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Texte de Leibniz sur les petites perceptions, Préface aux "Nouveaux Essais sur l'entendement humain".

Publié le 04/11/2009

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Gottfried Wilhelm Leibniz est un penseur allemand né en 1646 et mort en 1716. Esprit remarquable, il était à la fois philosophe, mathématicien, juriste et diplomate. Il a laissé de nombreux écrits importants comme le Discours de métaphysique en 1686 et les Essais de théodicée en 1710. Le texte que nous devons commenter est précisément extrait des Nouveaux essais sur l'entendement humain, composés en 1704 en réaction à l'Essai sur l'entendement humain du philosophe anglais John Locke. Dans cet extrait, Leibniz souligne que toute perception n'est pas toujours consciente. La perception est le mode immédiat par lequel je me représente le monde extérieur et le connais. Elle consiste à recevoir des informations du monde (dites sensations) - passivité - et à organiser ces sensations par un jugement réfléchi (l'aperception) - activité. Pour reprendre un exemple célèbre de Descartes dans les Méditations métaphysiques : quand je regarde dans la rue depuis ma fenêtre à l'étage, je ne vois que des chapeaux et des manteaux, mais je juge, quand bien même je ne les vois pas actuellement, que ce sont des hommes qui marchent. Bien sûr, il arrive que la perception se trompe : par exemple, quand je confonds un inconnu qui arrive au loin avec un ami ou quand j'identifie mal la voix d'un de mes proches au téléphone. C'est un autre problème qu'examine ici Leibniz. Dans certains cas, l'aperception fait défaut à la perception. Leibniz fait partie, avec Spinoza ou Malebranche, des philosophes dits parfois « postcartésiens «. En effet, ce sont des penseurs qui vont repartir de la philosophie telle que Descartes l'a révolutionnée et la leur a laissée en héritage. On sait la découverte majeure de la réflexion cartésienne : le Cogito. Pour Descartes, cela ne fait aucune doute, si « je pense, donc je suis «, alors je ne fais qu'un, en tant que j'existe, avec ma pensée. C'est cette identité de mon être et de ma pensée qui constitue la conscience. De fait, toujours selon Descartes, une perception, qui est un jugement, donc une pensée (et se distingue en cela de la seule sensation), ne peut être que consciente, c'est-à-dire aperçue « clairement et distinctement « (Méditations métaphysiques). C'est justement ce que Leibniz va contester en montrant qu'il existe des perceptions, appelées « petites perceptions «, peu nettes, embrouillées, qui échappent à la conscience ordinaire et qu'il peut y avoir perception sans aperception, sans que je sache que je perçois et ce que je perçois. Et ce pour deux raisons que le texte approfondit tour à tour : la haute fréquence ou la faible intensité de certaines de nos sensations qui font que nous ne les remarquons pas. En quoi ces deux raisons sont-elles responsables d'un déficit d'aperception ? Quel rôle jouent en ces matières l'attention et la mémoire ? Avec quels exemples, Leibniz illustre-t-il son propos ?

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« confusion, comme dans le cas de la conscience et de l'inconscient, mais une simple différence de degré.

La première des raisons plus longuement analysée par Leibniz est, par un effet de chiasme, la seconde exposée dansla phrase d'introduction : celle sur l'habitude, ici nommée « accoutumance ».

La raison pour laquelle nousn'apercevons pas une perception peut venir, d'abord, du fait que nous nous y sommes habitués.

Le phénomène estbien connu des amoureux : à force de voir l'autre, on ne le voit plus ; vient-il à manquer, nous ne « remarquons »plus que lui, le vide qu'il a laissé… Les exemples de Leibniz – le moulin et la chute d'eau – vontdans le même sens : la répétition (« destitués des attraits de la nouveauté ») détourne notre attention de lavigilance à une perception.

Cette première raison se distingue de l'autre parce qu'elle est subjective.

C'est enfonction de mes centres d'intérêt et de « ma vie » que telle ou telle perception sera aperçue ou pas.

En soi, unmoulin est parfaitement visible, mais je ne l'aperçois plus quand je passe devant parce qu'il m'est familier.

Enrevanche, si me visite un ami qui vient me voir pour la première fois, il verra le moulin sur-le-champ (« si quelqu'unnous en avertit incontinent »).

Cette sélection est inévitable car elle nous permet de faire le tri dans la masse desinformations qui nous arrivent à chaque instant de toutes parts.

