de femme en femme, en espérant toujours décou vrir la satisfaction amoureuse absolue? Dom Juan saperçoit à la
fin de sa vie quà travers les femmes cest la reco nnaissance de lui-même quil recherchait, et que ch aque conquête une
fois achevée lintérêt même de lamour disparaissai t, et le repoussait vers une nouvelle entreprise de séduction.
Comme
Dom Juan, nous croyons que nous désirons quelque chose, lobjet du désir, mais une fois lobjet possédé le désir s e
reporte sur un autre: nest-ce pas que nous nous so mmes fait prendre, une nouvelle fois?
Ainsi, la satisfaction daucun souhait ne peut pro curer de contentement durable et inaltérable: Scho penhauer annonce
déjà ici sa thèse, selon laquelle le désir nest pa s la source du bonheur, contrairement à ce quil fa it croire.
Le
contentement est ici synonyme de satisfaction, ma is ne se réfère pas à la seule satisfaction dun désir: le contentement
est un état plus général de bien-être.
Or le bonheu r est pour Schopenhauer durable et inaltérable: il ne peut être
concevable que dans la durée, car sil est éphémère il me replonge aussitôt dans linquiétude et dans linsatisfaction;
quand je veux trouver le bonheur, cest pour ne plu s le perdre.
Et le plaisir qui couronne la satisfaction dun désir ne peut
être quéphémère, comme on la vu.
Cette disproport ion temporelle entre le désir et le bonheur plonge lhomme dans un
engrenage tragique, que Schopenhauer exprime à trav ers une analogie: comme le mendiant à qui laumône du jour
prolonge la misère jusquau lendemain, chaque désir satisfait en engendre un autre et maintient lhomme dans
linquiétude.
La misère du mendiant est financière, la misère de lhomme soumis à ses désirs est moral e, psychologique.
Cette métaphore est l'image tragique de la conditio n humaine, voué à s'enliser dans un cycle sans fin de souffrance, dont
le moteur est l'espérance d'un bonheur qui recule a u fur et à mesure que l'on avance vers lui.
Suite à cette analyse du désir, qui vise à le démys tifier, à détruire lillusion quil provoque, Schopenhauer livre alors
explicitement sa thèse, quil souligne par le recou rs à litalique: lhomme ne peut connaître le bonhe ur tant quil reste.
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