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Texte de Freud, extrait de l'ouvrage Le malaise dans la culture

Publié le 13/05/2010

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Il est encore une autre cause de désillusion. Au cours des dernières générations, l'humanité a fait accomplir des progrès extraordinaires aux sciences physiques et naturelles, et à leurs applications techniques ; elle a assuré sa domination sur la nature d'une manière jusqu'ici inconcevable. Les caractères de ces progrès sont si connus que l'énumération en est superflue. Or les hommes sont fiers de ces conquêtes, et à bon droit. Ils croient toutefois constater que cette récente maîtrise de l'espace et du temps, cet asservissement des forces de la nature, cette réalisation d'aspirations millénaires, n'ont aucunement élevé la somme de jouissances qu'ils attendent de la vie. Ils n'ont pas le sentiment d'être pour cela devenus plus heureux. On devrait se contenter de conclure que la domination de la nature n'est pas la seule condition du bonheur, pas plus qu'elle n'est le but unique de l'oeuvre civilisatrice, et non que les progrès de la technique soient dénués de valeur pour "l'économie" de notre bonheur. FREUD

   Sinistre coïncidence, Freud dépose le manuscrit du Malaise dans la culture chez son imprimeur une semaine après le jeudi noir d'octobre 1929. Jetant un regard critique sur son temps et ses images d'Epinal, Freud décrit les valeurs de ses contemporains et la misère psychologique qu'elles génèrent. Dans cet extrait transparaît la même ambivalence : au constat objectif d'une révolution technoscientifique succède le verdict de son échec à nous rendre heureux. Comment justifier et assumer cet échec, voilà la réflexion à laquelle nous invite Freud. Dénonçant les réductions grossières qu'a entraînées le culte aveugle du progrès, il se garde néanmoins de toute tentation technophobe.

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« opposé au progrès mais du témoignage de ses contemporains, recueilli lors des cures psychanalytiques (les hommes « croient avoirremarqué », ligne 6, « d'après ce qu'ils ressentent », lignes 9 et 10, « constatation » ligne 11).

Sans que l'on sache si Freud se rangeparmi les hommes dont il parle ou s'il s'exclut définitivement de ces considérations, force est de constater que la domination del'homme sur la nature ne suffit ni à son plaisir (ligne 9) ni à son bonheur (lignes 10 et 12).

L'hésitation entre les termes de plaisir etde bonheur peut souligner une des réductions et autres raccourcis conceptuels dont sont friands les contemporains de Freud :réduction de la culture à la technique, réduction du bonheur au bien-être et au confort matériel.

Or, c'est contre ces réductions quetend à s'élever la fin du texte. 3- Conclusion légitime : à mi chemin entre enthousiasme prométhéen et technophobie [lignes 10 à 14] De ce constat d'une technoscience brillante mais impuissante à nous rendre heureux devrait découler dans un premier temps la conclusion que la technique, réalisation d'une désirance millénaire de domination sur la nature, ne saurait constituer l'unique voied'accès au bonheur : elle en apparaît comme la condition peut-être nécessaire (Freud ne le conteste pas) mais guère suffisante.Livrés aux utopies du rêve prométhéen, les hommes ont voulu reconnaître dans la technique la voie d'un salut imminent.

Audésenchantement du monde provoqué par l'avènement de la rationalité scientifique et le déclin du sacré (Max Weber) s'estsubstituée une véritable religion du progrès, une religion sans miracles, présupposant le culte de la science.

En cela les hommes ontoublié les leçons du mythe de Prométhée : le don de Prométhée aux hommes (le feu et la connaissance des arts, volésrespectivement à Héphaïstos et Athéna) ne suffit pas à leur survie ; il faut lui adjoindre le don de Zeus, transmis par Hermès, de lajustice et de la vergogne.

Substitut de science politique, elles lui permettront de faire bon usage de la technique et de s'unir.

L 'homo faber , versant démesuré de l'humanité, ne saurait survivre sans l' homo sapiens .

La prouesse technique doit s'accompagner d'une réflexion éthique et politique sur sa légitimité afin d'éviter que la domination de la nature ne quitte le génitif objectif pour un génitifsubjectif (dans le premier cas la nature est dominée par l'homme, dans le second cas elle reprend son ascendant original surl'homme).

C'est en ce sens que la technique ne saurait être « l'unique but des tendances de la culture » (lignes 12-13).

L'autre pôlede la culture, celui qu'ont négligé les temps modernes, c'est la rationalité pratique ou encore l'alternative aux sciences de la natureque l'allemand désigne par sciences de l'esprit ou sciences de l'homme ; de la même façon, le progrès ne saurait se résumer auprogrès technique mais se décline bien plutôt en progrès prométhéen ou encore technoscientifique et en progrès moral et spirituel.Sans cette polyvalence, « l'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits » (Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion , 1932) A cette conclusion qui dénonce les réductions qu'opère le prométhéisme (réduction de la culture à la technique, réduction du bonheur au confort matériel) s'en ajoute une seconde : on ne saurait déduire de cette constatation « la non valeur des progrèstechniques pour notre économie du bonheur » (lignes 13-14).

Loin de nier la part des acquis technoscientifiques dans notre bonheurquotidien, Freud rejette toute tentation d'imputer à la technique la responsabilité de tous nos malheurs ; autrement dit, quoiqueinsuffisante à notre bonheur, la technique en demeure une condition nécessaire.

Freud refuse ici d'entonner le refrain des cassandrestechnophobes qui se multiplient à son époque (et avant lui): pessimisme anthropologique et culturel (Schopenhauer, Nietzsche,Gobineau, Weber), stigmatisation d'une vulgarité née de la « technolâtrie » (Baudelaire, Poe, Balzac, Flaubert), peur prémonitoired'un cautionnement scientifique de la barbarie (rôle de la technoscience dans les ethnocides, dans l'eugénisme), dénonciation desexclusions générées par la civilisation aveugle du progrès, utopies passéistes et régressives… Les derniers mots du texte semblentautoriser un retournement : Freud est passé d'un éloge mesuré de la technique à une apologie brève et forcée. Conclusion : Le texte de Freud apparaît comme une double mise en garde contre tous les excès : excès d'engouement mais aussi de méfiance envers la technique.

Si l'enthousiasme caractérise l'époque du texte, c'est bel et bien la méfiance et le scepticisme prudentqui règnent aujourd'hui.

Si Freud se garde de toute technophobie virulente, il annonce néanmoins les revers de fortune que latechnoscience sera appelée à subir dans un avenir proche.

Le 20 ème siècle s'est en effet accompagné de la conscience que les avancées scientifiques et techniques créent indéniablement des problèmes en même temps qu'elles produisent des solutions. Pour approfondir : - Distinction culture / civilisation . - Relire le texte à la lumière du cours sur la Technique puis du cours sur l'Inconscient. - Voir dans 100 mots pour commencer à penser les sciences les articles « progrès », « technique », « technoscience ».

[Ouvrage disponible au CDI].. »

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