Pour prendre conscience de ces perceptions, ilfaudra un effort particulier de l'attention, car l'attention est d'autant plus présente dans une perception qu'elle estinédite.[Prospective :] Le philosophe français Henri Bergson en retrouvera, deux siècles plus tard, le principe quand ilanalysera ce qu'il nomme la « mémoire automatique » qu'il différencie de la « mémoire consciente » (celle dont parleLeibniz dans le texte et qu'il associe à l'attention) : la mémoire automatique est celle qui est à l'½uvre dans lesactes répétitifs de notre vie quotidienne ; c'est précisément parce qu'elle travaille sans aperception présente quenous nous demandons souvent a posteriori si nous avons bien fait telle ou telle chose (bien raccroché le téléphone,bien débranché le fer à repasser, bien fermé la porte à clé…).

« Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cessed'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire.

Dans l'apprentissage d'un exercice, parexemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu'il vientde nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix ; puis, à mesure que ces mouvements s'enchaînentdavantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nousdécider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît » (Bergson, L'Énergie spirituelle, « Laconscience et la vie », 1911).

La seconde raison – la première dans l'ordre programmatique – est objective.

Elle tient à la nature deschoses.

Elle est illustrée par le remarquable exemple du bruit de la mer.

Nous ne pouvons pas entendre le bruit dechaque vague qui compose la mer.

En effet, il nous serait impossible d'assigner à quelle vague appartient telle partiedu bruit global de la mer.

Nous ne l'apercevons pas.

Cela étant, il faut bien que nous le percevions.

Le bruit de lamer est fait de la somme des tous les bruits de toutes les vagues.

Donc si nous entendons le bruit de la mer, il fautbien que nous entendions le bruit de chacune des vagues (« cent mille rien ne saurait faire quelque chose…»), même si nous n'en avons pas conscience…Leibniz ne se contente pas de limiter la part de la consciencecartésienne.

Il revient sur sa genèse.

Chez Leibniz, la conscience émerge de l'inconscient : on voit bien qu'il y a iciun passage graduel du non-conscient à la conscience.

On passe donc à la conscience à partir d'élémentsinconscients.

(Ce point sera radicalisé par Freud : au départ, tout est inconscient – le ça – et laconscience – le moi – apparaît progressivement par différentiation au cours de l'enfance).

Descartesne traitait pas du problème de l'origine, de l'émergence, de la conscience.

Pour lui, la conscience est un fait, le faitprimordial.

Mais, sa théorie était ici lacunaire : si la réflexion est retour de la pensée sur elle-même, alors, il faut bienque, au premier « tour », la conscience réfléchie puisse être précédée d\'une conscienceirréfléchie…[Prospective] Une corde ne casse pas d'un coup, malgré les apparences, mais à force d'être uséeinsensiblement par la force qui s'exerce sur elle et qui jusqu'à un certain point ne suffit pas à la casser : si ellecasse, c'est par accumulation, sommes de tous ces moments imperceptibles qui n'avaient pas suffi à la rompre pareux-mêmes.

On voit que ce dont parle Leibniz, le passage d'une perception non consciente à une perceptionconsciente, correspond exactement à ce qu'est une intégration en mathématique.

Il n'est pas pour rien l'inventeurdu calcul intégral.

Le modèle des petites perceptions est exactement celui qu'on trouvera dans le calcul intégral.

Lecalcul intégral est précisément un calcul permettant d'obtenir une somme fini d'éléments infiniment petits, troppetits pour être dénombrés (à la différence du calcul arithmétique).

À l'inverse, on appelle différentielle l'opérationqui consiste en mathématique à dériver une fonction par différentiation de variations.

Ces variations infinitésimalessont l'équivalent des petites perceptions. Conclusion Il existe donc une foule de petites perceptions non aperçues : soit par accoutumance (cause subjective), soit d'unefait d'une intensité insuffisante (cause objective).

Ces petites perceptions ne se limitent pas aux seuls exemplesdonnés par Leibniz.

Elles sont le tissu de notre vie quotidienne.

Elles expliquent le « je ne sais quoi » qui nous faitaimer une chose sans qu'on sache pourquoi ; elles expliquent aussi l'inquiétude qui nous met en mouvement(inquiétude qui n'est pas de la douleur, laquelle est consciente, alors que l'inquiétude est un sentiment vague).

Noussommes toujours traversés par une multitude de petites perceptions inaperçues qui déterminent la tonalité de notreétat, et nous maintiennent en relation insensible avec la totalité du monde.

On pourrait aller encore plus loin queLeibniz et soutenir raisonnablement qu'il faut que nous entendions le bruit de la moindre gouttelette de lamer… C'est par elle qu'il y a, sans solution de continuité, une harmonie entre tous les êtres de l'univers.Leibniz l'appelle « l'harmonie préétablie ».

Comme il le dit dans une formule très célèbre : « La Nature ne fait pas desaut.

» C'est par elles que dans le monde tout est vivant, qu'il y a de la vie partout, qu'il n'y a pas de mort à larigueur, que la mort ou l'inertie ne sont que la vie qui se différentialise sans interruption et sans atteindre jamais sa. »

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